Surnommé  » le grand soliste de la cuisine transalpine « , ce chef n’a pas son pareil pour affiner ses plats sans pour autant les rendre complexes.  » Ma principale manipulation consiste à caresser les produits « , affirme-t-il.

Dans son pays, l’homme, qui a fait quatre ans de droit et est diplômé en sciences politiques, est appelé  » il grande solista della cucina italiana « . C’est que Fulvio Pierangelini travaille beaucoup de ses mains et fait de la magie avec les produits les plus simples et les plus courants. Il les combine et les présente de manière inventive, tout en respectant les traditions du cru. Dans son restaurant Il Gambero Rosso, à San Vincenzo, un village côtier proche de Livourne, en Toscane, il avait mis les pâtes à la sauce tomate au menu pour prouver qu’un plat ne devait pas nécessairement être compliqué ou prétentieux pour être savoureux. Il vendait d’ailleurs cette spécialité au même prix que ses pasta au homard. En 2008, le Toscan avait surpris ses adeptes en cédant son restaurant après vingt-huit ans de service et en devenant conseiller culinaire pour le groupe hôtelier Rocco Forte.

Avec sa silhouette généreuse, ses vêtements amples et sa longue chevelure bouclée, le sexagénaire ressemble davantage à un directeur de cirque qu’au mentor culinaire d’une chaîne d’hôtels. Il n’empêche, l’homme qui se cantonnait autrefois au périmètre de son restaurant est aujourd’hui connu dans le monde entier grâce à sa passatina di ceci e gamberi – une purée de pois chiches aux crevettes – et a même vaincu sa peur de l’avion. Désormais, il voyage d’une ville à l’autre, pour la société qui l’emploie, afin de former des chefs locaux. Il était récemment au Bocconi de l’Hôtel Amigo, à Bruxelles, pour visiter le marché matinal et essayer de nouvelles préparations aux côtés de son adjoint, Marco Visinoni. Nous avons rencontré ce maître venu de la Botte pour évoquer avec lui toutes les facettes de son art.

Pourquoi avez-vous décidé de fermer Il Gambero Rosso ?

Je voulais regagner ma liberté et souhaitais relever de nouveaux défis. A l’époque, j’étais obligé de reproduire toujours les mêmes plats pour mon enseigne. Aujourd’hui, je travaille à distance avec une dizaine de confrères, qui dirigent à leur tour près de 500 cuisiniers. Tout est soumis à des règles. J’indique un produit et une recette. Il n’y a guère de place pour l’émotion. Grâce aux techniques modernes, nous essayons d’approcher le plus possible du résultat final visé. Ce processus requiert de la patience et est fort complexe. Au temps du Gambero Rosso, la cuisine était un processus spontané et naturel.

En quoi vous distinguez-vous des autres cuisiniers italiens ?

Ma manipulation la plus importante consiste à caresser les produits. La nouvelle génération ne le comprend pas. Lorsque je cajole une tomate, je ne fais qu’un avec elle et un respect mutuel apparaît. A ce moment-là, on comprend que la sauce tomate doit mijoter à feu doux et qu’il est inutile de la remuer. Il est important de sentir, de humer et aussi d’écouter. Il arrive que j’entre dans une cuisine et que j’entende immédiatement que quelque chose ne va pas, qu’un ingrédient bout ou cuit trop fort. Les jeunes gens sont trop pressés. Ils versent un peu d’huile dans une poêle, la font chauffer et y jettent la viande. Moi, je commence par prendre la viande en main, je la masse avec l’huile et les épices et je la pose ensuite délicatement dans une poêle qui, surtout, ne doit pas être trop chaude.

Vous avez visité le marché matinal de Bruxelles. Avez-vous flashé sur certains produits ?

Je suis tombé amoureux des jeunes radis… Je crois que tous les produits ont la même valeur. La truffe n’est pas supérieure à la pomme de terre. Dans ma cuisine, j’ai toujours mélangé les ingrédients dits nobles à ceux de tous les jours. Je mettais tout en oeuvre pour faire découvrir aux clients que les uns n’ont rien à envier aux autres.

Dans votre best of figurent les saint-jacques à la mortadelle, les spaghetti alle vongole rehaussés d’une touche de menthe ou encore la queue de boeuf marinée à la manière de maman. Autant de préparations simples, où les goûts naturels et le travail manuel jouent un rôle important…

Dans ma cuisine, la simplicité n’est pas un point de départ mais un objectif. Quatre choses sont primordiales : la qualité irréprochable des produits, la parfaite maîtrise des techniques, une compétence professionnelle et des temps de cuisson exacts. Pour ma purée de pois chiches aux crevettes, j’ai toujours respecté le timing à la seconde près. C’est à ce prix qu’elle a pu devenir un hit de la nouvelle cuisine méditerranéenne. Elle a véritablement changé la mentalité des Italiens : ils ont commencé à utiliser des produits  » ordinaires  » en gastronomie. La simplicité n’est pas facile à atteindre : plus la préparation est épurée, plus le risque d’échec est grand !

EN PRATIQUE

En guise d’illustration, Fulvio Pierangelini a rejoint la cuisine du restaurant Bocconi, où le maître a préparé des pâtes à la sauce tomate devant nous.  » Tout commence avec la variété des tomates fraîches, insiste-t-il. J’utilise de préférence des Marmandes. Il y a bien d’autres aspects qui influencent le goût : l’huile, les épices, la cuisson, etc.  » Les tomates sont d’abord caressées puis plongées dans l’eau bouillante. Le chef en ôte la peau et le pédoncule avant de les couper en deux, de supprimer les pépins avec le pouce – ils confèrent un goût amer – et de déchirer la chair avec les doigts.  » De cette manière, les tomates absorbent mieux la saveur des épices que si elles avaient été coupées au couteau, justifie-t-il. Le format de la casserole est important également, tout comme le choix de l’huile d’olive. J’ai toujours une bouteille de ma propre huile dans mon coffre. Le fond de la casserole est couvert d’une couche de tomates sur laquelle je pose une gousse d’ail, un brin de basilic, de thym et de sauge et un peu de gros sel. Je laisse ensuite mijoter une dizaine de minutes, sans couvercle et sans remuer ni secouer. En été, les tomates sont suffisamment juteuses ; en hiver, j’ajoute un filet d’eau de cuisson des pâtes et une pincée de sucre. Lorsque la sauce est prête, je retire l’ail et les brins d’herbes aromatiques et je saupoudre la sauce avec les feuilles de basilic déchirées en morceaux et un peu de thym. Je verse ensuite la sauce sur les pâtes fraîchement cuites et je termine par un filet d’huile d’olive et un peu de parmesan râpé.  »

Restaurant Bocconi, Hôtel Amigo, Rocco Forte Hotels, 9, rue de l’Étuve, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 547 47 15. www.roccofortehotels.com

PAR PIETER VAN DOVEREN / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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