Depuis 2003, son histoire s’écrit avec un grand H. Bali Barret a déboulé chez Hermès avec une mission : chahuter le carré. Aujourd’hui, elle supervise l’univers féminin de la maison, donne le meilleur d’elle-même et connaît sa chance.

Avec elle, rien n’est formaté. Bali Barret, directrice déléguée de l’univers féminin d’Hermès, a la parole libre, la voix un peu rauque, le rire clair. Ajoutez à cela des yeux bleu lagon, une silhouette androgyne et une façon unique de porter ses carrés, aujourd’hui Le Trou de mémoire, uni, mais perforé au laser, datant de sa première collection Soie belle. Avec elle, pas d’interview corporate, mais une conversation au débotté, dans La Verrière à Bruxelles, entre la poire et le fromage. Bali Barret est décidément atypique, chic et non conventionnelle. La preuve par 13.

1. ELLE EST NATURE

C’était il y a quelques années, elle était arrivée à l’interview les cheveux trempés, les bottes rouges de même, elle avait garé son scooter sous la pluie, un carré noué sous le casque, elle avait ce je-ne-sais-quoi de rebelle mais chic qui ne s’oublie pas. Quatre ans plus tard, elle ne se déplace plus en scooter, elle a eu un accident, de la chance, beaucoup, cela aurait pu être terrible, elle s’en est sortie avec quelques bosses, des grosses, au genou, mais rien de grave. Elle y a vu un signe, son fils avait alors 4 ans, elle s’est dit :  » Ce n’est pas raisonnable.  » A l’époque, son petit portait des carrés, s’en faisait des capes de Zorro, maintenant qu’il est plus grand, il les a délaissés et, à 6 ans, préfère la cravate, Hermès comme de juste, bon sang ne saurait mentir.

2. ELLE NE LA RAMÈNE PAS

 » Le jour où Pierre-Alexis Dumas (NDLR : le directeur artistique général de la maison) m’a proposé d’être directrice artistique déléguée de l’univers féminin d’Hermès, c’était en janvier 2008, je lui ai dit qu’il était complètement fou. Il m’a répondu : « Mais pas du tout, cela me paraît tellement évident. » En fait, cela s’est fait progressivement, il y avait une familiarité, une aisance, quelque chose de très naturel… Et puis, Pierre-Alexis a un grand talent : il voit des choses chez les gens qu’ils ne voient pas eux-mêmes. En 2003 déjà, il était venu me chercher pour dessiner une collection de soie pour Hermès, et franchement, ce n’était pas une évidence que j’étais la personne à qui il fallait demander ça. Surtout quand on connaissait mon boulot de créateur – je faisais des vêtements plutôt très minimalistes, le carré, c’est le contraire, c’est la profusion. Mais il avait complètement raison, j’étais surexcitée, immédiatement tout m’est venu…  »

3. ELLE EST INDOMPTABLE

Quand Bali Barret a décidé de partir, elle part. Mieux, elle claque la porte. D’Esmod Paris par exemple, l’école de stylisme où elle s’était inscrite à 16 ans, en 1982, mais qu’elle quittera avant la fin du cursus, préférant apprendre le métier dans la vraie vie.  » J’avais conscience que c’est un métier dont le savoir-faire s’acquiert avec les autres. J’ai travaillé plusieurs années à dessiner des collections en Espagne, en Italie, en France, aux Etats-Unis, j’ai bossé pour le haut de gamme, le moyen de gamme, le mass market parce que les mécaniques m’intéressaient, j’ai fait le tour des possibilités et un jour, je me suis dit « fonce », je voyais à peu près où j’avais envie d’aller et je m’en sentais capable.  » Elle crée  » Bali Barret « , on est en 1998.

4. ELLE AIME LES ARCHIVES

Celles de la Carréothèque d’Hermès, à Pantin et à Lyon,  » où tout est rangé, chronologiquement, chaque carré accroché sur un cintre, de la première coloration à la dernière et depuis la création du carré en 1937, dans une pièce climatisée, assez petite, sur trois hauteurs. En septante-cinq ans, presque trois mille dessins ont été créés, j’en connais beaucoup mais à chaque saison, quand je fais des choix pour les rééditions, je balaie les archives et je découvre des choses que je n’avais pas repérées.  »

5. ELLE EST CONTEMPORAINE

Elle aurait pu s’asseoir sur les lauriers de la maison, se contenter de jouer de sa notoriété, de sa reconnaissance et de son histoire, se cantonner à tout cela, mais non.  » L’histoire, l’héritage sont fabuleux, il faut s’en servir « , dit-elle. En prenant bien garde de réitérer l’exploit,  » montrer cet héritage d’une façon qui donne envie « . Ne pas faire d’Hermès ni du carré un musée.  » J’ai cette esprit aventurier, j’aime l’époque, la nouveauté, je ne suis pas classique entre guillemets. Et j’ai aussi une adoration pour les choses anciennes, la tradition. C’est le mariage de deux qui est passionnant…  »

