A Paris, le Centre Wallonie-Bruxelles focalisera bientôt l’attention du public sur seize talents méconnus de la Communauté française de Belgique. Gros plan sur une exposition qui veut placer la mode sous les feux de l’extrême.

 » Mode à l’extrême  » se tiendra du 18 septembre au 10 octobre prochain au Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129, rue Saint-Martin, à 75004 Paris. L’exposition sera accessible gratuitement tous les jours, sauf le lundi et les jours fériés, de 11 à 20 heures en semaine et de 11 à 19 heures le week-end. Tél. : + 33 1 53 01 96 96.

Le tic est systématique : à l’étranger, le concept de mode belge rime généralement avec l’Académie d’Anvers. Certes, la fameuse bande des Six et leurs héritiers spirituels issus de la même école ont indéniablement planté le décor d’un nouveau style  » made in Belgium  » depuis la fin des années 1980, mais réduire aujourd’hui la griffe belge au seul pôle anversois serait toutefois une grossière erreur. Car l’axe Wallonie-Bruxelles a généré lui aussi, au cours de la décennie 1990, son lot de talents étincelants reconnus également sur la scène internationale. De Véronique Leroy à Olivier Theyskens, en passant par Xavier Delcour, José Enrique Oña Selfa, Jean Paul Knott ou encore Laeticia Crahay, on ne compte plus les créateurs confirmés nés dans le sud du pays et/ou formés au c£ur de notre capitale. Mieux, une nouvelle génération de stylistes francophones démontrent un peu plus chaque jour, avec des récompenses prestigieuses à l’appui, que la créativité belge n’est plus exclusivement anversoise à l’aube de ce xxie siècle.

Particulièrement sensible à ce rééquilibrage des forces en présence, le Centre Wallonie-Bruxelles de Paris a voulu rendre hommage aux créateurs de cet axe sous-estimé à travers une exposition d’envergure, originale et décoiffante. Du 18 septembre au 10 octobre prochain, l’endroit situé rue Saint-Martin (juste en face du Centre Georges Pompidou) accueillera donc la manifestation  » Mode à l’extrême  » dédiée à seize talents de Wallonie et de Bruxelles. Bien sûr, il aurait été évident et facile de glorifier le savoir-faire des vedettes déjà médiatisées, mais les organisateurs ont plutôt choisi, pour l’occasion, de révéler l’audace de stylistes plus discrets et de jeunes diplômés des écoles de mode de la Communauté française de Belgique.

Parmi eux, il y a d’abord les créateurs connus par les habitués des quartiers branchés de la capitale belge mais qui n’ont malheureusement pas encore explosé sur la scène internationale. Tous ou presque possèdent une boutique dans les environs de la fameuse rue Antoine Dansaert à Bruxelles et n’ont plus vraiment besoin de faire leurs preuves sur le plan commercial. C’est par exemple le cas d’Annemie Verbeke, de Christophe Coppens, d’Azniv Afsar, de Sofie D’Hoore, d’Eric Beauduin et de Yaël Landman. Il y a ensuite les jeunes pousses prometteuses qui se sont déjà illustrées sur les podiums des grands festivals de mode mais qui n’ont pas encore vraiment pignon sur rue. En vrac : Sandrina Fasoli, auréolée du Grand Prix du Festival international des Arts de la Mode de Hyères (France) en 2003 ( lire aussi son duo de mode avec Dirk Bikkembergs en pages 34 à 38) ; Valeria Siniouchkina, lauréate du Prix Henri Bendel au même festival un an plus tôt ; Daniele Controversio et Cathy Pill, respectivement vainqueurs des concours  » ITS#ONE  » et  » ITS#TWO  » organisés à Trieste (Italie) en 2002 et en 2003 ; ou encore Laurent Edmond, lauréat ex-aequo avec Sandrina Fasoli du Prix 1,2,3 au Festival de Hyères l’année dernière. Et enfin, il y a les créateurs hors normes. Soit parce qu’ils choisissent un univers textile particulier comme Daniel Henry ou haut de gamme comme Michael Guerra, véritable représentant d’une haute couture à la belge. Soit parce qu’ils s’isolent tout simplement sur une planète savoureusement déjantée comme Olivier Reman, Willy ou encore Jean-Paul Lespagnard.

