A 29 ans, l’actrice indienne, égérie de L’Oréal Paris, est aussi une jeune femme engagée. Rencontre exclusive, à l’ombre des marches du Festival de Cannes, avec une fille de son temps.

Freida Pinto n’a pas de mal à le reconnaître : elle n’est pas une championne des réseaux sociaux. Elle y est, parce que cela se fait, sans doute, pour une actrice même pas trentenaire, de construire ainsi avec sa  » fanbase  » une sorte de proximité. Alors elle poste – elle-même s’il vous plaît et cela se sent -, de temps à autre, des images, sur Instagram surtout, déçue parfois de la platitude de certaines réactions de ses  » followers  » qu’elle trouve  » insensées « . Mais cette fois, elle ne s’est pas contentée de balancer une photo d’elle dans une robe sublime aux côtés de Dev Patel, son partenaire dans Slumdog Millionaire devenu l’homme de sa vie. Freida, aujourd’hui, s’est donné une mission : user, et abuser même s’il le faut, de sa notoriété pour sensibiliser le plus de monde possible au sort des 270 lycéennes nigérianes enlevées par le groupe islamiste Boko Haram en avril dernier.  » Quand j’ai entendu cette histoire, comme tout le monde, j’étais horrifiée, justifie-t-elle. Tous les mômes devraient avoir droit à l’éducation. Se dire qu’il existe des gens capables de penser que parce que ce sont des filles, on peut les priver de cela, c’est profondément injuste. Sans parler de cette menace qui pesait sur elles de se retrouver mariées de force. Elles ont 15 ans à peine… Elles sont tellement jeunes, ce sont encore des enfants.  » Une indignation sourde couve dans sa voix mélodieuse. Ce combat, Freida Pinto le connaît bien, elle qui est depuis 2011 l’une des ambassadrices de la campagne de Plan International  » Because I’m a Girl  » en faveur de l’éducation des filles dans les pays défavorisés. Ce jour-là pourtant, l’ambiance est à la fête : dans quelques heures, l’actrice indienne découverte dans le film de Danny Boyle, il y a six ans, montera les marches mythiques du Festival de Cannes aux côtés de Leïla Bekhti et de Sonam Kapoor, comme elle égéries de la marque de cosmétiques L’Oréal Paris. Mais avant d’enfiler la robe de conte de fées du jour – signée Oscar de la Renta -, celle qui peut déjà se vanter d’avoir tourné avec les plus grands – on pense à Woody Allen, Julian Schnabel, Terrence Malick… – n’en rate pas une pour mettre en lumière les causes qu’elle défend.  » Si vous avez la chance d’être connu et d’avoir peut-être une petite influence sur le cours des choses, il faut utiliser ce pouvoir, insiste-t-elle. C’est une question morale.  » Elle ne le cache pas : dans l’interview qui suivra le déjeuner pris sur le terrasse du 7e étage du Martinez, dans la suite qu’occupe le géant français partenaire officiel du Festival depuis 1997, elle n’a pas vraiment envie de ne parler que de sa vision de la beauté… Message reçu et approuvé.

Vous faites partie de ces stars qui pensent qu’elles ont une certaine responsabilité vis-à-vis de leurs fans. Ce statut de  » role model  » n’est pas trop difficile à vivre par moments ?

Cela n’a bien sûr jamais été mon objectif dans la vie de servir de modèle à qui que ce soit. Mais dès que vous êtes un peu connu, certaines personnes peuvent avoir envie de vous ressembler, de s’inspirer de ce que vous faites. J’essaie donc d’agir de manière responsable.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

C’est venu progressivement et bien sûr, ça a commencé en regardant, dans ma jeunesse, les superproductions de Bollywood. Mais mon père nous a aussi très vite montré, à ma soeur et à moi, des films des années 80, très différents de ce que l’on peut voir aujourd’hui. A l’université (NDLR : Freida Pinto a étudié la littérature anglaise au St. Xavier’s College de Bombay), j’ai découvert le travail du réalisateur indien Satyajit Ray. Ma soeur, elle, a commencé à ramener à la maison des films de Wong Kar-Wai. Je suivais aussi un cours d’histoire du cinéma où l’on regardait Citizen Kane d’Orson Welles, des films de Jean Renoir, d’Alfred Hitchcock… C’était magique.

