Des montagnes qui tombent dans la mer, des criques sauvages par dizaines, des villes qui rappellent Venise : ce pays confetti regorge de richesses secrètes. Découverte par les chemins escarpés.

À 40 kilomètres de la capitale, Podgorica, la route disparaît, happée par les à-pics des canyons. La voiture tangue entre des nids-de-poule abyssaux et des cailloux taillés comme des météorites.  » Quand Dieu créa le monde, il tenait à la main un sac plein de montagnes, mais le sac vint à crever au-dessus du Monténégro et il tomba cette masse effroyable de rochers  » : ce constat du géographe Elisée Reclus date d’il y a plus d’un siècle, mais il est toujours vrai, au grand regret du voyageur qui tente l’exploration des sommets. La route grimpe en direction de Zabljak – une cinquantaine de kilomètres sur la carte, deux heures au volant. La totalité du Monténégro est occupée par les Alpes dinariques, qui traversent les Balkans de l’Albanie au sud jusqu’à la Slovénie au nord. Ces cathédrales de pierre labyrinthiques, les Ottomans n’ont jamais réussi à les conquérir, en dépit de cinq cents ans d’efforts : pensée peu réconfortante, mais que vient effacer un panneau salvateur indiquant enfin le massif du Dormitor. Des steppes cernées de sommets enneigés surgit un décor de western : quelques maisons en bardeaux le long d’une rue, trois hôtels éclairés au néon, c’est Zabljak. Station de ski l’hiver, c’est le point de départ l’été de magnifiques randonnées vers le lac Noir et le canyon de la rivière Tara, dont les eaux turquoise sinuent mille mètres plus bas.  » Liz Taylor et Richard Burton ont séjourné ici en 1971, à la grande époque, quand Tito et tout le gratin du gouvernement venaient ici en vacances « , regrette Darko, le guide. Depuis, le Monténégro a quitté la Yougoslavie et accédé, en 2006, à l’indépendance qui fait le bonheur des fortunes russes.

Ils sont ici, le long de la côte adriatique, les nouveaux rich and famous de cette jeune république : surtout à Budva où, autour de la magnifique citadelle, poussent les marinas et les villas flanquées de Ferrari. Mais un peu partout ailleurs les rivages ont arrêté le temps. Plus à l’est, le maquis galope le long de criques désertes. Une perle jaillit des flots : ronde et coiffée de murailles moyenâgeuses, c’est Sveti Stefan. Dans cette ex-forteresse reconvertie en palace dans les années 50, Sophia Loren, Kirk Douglas ou Jeremy Irons ont admiré le soleil se couchant dans l’Adriatique.

Une seule route file à l’ouest, vers le joyau du Monténégro : les bouches de Kotor. Un fjord tombant droit dans la mer immobile comme un lac de montagne, des villages où demeures et cyprès se mirent comme dans celui de Côme, en souvenir du temps où l’Adriatique était vénitienne (entre le xve et le xviiie siècle). Depuis Tivat, un tunnel traverse la montagne pour rejoindre le fond des gorges : évitez-le. Il faut longer l’étroit rivage au ralenti, dérouler à 20 à l’heure le ruban qui, depuis le xve siècle, noue ensemble les jolis villages de pêcheurs, déplier une baie puis l’autre, et voir apparaître au fond les murailles de Kotor. Derrière les portes armoriées de la ville, des palais et des placettes, des ruelles biscornues dont l’histoire remonte au Moyen Âge et qui ne sont pas tout à fait d’époque : Kotor a été détruite aux trois quarts par un tremblement de terre en 1979, et chaque monument reconstruit pierre par pierre. Une muraille zèbre la montagne : la grimpette est rude, mais, du haut des 1 426 marches, la vue ne s’oublie pas. On aperçoit au loin Perast, musée d’architecture baroque et ex-rivale chic de Kotor, aujourd’hui endormie au milieu de ses 17 églises. On se pose sur la terrasse de l’Admiral, face aux deux îles qui décorent la baie. Une barque vous emmène à celle de droite, Notre-Dame-du-Rocher, en référence à la patronne des marins, qui fut bâtie en 1424 sur des carcasses de bateaux coulés un à un. Le musée abrite un émouvant vestige : des anges brodés vingt-huit ans durant de fils d’or et des cheveux, d’abord blonds puis blancs, de cette Pénélope monténégrine morte sans avoir revu son époux marin.

La route qui suit force elle aussi l’admiration : de Kotor, la  » Serpentine  » zigzague sur la paroi rocheuse, élevant les voyageurs à plus de mille mètres au-dessus des fjords. Entre les deux baies, une ferme s’est postée au-dessus du gouffre. Quelque 30 kilomètres (et une heure) plus tard apparaît la raison de ces travaux herculéens : Cetinje, ancienne capitale du royaume du Monténégro. Le long des avenues plantées de platanes et des palais rococo dignes d’un décor d’opérette ricochent les échos d’un temps où la dynastie Petrovitch Njegosh accueillait la crème de l’aristocratie et mariait ses princesses aux rejetons des cours royales d’Europe, tout en luttant vaillamment contre l’Empire ottoman. Compliqué ? Sans doute. Qu’un territoire deux fois plus petit que la Belgique cumule autant de subtilités historiques, géographiques donne la mesure de sa richesse. Tout comme une visite surprenante, celle d’une maquette géante et en relief du pays, fabriquée par les Autrichiens pendant la Première Guerre mondiale. L’£il suit les lignes des côtes – parmi les plus belles des Balkans – des plaines qu’il y en a peu ! – et se perd dans les montagnes. Chaque maison est dessinée, chaque crique, chaque route. Que tout soit si petit enrichit davantage le mystère.

Par Nathalie Chahine

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