Réunis sous la même bannière d’une inventivité encore mal connue à l’étranger, ces seize as de l’aiguille seront donc prochainement à l’honneur au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris. Si certains n’ont pas, contre toute attente, la nationalité belge, tous ont cependant pris leurs racines créatives dans le sol fertile de la Communauté française de Belgique, comme le souligne d’ailleurs Olivier Zeegers, commissaire de l’exposition :  » On peut en effet s’étonner de compter, parmi ces seize talents, une Italienne, une Russe, un Français ou encore une Arménienne, reconnaît-il sans détour. Ce métissage culturel démontre en réalité que Bruxelles et la Wallonie représentent plus que jamais une terre d’accueil et de création artistique. Tous, quels qu’ils soient, ont trouvé chez nous un espace propice à l’épanouissement de leur créativité et c’est finalement le message principal que nous souhaitons faire passer à travers cette exposition.  »

Pour révéler au grand public ce bouillonnement créatif  » made in Wallonie-Bruxelles « , Olivier Zeegers s’est adjoint les services du scénographe Philippe Blondez. Installé en France depuis près de quinze ans, ce directeur artistique originaire de Tournai (qui est également l’éditeur de  » BIL BO K « , le magazine des errances contemporaines) a déjà fait ses armes dans le domaine vestimentaire puisqu’il a mis en scène un défilé de mode dans le pavillon belge de l’Exposition universelle d’Hanovre en l’an 2000. Pour  » Mode à l’extrême « , son approche se voulait avant tout collective :  » Personnellement, j’aime le travail d’équipe, affirme d’emblée Philippe Blondez. Pour cette exposition, l’idée consiste donc à présenter un ensemble cohérent et plutôt intimiste qui tourne autour du thème de la jeunesse. Nous avons donc demandé à chacun des seize participants de nous fournir une création originale que nous avons mis en scène de manière décalée ou, pour certains, de façon spectaculaire. Ainsi, quelques robes seront par exemple suspendues par des aiguilles géantes et il y a aura également une petite pièce entièrement recouverte de fourrure qui fera penser à un animal dans lequel on pénètre. Bref, le concept est assez ludique puisqu’il s’agit, en définitive, d’associer ces créateurs à un univers enfantin sans être mièvre pour autant.  »

Pour symboliser au mieux cette double envie artistique, le scénographe a donc imaginé une immense poupée de chiffon qui trônera au milieu des 130 m2 de l’exposition et qui est d’ailleurs reprise en croquis sur l’affiche de la manifestation. De facture réaliste, cette drôle de figurine de six mètres de hauteur (qui n’en fera plus que 3,15 mètres lorsqu’elle sera assise dans les murs parisiens du Centre Wallonie-Bruxelles) a été dessinée selon les plans originaux d’un modèle du xixe siècle exposé au musée de la Poupée de Paris. Bourrée de crin végétal et recouverte d’une toile de lin, elle est toutefois dépourvue de visage et de vêtements.  » Il s’agit d’interpeller le visiteur sans pour autant le déstabiliser, explique Philippe Blondez. Voilà pourquoi nous avons choisi une poupée hors normes, sans visage ni vêtements, histoire de laisser intacte toute la force créative des participants. Elle sert donc de pivot central à l’exposition autour duquel s’harmonisent les différents univers de chacun.  »

Pour l’instant, seules les images qui serviront à garnir le catalogue de  » Mode à l’extrême  » donnent une vague idée du contenu de l’exposition. Certes, ces photos artistiques incarnent l’atmosphère propre à chaque créateur, mais elles ne laissent finalement rien filtrer de la mise en scène particulière des vêtements retenus.  » Toutes les installations ne seront visibles que le jour J, conclut Olivier Zeegers, mais il est d’ores et déjà certain que la scénographie sera très forte. Outre la poupée géante, on peut s’attendre à des créations puissantes telles que, par exemple, une geisha perlée, un cheval fantôme, des jupes volantes, un pique-nique champêtre, des vidéos étranges, un aigle en plastique et même une Vierge enceinte ! Bref, il y aura de l’humour, du talent, de la poésie et surtout beaucoup d’autodérision dans les semaines à venir au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris !  » A bon entendeur…

Frédéric Brébant

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