Retrouver le berceau de la Terre, s’immerger dans la nature sauvage de l’Extrême-Orient russe, survoler des chapelets de volcans en éruption, suivre les ours à la trace au bord des rivières… Voici quelques-unes des expériences magiques qu’offre le Kamtchatka, petite péninsule tout au bout de notre continent, face au détroit de Béring.

A dix heures d’avion depuis Moscou, le Kamtchatka se mérite. Dans le gros Iliouchine qui nous transporte, il n’y a ni film ni musique, mais d’innombrables bambins qui prennent les allées pour des cours de récréation… Le choc est brutal lorsque l’on se pose sur l’aéroport de Petropavlovsk, capitale du Kamtchatka. Heureusement, on oublie vite la décevante architecture de cette ancienne base stratégique soviétique du temps de la Guerre Froide dès que l’on grimpe sur les collines qui la surplombent. Là-haut, le dépaysement est total : on y découvre l’immense baie d’Avatcha encerclée de volcans encore enneigés. Avant de quitter la ville, une visite au marché s’impose, où l’on peut voir les plus beaux saumons du monde et les fameux crabes qui ont fait la réputation du Kamtchatka. Le Kamtchatka n’est pas une destination facile pour les touristes en escarpins soucieux de leur confort. Peu présent dans les élégantes brochures des agences de voyages, il est réservé à une petite élite d’amateurs de la nature, de trekking, de balade en 4×4, qui seuls sauront apprécier l’éblouissante beauté de ce monde oublié. Dans cet Extrême-Orient russe, long de 1 250 km et large de 450 km, vingt-huit volcans, sur cent quatre-vingts, sont en éruption. C’est la plus grande densité au monde de volcans en activité qui crachent, éructent, distillent leurs fumeroles et leurs braises incandescentes. C’est ici, au Kamtchatka, que depuis l’origine des temps semble se situer la matrice de la création terrestre, le ventre bouillonnant de la Terre. Il constitue l’ultime sentinelle face à l’Amérique, et les Koriaks, derniers éleveurs de rennes dans le Nord, ont des ancêtres communs avec leurs voisins d’Amérique, de l’autre côté du détroit de Béring. Les volcans les plus hauts du monde se répartissent dans la taïga en une symphonie mêlant prairies en fleurs, forêts d’épicéas, sources d’eau chaude aux fumées virevoltantes, et lacs de cratères couleur turquoise dont la beauté fait totalement oublier le caractère rudimentaire et parfois inquiétant du petit hélicoptère qui prend les airs quasiment par tous les temps. Les cônes que l’on survole, conservent encore en juillet des traces de neige. En volant plus bas, on aperçoit les ours bruns se baignant en famille dans les rivières pour y attraper les saumons sauvages après s’être gavés d’airelles et de baies. Le voyageur doit savoir qu’à l’exception de la capitale, il ne trouvera pas d’hôtel le long de sa route. Au fil des rencontres et au hasard du chemin, on découvre les logements les plus divers. Des maisons de vulcanologues, mises à disposition des randonneurs où l’on bavarde et où l’on partage les repas et le coucher dans un confort improbable où les poules envahissent la salle commune et où le coq vous réveille aux premiers rayons du soleil.

On campera aussi sous la tente, au bord des rivières, une occasion magique pour pêcher le gros saumon qui remonte le cours d’eau à la recherche de ses origines. Ou bien, on couchera chez l’habitant, dans les isbas des petits villages de bûcherons où il fait bon le soir se servir de la  » bagna « , petite maison au fond du jardin où bout en permanence un gros chaudron d’eau chaude. On peut encore faire une halte dans les cabanes de chasseurs, bien cachées au creux des lacs. Çà et là les petites épiceries de village fournissent les denrées indispensables : vodka d’abord, et mets typiquement russes, poissons séchés à grignoter à l’apéritif, gros cornichons Malossol, charcuterie et légumes locaux… Dès que le soleil se couche vient l’heure du repos et de la préparation du dîner. On porte alors un toast symbolique dans le gobelet de fer et l’on pose l’antique bouilloire sur le feu de bois pour le  » tchaï « , le thé. Chacun peut alors vaquer à ses occupations : pêche, cuisine, tir à la carabine, avant de refaire le monde sous les étoiles. En traversant avec le bac la rivière Kamtchatka, tout le monde parle à tout le monde, un peu comme si on se trouvait dans une île. Le chauffeur qui transporte d’immenses troncs d’arbres est intarissable et la  » babouchka  » qui va vendre ses produits au marché ne l’est pas moins : on évoque le temps qu’il fait, on salue l’étranger, on prodigue des conseils de prudence aux randonneurs. Et l’on parle surtout de tous ces petits villages qui se préparent pour la nuit du samedi soir : là, des groupes de jeunes filles rieuses, coquettes et abondamment maquillées se promènent bras dessus bras dessous sous l’£il des bandes de garçons qui fument cigarette sur cigarette, négligemment assis à côté de leur moto ou à cheval sur leur side-car, comme dans un film des années 1960.

Le long de l’unique route qui remonte vers le nord, les prairies en fleurs, les volcans aux crêtes enneigées alternent avec des scènes de la vie quotidienne où des familles entières se baignent en bavardant dans des sources d’eau chaude, et l’on ne résiste pas à la tentation de s’arrêter à la barrière des isbas pour contempler d’admirables jardins potagers ou d’immenses lilas qui viennent de fleurir. Les grands bazars des villages recèlent de ces petites merveilles oubliées qui enchanteront le pêcheur et le chasseur, mais aussi l’amateur de simple pique-nique qui pourra s’y procurer l’indispensable chapeau à voilette antimoustique qui le fera passer pour un apiculteur. Il faut vite profiter du Kamtchatka qui a su préserver toute la beauté du monde à sa création et où le spectacle des lacs de cratères émeraude, de la lave en fusion, des sommets enneigés et des ours patauds partant à la pêche resteront à jamais gravés dans nos mémoires.

Reportage : Elisabeth Lefebvre

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content