Que faut-il pour réussir le pari de la mode ? Du talent, un savoir-faire, un Plan Marshall. Rien ne naît par hasard. C’est parce que tout cela s’est additionné dans l’Italie d’après-guerre qu’elle compte aujourd’hui sur la planète fashion. Démonstration brillante grâce à une expo du Victoria & Albert Museum de Londres.

Florence, 1951. La splendeur de la ville a pris un sérieux coup dans l’aile, l’Italie a perdu des plumes, des territoires, le fascisme et la guerre sont passés par là et, avec eux, la défaite et la misère. Il ne faudra pourtant guère de temps pour faire naître une mode italienne qui aura l’adjectif glamour pour qualificatif. Au mois de février de cette année-là, un homme met sur pied la première Fashion Week locale. Il s’appelle Giovanni Battista Giorgini, a un solide carnet d’adresses, mélange de bottin mondain et de contacts précieux dans tous les grands magasins américains qui comptent, car il est agent et fait dans le textile. Il avait déjà eu l’idée d’organiser un défilé pour accompagner l’expo Italy at work qui s’ouvre alors au Brooklyn Museum, mais le projet a fait long feu, qu’à cela ne tienne, s’il ne peut l’organiser là, il le fera chez lui, Via dei Serragli, devant un parterre certes réduit mais soigneusement trié sur le volet. Il y invite les acheteurs des enseignes de luxe Bergdorf Goodman de New York, Henry Morgan & Co de Montréal, et les grands noms de la couture locale, les sorelle Fontana, Simonetta Colonna di Cesaro et Jole Veneziani, notamment. Car de talents, l’Italie ne manque pas. Prenez les trois soeurs Fontana, elles ont créé leur maison à Rome en 1943 et déjà séduit les Américains avec la robe de mariage que portait Linda Christian le jour où elle dit oui à Tyrone Power, c’était en janvier 1949 – le lien entre la mode italienne et Hollywood est consacré. D’autant plus facilement que les studios de Cinecittà sont installés à Rome depuis 1937. Et que, dans l’imaginaire américain, le pays est le lieu parfait pour des vacances dolce vita. Toutes les stars de L.A. se mettent à porter du made in Italy, dans la vraie vie et dans les films – se remémorer les atours sans détours d’Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus, ils sont signés Fontana. Cette lignée de créatrices, nées dans la noblesse ou l’industrie textile, ouvrira ainsi la voie aux soeurs Fendi, à Frida Giannini (Gucci), Maria Grazia Chiuri (Valentino, avec Pierpaolo Piccioli) et Miuccia Prada qui, de la maroquinerie de son grand-père fondée en 1913, a fait un empire. Mieux, a révolutionné la mode avec sa vision si particulière –  » la plupart de mon travail consiste à détruire, dit-elle, ou en tout cas, à déconstruire les idées conventionnelles de la beauté.  » Mais on n’en est pas encore là (lire par ailleurs).

Le deuxième show a lieu en juillet 1951. Au Grand Hôtel, cette fois, devant la presse et des acheteurs venus de partout, la fête dure trois jours, avec bal en apothéose, c’est un succès. La mode italienne n’est pourtant pas encore un système, loin de là, elle est juste au début de la construction de son identité. Laquelle plonge ses racines dans le temps, dans son héritage culturel et dans son économie, où brille l’entregent des marchands génois, vénitiens, lombards et florentins qui exportent la soie à travers l’Europe depuis la Renaissance, et le savoir-faire de manufactures spécialisées ancrées dans des zones géographiques précises – Biella, Prato, la Vénétie, Côme ou Bergame…

Tout ceci ne serait pas grand-chose sans une volonté politique doublée d’un soutien financier colossal, c’est le Plan Marshall qui a permis de booster le tout : entre 1947 et 1951, l’Italie reçoit plus de 250 millions de dollars en aide américaine, dont plus de 20 millions pour l’industrie textile. Et là où la création transalpine fait vraiment fort, avec ce naturel élégant que l’on sait, c’est qu’elle rencontre la demande des Américains, dont la vie va toujours plus vite/plus loin/plus sport. Son style extraverti plaît à ce XXe siècle en pleine résurrection. Avec son air aristocratique et casual à la fois, son sens de l’opulence et des belles matières, son mix entre créativité et technicité, elle s’inscrit d’emblée dans l’histoire de la mode contemporaine. A sa façon, définitivement glam. D’où ce titre évident, The Glamour of Italian Fashion 1945-2014, pour une exposition au V&A qui a le mérite d’également montrer le dessous des cartes.

The Glamour of Italian Fashion 1945-2014, au Victoria & Albert Museum, Cromwell Road, SW7 2RL Londres. www.vam.ac.uk/italianfashion Jusqu’au 27 juillet prochain.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

Un air aristocratique et casual à la fois.

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