6. ELLE NE PRATIQUE PAS LA LANGUE DE BOIS

 » La pression marketing ? Zéro, elle est inexistante. La grande différence d’Hermès, c’est celle-là : la création est reine. Mais je suis convaincue de l’osmose nécessaire ; l’idée que les créatifs font ce qu’ils pensent qu’ils doivent faire et que les autres n’ont qu’à suivre, cela ne marche jamais totalement. Je pense qu’un travail créatif a besoin de cet accompagnement qui rend les choses viables, réelles, vivantes, jusqu’au client final. Une grande partie de mon travail est de créer cet esprit-là : que les gens qui vont porter le projet – aussi bien dans sa réalisation technique, industrielle ou médiatique – soient aussi convaincus que le créateur.  »

7. ELLE AIME RÉVÉLER LES TALENTS

 » Christophe Lemaire, c’est un beau choix. Avec Pierre-Alexis, je suis à l’initiative du recrutement de Christophe à la direction artistique du prêt-à-porter Femme, en 2011. C’est un contemporain, pour ne pas dire un concurrent, à l’époque de ma marque. Nous avons beaucoup de choses en commun, dans la démarche, dans l’état d’esprit, cela paraissait assez évident. Puis j’aime aussi l’idée qu’Hermès agisse comme révélateur, qu’on ne prenne pas forcément quelqu’un qui soit très reconnu ou médiatisé. Je ne suis pas sûre que Christophe, même si ce n’est pas un jeune homme et qu’il a déjà un beau trajet, ait eu jusque-là les conditions idéales pour exprimer tout son talent. Je trouvais bien de jouer ce rôle-là…  »

8. ELLE N’EST PAS INSPECTEUR DES TRAVAUX FINIS

 » Je crée les collections soie, je mets au point des soies et je reçois six dessinateurs par semaine pour faire réaliser les dessins des carrés, je dessine aussi, bien sûr, c’est important pour moi. En aucun cas, je ne voudrais être un inspecteur des travaux finis, ce n’est pas mon truc, du tout, j’ai besoin de garder les mains dans la cuisine.  »

9. ELLE EST ZEN

 » Je suis une travailleuse acharnée, j’aime ça, je fais toujours deux cents trucs en même temps mais je n’ai aucun stress.  »

10. ELLE A DES OBSESSIONS VESTIMENTAIRES

 » Mes obsessions ? Les vêtements masculins tels que les vestons de garçons, de banquiers, les blazers, les chemises d’hommes – j’ai une collection de chemises blanches, bleu ciel, en oxford, en fil à fil -, et les jeans – j’ai des jeans dans tous les denims mais toujours le même poids et des jeans blancs pour l’été. Je suis toujours habillée pareil, vraiment j’ai des obsessions : un trench par-dessus en drap, très simple, du cachemire, un col roulé, en V ou ras de cou, avec coudes ou sans coudes, les volumes varient et les longueurs aussi, selon les époques et mes envies du moment. Pareil pour les vestons, plus petits, plus courts, plus grands, épaules ou au contraire pas d’épaules, trois boutons, deux boutons… Et des pantalons en cuir pour l’hiver. Des talons ? Parfois, parfois pas, je m’habille en garçon mais je suis une fille pour autant !  »

11. ELLE AIME MARTIN MARGIELA

 » Les pièces que Martin Margiela a créées quand il était directeur artistique du prêt-à-porter Femme chez Hermès sont sublimes, je continue à les voir dans la maison, sur des collaborateurs, cela ne prend pas une ride, on a envie de les voler, vraiment.  »

12. ELLE PORTE DU BALI BARRET

 » Je me suis créé une alerte sur Google et je rachète des pièces Bali Barret. Et je retrouve des trucs bien, j’ai racheté une robe il n’y a pas longtemps, une veste en velours que je n’avais pas dans cette couleur-là. Les vendeurs sont surpris quand ils me demandent à quel nom envoyer le colis…  »

13. ELLE S’APPELLE MARIE-AMÉLIE

 » Bali, c’est un surnom, on me l’a donné quand j’étais bébé, la petite histoire dit que c’est ma soeur aînée qui m’a appelée comme ça. Cela dit, si on crie Marie-Amélie dans la rue, je me retourne, ce prénom n’est pas commun, il y a de grande chance que ce soit pour moi.  »

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content