C’est le plus célèbre des créateurs britanniques. A l’heure où le Design Museum de Londres s’apprête à lui consacrer une vaste rétrospective, il évoque, pour nous, les multiples influences qui ont fait de ce passionné de cyclisme un ténor de la mode.

Un après-midi d’été, dans le quartier du Marais, à Paris. Paul Smith nous fait visiter avec fierté son nouveau fief parisien, rappelant que son coeur balance depuis toujours entre les deux côtés de la Manche, comme en témoigne d’ailleurs la double actualité de son automne : la réouverture, dans la capitale française, de son flagship boulevard Raspail, désormais entièrement consacré à l’Homme, et l’inauguration d’une grande exposition, au Design Museum, à Londres qui retrace quelque quarante années de création. Il y restitue les plus belles heures de cette longue aventure… Tout en gardant l’oeil rivé sur demain.

Hello, my name is Paul Smith, c’est le titre de votre prochaine exposition. Pourquoi présenter votre travail dans un musée ?

Deyan Sudjic, le directeur de l’institution, m’a proposé ce projet, et je me suis (facilement !) laissé convaincre. C’est un grand honneur pour moi d’être présent dans ce lieu créé par Terence Conran, il y a vingt-cinq ans, et qui offre une programmation extraordinaire en matière de création. Vivienne Westwood y organise des conférences, l’architecte Zaha Hadid y a exposé pour la première fois en Grande-Bretagne… Le propos était bien sûr de retracer mon parcours, mais je ne voulais pas d’une rétrospective classique, toujours un peu ennuyeuse. Nous avons réussi – je crois – à créer quelque chose de très dynamique, de très stimulant.

Qu’avez-vous choisi de montrer ?

A dire vrai, le challenge a plutôt été de renoncer à tout montrer ! Nous commençons par présenter un cube de 3 mètres carrés où figure l’inscription :  » Ceci est la taille de la boutique Paul Smith.  » Je souhaitais évoquer mes débuts avec trois sous en poche, une façon de prouver que tout est possible. On pénètre ensuite dans la reconstitution de mon studio de Covent Garden, sorte de capharnaüm qui rassemble pêle-mêle tout ce qui m’inspire. J’ai l’habitude de dire que mon atelier est un peu mon cerveau, la matrice de mes idées. On fera également le tour de mes collaborations : avec des artistes, d’autres maisons. Une de mes assistantes m’a récemment demandé :  » Au fait, on verra aussi des vêtements dans l’expo ?  » Bien sûr, il y aura de la mode, mais également de la photographie, des vélos, de la musique, du cinéma… Le croisement de toutes ces influences est consubstantiel de mon travail de création.

Parlons de la photo. C’est votre père qui vous a transmis cette passion ?

Oui. Mon père, Harold, était photographe amateur et il avait même créé un club dans notre ville, à Nottingham. Il m’a offert un appareil pour mes 11 ans et c’est là que tout a commencé. Il m’a appris à saisir l’instant présent. On développait nos clichés à la maison, avec une chambre noire qu’il avait installée. Il avait beaucoup d’humour et adorait faire des montages en superposant les négatifs. Il installait des oiseaux dans les arbres, il m’a même posé sur un tapis volant ! Cela a nourri mon goût pour la fantaisie et m’a surtout éduqué l’oeil. Beaucoup de gens voient mais ne regardent pas. Observez ce fauteuil où vous êtes assise, l’imprimé de votre écharpe sur les rayures du tissu. Une parfaite idée pour une prochaine collection !

La musique constitue également un monde important pour vous…

Quand j’avais 18-20 ans, je filais à Londres tous les vendredis soir retrouver mes copains. On buvait une bière dans un pub de Notting Hill et on allait au concert. Ensuite, on s’arrangeait pour rejoindre les musiciens dans les coulisses. C’est ainsi que j’ai rencontré Pink Floyd, Led Zeppelin, et que j’ai commencé à travailler avec eux. Ma collaboration avec David Bowie est venue ensuite. La musique a été (et demeure) une puissante source d’inspiration. Les premiers artistes que j’ai habillés étaient des rock stars, des hippies. C’est avec eux que j’ai travaillé les fleurs, le velours, qui constituent une partie de mon ADN. Je joue encore avec ces codes que je twiste de façon contemporaine. Et je continue d’habiller des musiciens – Franz Ferdinand, les Fleet Foxes…

Quand – et comment – la mode est-elle entrée dans votre vie ?

A 18 ans. Avant, j’étais cycliste. Je ne pensais qu’à cela, et puis j’ai eu un accident qui m’a forcé à arrêter. Le hasard a fait le reste. Pour gagner ma vie, j’ai tenu une petite boutique avec les vêtements des couturiers que j’aimais et, peu à peu, j’ai vendu des tee-shirts et des cravates que je créais moi-même.  » Learning by doing « , je crois beaucoup à cela. Cette période fut un grand apprentissage, créatif et commercial. C’est important de tenir une boutique, de réfléchir à la façon dont on présente les vêtements, d’anticiper les désirs des clients. Ce savoir-là me sert toujours, la preuve avec ma boutique du boulevard Raspail qui s’apprête à rouvrir, entièrement repensée.

