Vingt ans de création parisienne n’ont pas émoussé la vitalité de Yohji Yamamoto, de Comme des garçons, ou d’Issey Miyake. Sur la planète mode aussi, le soleil se lève à l’est.

Un dimanche d’octobre, Yunya Watanabe avait choisi le lycée Jules Ferry (Paris IXe) pour présenter sa collection été 2001. Des petites vestes flashy à la ligne très sage, des robes sans façon qui prennent leur dimension dans le noir complet grâce à l’utilisation d’un tissu tout à la fois souple et fluorescent. Celui en qui la planète mode voit la relève du stylisme japonais signe une ligne de Comme des garçons. Depuis huit ans, le groupe de la styliste Rei Kawakubo (quelque 6 milliards de francs de chiffre d’affaires) finance, vend et travaille à la promotion de son ex-assistant (39 ans dont seize ans de maison). Pendant ce temps, les affaires continuent à prospérer pour la maison mère, qui a encore électrisé les acheteurs avec son propre défilé. Partie sur l’idée du volume, Rei Kawakubo a présenté une série de vêtements traversés d’empiècements en tissu camouflage posés comme des pansements là où le volume a finalement été supprimé. Evidemment conceptuel et carrément étonnant.  » Rei est toujours radicale, à 2 000% dans le coup, plus jeune que les plus jeunes « , s’emballe Maria Luisa, directrice de la boutique multimarque parisienne qui porte son nom. Même enthousiasme chez Sylvie Choux, acheteuse aux Galeries Lafayette, à Paris, où l’espace créateurs réserve deux stands à la griffe.

Comme Rei Kawakubo, Yohji Yamamoto s’apprête à fêter cette année ses 20 ans de défilé à Paris. Lui aussi tient une forme insolente, à l’image de sa dernière collection placée sous les splendeurs de l’Asie centrale. L’été 2001 s’annonce comme un  » retour aux années 80  » en noir, gris et blanc. Eternelle fidélité au noir, à la fois  » modeste et arrogant, paresseux et mystérieux « . Une façon de dire :  » Je ne vous embête pas, laissez-moi tranquille « , argumente-t-il. Au baromètre des valeurs sûres élues par les acheteurs régulièrement publié par  » Le Journal du textile « , Yamamoto est désormais solidement installé à la deuxième place derrière Jean Paul Gaultier et juste devant John Galliano. Sans conteste, la ligne déstructurée de Yamamoto a laissé des traces indélébiles dans la création française.

 » Cette façon de déconstruire le vêtement européen a eu un effet très fort sur toute la création, analyse Bruno Remaury, directeur de recherche à l’Institut français de la mode. En Occident, le vêtement impose sa forme au corps. En Orient, à l’inverse, le corps donne vie à un vêtement plat.  » Le sage kimono serait-il ainsi devenu à son insu le grand agitateur? Au Japon, jusque dans les années 1960, on a confié à cette forme unique la charge de révéler la grâce d’un mouvement de poignet ou la courbe parfaite d’une nuque.  » Le vêtement n’est embelli que par la personne qui le porte « , juge Yamamoto.  » Le vêtement, c’est l’air qui circule entre la peau et le tissu « , remarque Issey Miyake. Lui aussi va bientôt pouvoir fêter ses 25 ans de mode à Paris et le succès de ses Pleats Please, ces vêtements-tubes aux plis immortels et colorés. Toujours en mouvement, le créateur se concentre désormais sur sa nouvelle gamme A-POC (pour A Piece of Cloth), à découvrir à la nouvelle adresse parisienne du Marais. Dans cet univers blanc où les vêtements pendent comme des mobiles, l’achat nécessite une carte bancaire (bien garnie) et une paire de ciseaux. Tee-shirts, pantalons, pulls ou bonnets sont en effet prétissés sous la forme de rouleaux et découpés à la demande. Et, miracle, la formule magique, gavée d’élastiques et de technologie, reste intacte malgré tous les étirements possibles.

Depuis Tokyo, où ils vivent, les trois pionniers de la mode japonaise génèrent chacun un chiffre d’affaires d’environ 370 millions de francs et provoquent évidemment des vocations chez les jeunes fraîchement diplômés de la célèbre école de stylisme japonaise Bunka. Défiler à Paris est une chose, commercialiser en France et en Europe est une autre paire de manches. Dans la vitrine parisienne d’Onward, boutique du groupe textile japonais Kashiyama, la jupe du facétieux Keita Maruyama occupe tout l’espace, large corolle rouge frappée d’une guirlande de fleurs.  » Mon objectif n’est pas d’en vendre 50, précise la directrice, Christine Weiss, mais de présenter une collection cohérente. Le problème des jeunes Japonais est qu’ils livrent souvent un peu tard et sont handicapés par la hausse du yen. « 

Restent les audacieux, prêts à ouvrir leur propre boutique. Dans le Marais toujours, Tsumori Chisato a pignon sur rue depuis un an. Cette ex de chez Issey Miyake (il est actionnaire) profite de l’assise de ses 30 boutiques japonaises pour présenter une collection bien à elle (quasiment pas de plis!), un peu bancale et poétique. Mais la surprise pourrait (encore) venir de Comme des garçons. Dans quelques mois, la marque quittera sa boutique historique des Halles pour un fond de cour proche de l’Elysée. Le magasin, dessiné par la patronne pour ses  » co-conspirateurs « , va s’inscrire dans la lignée de la nouvelle adresse new-yorkaise. Un tunnel en aluminium pour entrée et des espaces blancs et aveugles  » private feeling  » bien délimités pour chaque ligne assurent un magasin  » pour ceux qui comprennent la marque « . Une fois encore, Comme des garçons pourrait déclencher une nouvelle tendance.

Marie Simon Carnet d’adresses en page 66

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