Barbara Witkowska Journaliste

Le jeune couturier Ioannis Guia puise son inspiration dans le superbe patrimoine de son pays pour dessiner des silhouettes souples et fluides, d’une féminité audacieuse et affirmée. Pleins feux sur son été 2004.

Carnet d’adresses en page 72.

Son atelier – showroom est aménagé au fond d’une jolie cour parisienne du IIIe arrondissement de Paris. Il y règne une ambiance paisible et studieuse. Ioannis Guia, secondé par une poignée de couturières et de brodeuses, travaille comme les artisans d’antan. Tout est réalisé sur place. Les murs sont envahis par des croquis, des dessins et des photos. Sur les étagères, des balles de tissus précieux côtoient des échantillons de dentelle, de cuir et de fourrure. Des collections de boutons, de perles et des chaînes sont soigneusement rangées dans des boîtes. Les plus belles pièces du dernier défilé sont accrochées bien en évidence. D’emblée, le regard est flatté par la beauté, la cohérence et le raffinement des coloris. Des camaïeux de gris et de bleus foncés voisinent avec des noirs et des blancs, se réchauffent de tonalités blondes, crémeuses et poudrées. Ensuite, on admire avec ravissement les multiples ornements et les détails sophistiqués : des juxtapositions élaborées, des ombres métallisées et des reflets brillants. Le tout travaillé dans une exubérance qui évoque les fastes de l’Orient. Petit à petit, l’esprit de la collection se dévoile. On aperçoit la belle géométrie des lignes et des formes. Elles sont parfaites et rigoureusement construites. Le tomber est magnifique, fluide et ondoyant, superbement mis en valeur par la finesse des plissés et l’harmonie des draperies.

 » Je suis né en 1963 à Salonique, la deuxième ville de Grèce, souligne Ioannis Guia. L’histoire y est bien tracée. Le patrimoine hellénique s’y mêle aux vestiges byzantins, car la ville était occupée par les Turcs pendant trois siècles. Mes grands-parents ont vu le jour sous l’occupation turque. Cela dit, la tradi- tion familiale est bien grecque. Je garde de bons souvenirs de mon enfance. Ma plaine de jeux avait pour cadre des colonnes antiques, des bains romains, des églises du IIIe siècle après Jésus-Christ et des maisons turques. On retrouve, sans doute, toutes ces réminiscences dans mon travail. Même si je n’y pense jamais, ces passages de civilisations et de cultures ont formé mon identité. Je ne cherche pas à faire revivre la Grèce idéalisée, mais justement cette Grèce métissée, enrichie par des apports de cultures différentes.  »

Le jeune Ioannis est un élève appliqué. Très tôt, sa vocation de créateur de mode se révèle comme une évidence.  » C’est comme ça, on le sait « , note-t-il avec un sourire malin. Fortement imprégné par l’ambiance de son enfance, il veut inscrire  » sa  » mode dans un contexte historique. Il entame donc une licence à la faculté d’histoire à l’université de Salonique. Parallèlement, il s’inscrit à Esmod Veloudakis, la filiale grecque de la célèbre mode de stylisme parisienne. Deux diplômes en poche, il débarque à Paris en 1993. Pour compléter sa formation, il décroche un DEA (diplôme d’études approfondies) en anthropologie historique. Le comportement humain au fil des siècles, à travers l’hygiène, l’alimentation et la mode, n’a plus aucun mystère pour lui. Connaissant ainsi le passé sur le bout des doigts, Ioannis Guia se projette ensuite vers l’avenir et travaille dans un bureau de style, où pendant trois ans, il détermine les tendances futures. Ces premières expériences éclectiques aboutissent comme à une  » libération des idées « . Pour lui, le moment est venu de se lancer à son compte et de réaliser son objectif d’adolescent : créer du prêt-à-porter haut de gamme. Son style est déterminé dès le départ. Il veut habiller la femme bien dans sa peau, qui a le plaisir de vivre et n’a pas honte d’afficher sa féminité, pimentée au besoin d’un côté show of, un brin provocant. Moderne et indépendante, elle n’a de comptes à rendre à personne.

 » Mon style a été influencé et s’est affiné par les études d’histoire, commente Ioannis Guia. Jusqu’au XIXe siècle, la mode était une affaire d’homme. Le ton était donné par des rois et leurs tenues d’apparat richement ornées. Le XIXe siècle a vu apparaître une nouvelle valeur, l’argent. L’homme riche est strict et rigoureux, vêtu invariablement d’un costume noir. L’argent qu’il gagne se voit sur sa femme, somptueusement parée. J’avais envie de mixer les deux, d’associer des éléments masculins et féminins. Dans mes vêtements, très féminins, flous et vaporeux, j’applique une grande rigueur dans les formes et les coupes. Dans les blouses, les tuniques ou les chemises, on perçoit à la base une géométrie très stricte, un peu masculine.  »

Ioannis Guia dessine deux collections par an, mais ne se considère pas comme un créateur à thèmes. A chaque saison, il interprète et peaufine les mêmes envies et  » obsessions « .  » Tous les gens qui créent ont des obsessions, explique-t-il. Picasso avait ses périodes, bleue, rose… Mes obsessions tournent autour des plis, des drapés, des dentelles rebrodées. D’une saison à l’autre je les retravaille pour les affiner, les faire évoluer, les rendre plus éloquentes, par l’addition de nouveaux éléments.  » Le jeune quadra aime travailler les matières les plus classiques : des lainages de grande qualité, des cotons suisses, des mousselines poids plume, de belles dentelles anciennes. Pour les réactualiser et les personnaliser, il y ajoute des fibres métalliques, il fait broder des pierres de couleurs, des sequins de métal ou de cuir. Les vêtements ont des finitions artisanales à la main, ils sont tous très habillés. Mais on y découvre aussi une facette contemporaine, très tendance, de par leur caractère multifonctions. Un pantalon corsaire accompagné d’un gilet bustier noir tout simple, forme une tenue élégante et décontractée. Elle devient très habillée lorsque le même gilet bustier est décoré, à l’intérieur, de dentelle de Calais.  » Je préfère la dentelle de Calais à la dentelle de Chantilly, trop simple à mon goût, note Ioannis Guia. J’aime la dentelle très riche, élaborée, exubérante, rebrodée avec du métal, du cuir ou des perles.  » Les tuniques souples et fluides, empruntées à la statuaire grecque, peuvent se combiner avec des shorts, des corsaires ou avec d’amples pantalons en dentelle. Le créateur s’amuse aussi à proposer des robes comme inachevées où une partie est découpée ou supprimée. Ce sont alors des éléments décoratifs, des liens ornés de perles ou des fils métalliques qui retiennent l’ensemble et achèvent la tenue. Et partout, la chair se voile et se dévoile, l’ombre joue avec la lumière, la matité exalte la brillance, l’opacité appelle la transparence, l’or se marie avec bonheur avec l’argent, la rigueur répond en écho à la fantaisie. Ioannis Guia manie admirablement l’éternel concept du métissage et du yin et du yang.

Barbara Witkowska

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