Quelles pièces que vous allez exposer retracent également cette période ?

Il y en aura de quarante à cinquante, pas davantage. Elles vont survoler l’ensemble de mon parcours, mais elles ne seront pas présentées chronologiquement. Les vêtements vont être exposés selon des thèmes récurrents : les fleurs, le voyage, les impressions – qui sont également très importantes. Je suis, je crois, le premier à avoir imprimé des photographies sur des tissus.

L’inspiration  » british  » est aussi essentielle dans votre création. Vous sentez-vous très anglais ?

J’aime, en tout cas, jouer avec les images iconiques du Royaume-Uni. Les rayures, l’Union Jack sont des motifs régulièrement présents dans mes collections. Je suis aussi attaché à une qualité de matière qui fait partie de l’esprit britannique. Je fais travailler de nombreux artisans, au pays de Galles, en Ecosse. Mon style, enfin, est sans doute très anglais. Un mélange de tradition et de non-conformisme, de sérieux et de fantaisie.  » Classic with a twist  » est un peu ma signature. Dans les années 60, les jeunes de l’upper class exprimaient leur volonté de transgression en portant les mêmes costumes que leur père… mais avec des chemises à fleurs. J’aime cet esprit et je crois qu’il correspond aux clients de la marque.

Qui est l’homme Paul Smith ?

Beaucoup de gens achètent aujourd’hui un vestiaire avec des logos, des signes très visibles qui les aident à se définir : j’appartiens à tel club, à tel milieu social. Paul Smith n’est pas une maison qui permet de se montrer de cette façon. Mes vêtements sont simples, discrets, avec un goût du détail, un luxe qui ne se voit pas d’emblée. L’homme Paul Smith sait qui il est, il n’a pas besoin d’ostentatoire pour s’affirmer.

Vous considérez-vous comme un artiste ? Un intellectuel ?

Je n’ai jamais perçu mon travail comme quelque chose de conceptuel, ni comme une oeuvre d’art. Certains couturiers aiment construire une sorte de théâtre autour de leur création, une atmosphère un peu extravagante. Moi, je n’oublie jamais que je fais des vêtements. Rien de moins, rien de plus. Et c’est une immense responsabilité ! J’ai aujourd’hui plus de 1 000 employés à travers le monde qui paient un loyer, ont des enfants à l’école. J’en suis très conscient, mais cela ne m’empêche pas de suivre, librement, mon processus créatif. Je travaille très vite, de façon instinctive, en cherchant chaque fois à obtenir des choses neuves, inhabituelles.

Pour cette saison, comment avez-vous choisi de créer l’  » inhabituel  » ?

Il y aura une palette moins vive que pour le printemps, des tonalités de pierres précieuses, travaillées en camaïeu. Un grand retour de la maille aussi. L’idée de la collection est de laisser à mes clients la possibilité de mélanger les couleurs pour exprimer l’humeur du moment : vive, courageuse, secrète…

Voilà quarante ans que vous faites de la mode. Comment votre savoir-faire a-t-il évolué ? Et qu’avez-vous envie d’apprendre aujourd’hui ?

J’ai évidemment progressé dans la connaissance du  » tailoring « , de la coupe, l’essence même du vêtement. Je continue d’investir l’univers, très riche, des accessoires. J’essaie d’évoluer en permanence car tout va très vite aujourd’hui. Les gens sont moins fidèles aux marques que jadis, il faut chaque fois les surprendre, les séduire à nouveau. J’ai la chance de ne pas trop rencontrer ce problème, mais il s’agit d’un réel changement de société. Une autre mutation qui me gêne parfois, c’est ce goût du virtuel qui éloigne de la conversation, de la réalité tangible. Je donne des conférences à Oxford et à Eton, et je suggère toujours aux étudiants de faire des choses concrètes, d’avoir des relations réelles. Je rappelle également qu’il ne faut jamais s’endormir sur ses lauriers. L’idéal est de créer une base solide, mais un modèle qui ne repose jamais sur ses acquis. Mon motto ? Un mélange de stabilité profonde et de changement permanent.

Hello, my name is Paul Smith, Design Museum, www.designmuseum.org Du 15 novembre au 9 mars prochain.

PAR LYDIA BACRIE

 » Je n’ai jamais perçu mon travail comme quelque chose de conceptuel, ni comme une oeuvre d’art.  »

 » Tout va très vite aujourd’hui. Les gens sont moins fidèles aux marques, il faut chaque fois les surprendre, les séduire.  »

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