L’esprit franciscain règne encore ici… Mais le dépouillement, aujourd’hui, est hissé au rang des beaux-arts. A Oletta, en Corse, le peintre Candida Romero a sauvé de la ruine le légendaire couvent Saint-François. Laissez-vous charmer par cet univers au style toujours monacal et pourtant si féminin.

Le couvent Saint-François, à Oletta, est un des bâtiments les plus vénérables de la Corse. Niché au c£ur de la région du Nebbio, non loin de Saint-Florent, ce lieu de prière, depuis sa fondation au xviie siècle, est trouvé intimement associé à la vie politique de l’île. Au temps de Pascal Paoli (1725 û 1807), le célèbre patriote corse qui a donné au Nebbio l’appellation flatteuse de  » Conca d’Oro  » (la conque d’or, référence à sa prospérité agricole), les  » consultes  » s’y réunissaient. Le site a aussi été le théâtre de l’épisode, passé de la célébrité à la légende, de l’Antigone corse, Maria Gentili, venue nuitamment chercher le corps de son fiancé, supplicié par les armées de Louis xv, pour lui donner une sépulture digne. C’est ici encore, plus près de nous, qu’étaient cantonnées les troupes italiennes venues occuper la Corse convoitée par Mussolini.

Par bonheur, les habitants des environs ont toutefois vécu des décennies pendant lesquelles le monastère a paisiblement rempli la mission que lui avait assignée son saint patron, François d’Assise. Des hommes, puis des femmes, tour à tour, ont pu y mener, dans la pureté de la lumière et le silence de la nature, une vie de contemplation et de dévouement à leurs frères.

Les années ont passé… Saint-François, petit à petit abandonné des religieux, dédaigné des habitants, a sombré dans l’oubli. L’Eglise a mis la propriété en vente… Mais personne n’en a voulu. Personne n’a voulu de ce haut lieu de l’histoire et de la spiritualité. Personne ne s’est senti le courage d’entreprendre les travaux. Le site, certes, a tenté beaucoup de curieux, a séduit beaucoup de peintres û dont l’académicien Michel Mohrt, fidèle de la région, aquarelliste à ses heures -, mais personne, pendant des années, n’a franchi le pas, malgré la modicité du prix demandé par le diocèse.

Rendre son âme à Saint-François

Candida Romero est enfin arrivée. Artiste peintre, elle rêvait d’un pied-à-terre dans le Cap Corse. Quand elle a visité Saint-François, pourtant plus entretenu depuis des années et outragé par toutes sortes d’occupations frauduleuses, elle a compris, en un instant, qu’une partie de sa vie û son destin û s’accomplirait là, entre ces murs posés dans la verdure, comme un bijou. Aidée de Simone Dat, sa maman, artiste peintre comme elle, la jeune femme s’est lancée dans l’aventure : 1 500 m2 (en comptant les bâtiments conventuels et l’église, attenante, de la taille d’une église paroissiale) à restaurer ! Une tâche pharaonique ! Car la nouvelle maîtresse des lieux voulait non seulement sauver la bâtisse, qui menaçait ruine, mais rendre au couvent son âme et son caractère.

Les 120 portes et fenêtres, une à une, scrupuleusement, ont toutes été refaites à l’identique. Partout, des grilles en fer forgé, pareilles à celles qui existaient, ont été installées. L’électricité, la plomberie, le chauffage et le toit en lauzes… Tout a été remis à neuf. Dans les aménagements intérieurs, Candida est restée fidèle à l’esprit franciscain et a privilégié le dépouillement. Les murs û dont ceux des longs couloirs qui servaient d’accès aux cellules des moines et ceux des beaux escaliers aux dalles d’ardoise – sont uniformément blancs. Immaculés, ils mettent en relief la qualité de l’architecture, en particulier le très subtil jeu des voûtes et des voûtains.

Les bâtiments sont construits en longueur et, quelle que soit l’heure du jour, sont toujours traversés de rayons de soleil. Les fenêtres toutefois sont petites : il faut, en hiver, se protéger du froid, et en été, se prémunir de la chaleur. Des éléments anciens, Candida a conservé tout ce qu’elle a pu : éviers en pierre aménagés sous les fenêtres, niches ici et là, cheminées désaffectées (transformées en placards de rangement) ou encore de charmants appuis, qui peuvent servir de siège, sous plusieurs fenêtres de la maison. Partout où cela a été possible, l’antique sol en carreaux de terre cuite a été maintenu. Dans certaines chambres et dans les salles de bains, où il était en mauvais état, il a toutefois fallu le rafistoler. Pour masquer les réparations, il a été peint… en blanc ou couvert de tapis et de nattes en coco.

Les anciennes cellules ont toutes été transformées en chambres ou en salles d’eau. Chacune, au gré de l’inspiration du moment, a été traitée dans un style différent : l’une affiche un cachet  » seventies « , une autre est orientaliste, une troisième fourmille de bimbeloterie religieuse…

 » Work in progress  »

Les pièces de séjour, en partie créées ou recréées ne manquent pas. La cuisine, au rez-de-chaussée, est de plain-pied avec le jardin où, à la belle saison, entre vigne vierge et figuiers, il est agréable, entre amis, de partager les repas. En la meublant de buffets et de tables rustiques, Candida lui a préservé sa sobriété originelle. Le grand salon, installé dans ce qui, autrefois, avait été le fond de l’église est certes la pièce la plus majestueuse de la demeure. Il doit son caractère aux anciennes moulures d’église, qui lui constituent des corniches, et au beau mobilier de famille qui y a été rassemblé. Sous les toits, en prévision des soirées d’hiver, un salon dédié au home cinéma a été aménagé… tout en blanc. Et pour parfaire la déco de son  » home sweet home « , Candida ajoute sans cesse le fruit de journées passées à chiner. A Paris comme à Bastia !

L’ancien couvent compte désormais aussi deux ateliers. Celui de Candida, sous les toits, ouvert sur la campagne et les collines environnantes, est un vaste espace aux murs en schiste, brut, aux poutres apparentes. Ces matériaux dégagent une impression de puissance et de force qui contraste avec le travail raffiné de l’artiste. L’atelier de Simone, aussi lumineux que celui de sa fille, bien qu’au rez-de-chaussée, est dominé, lui, par le plaisir de l’artiste à étreindre la matière de son £uvre à bras-le-corps.

Au total quatre ans de travaux auront été nécessaires pour réparer les dégâts causés, pour retrouver l’âme des lieux, et pour leur rendre vie. La mère et la fille, qui ont uni leurs efforts dans cette entreprise, utilisent volontiers l’expression  » work in progress  » : ici, tout est perpétuellement inachevé, en mouvement, tout change sans cesse, l’£uvre est en elle-même. Saint François, soyons-en sûrs, veille à ce qu’il en soit longtemps ainsi…

Robert Colonna d’Istria

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