Mais vous avez dû vous battre pour y arriver. Vous dites d’ailleurs souvent que cela vous a beaucoup appris d’avoir dû gérer les refus pendant des années…

Et je le pense toujours ! C’est le seul moyen de véritablement apprécier ce qui vous arrive. Si j’étais venue d’une famille travaillant déjà dans le cinéma, tout m’aurait été offert sur un plateau. Je n’aurais pas été équipée mentalement pour faire face à la pression de ce business. J’aurais été trop choyée trop tôt, ce qui m’aurait sans doute freinée dans mon développement personnel. Même si aujourd’hui je suis très entourée, cela ne m’empêche pas de savoir ce que je veux faire de ma vie et de prendre moi-même mes décisions.

Justement, ne risquez-vous pas d’être cantonnée, dans les films internationaux, au rôle de la jolie exotique de service ?

Il faut oser dire non à ce type de rôle stéréotypé. Mais être aussi capable de refuser d’incarner un certain genre de fille… tout court ! C’est difficile, je me demande parfois si à force de décliner certaines offres, je ne vais pas me retrouver face à une traversée du désert, mais jusqu’ici, cela s’est plutôt bien passé.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre dernier tournage justement, sous la direction de Terrence Malick ?

J’aimerais bien ! Ce n’est pas que je n’en ai pas le droit ! Je ne sais pas quoi vous dire. Tous les acteurs qui ont travaillé avec Terrence vous le répèteront : jusqu’au bout, il garde le mystère. Mais je vous le confirme : j’ai tourné avec lui et c’était une expérience extraordinaire, une manière non conventionnelle de faire du cinéma, basée sur l’improvisation. Sans compter que j’avais pour partenaire Christian Bale qui est l’un des acteurs les plus iconiques de ma génération. J’espérais secrètement que le film soit montré à Cannes, car le cinéma de Terrence Malick est très apprécié ici (NDLR : il a remporté la Palme d’Or en 2011 avec le film The Tree of Life). Il sera peut-être sélectionné pour la Mostra de Venise, en septembre prochain, qui sait ?

Vous-même, vous n’êtes pas venue à Cannes que pour monter les marches, j’imagine ?

J’ai la chance d’être conviée chaque année par L’Oréal Paris depuis que je suis l’une de leurs égéries et c’est toujours un vrai plaisir. Mais cette fois, je suis là également pour trouver des partenaires pour un film dans lequel je jouerais mais que je produirais aussi. Le tournage se partagerait entre l’Inde et les Etats-Unis. C’est une évolution naturelle dans ma carrière. Lorsque vous êtes sur un plateau en tant qu’actrice, vous avez une certaine perception de ce qui s’y passe, vous voyez comment les choses auraient pu être faites autrement. Je veux rester comédienne, mais en devenant productrice, je pourrais choisir les histoires que j’aurais envie de raconter aux gens. Cela me permettrait aussi d’avoir plus de contrôle sur mon travail, sur le genre de films que je tournerais. C’est agréable de faire partie du cercle des femmes productrices. Il n’y en a pas encore tant que cela mais nous sommes de plus en plus nombreuses.

Ce soir, vous allez monter les marches du Palais des Festivals pour la présentation du film de Tommy Lee Jones, The Homesman. Savez-vous déjà ce que vous allez porter ?

Une robe d’Oscar de la Renta. Il ne reste plus qu’à finaliser l’essayage. Lorsque j’ai fait un choix, je m’y tiens. Je ne suis pas du genre à me décider à la dernière minute et à hésiter pendant des heures devant mon miroir entre plusieurs tenues. Au fil du temps, j’ai pu tisser des liens privilégiés avec des créateurs comme Oscar de la Renta justement, Michael Kors ou Frida Giannini chez Gucci qui ont eu la gentillesse de créer des robes spécialement pour moi. La maison Chanel m’a aussi soutenue depuis le premier jour.

C’est votre styliste qui choisit pour vous ?

Parfois, mais pas toujours ! En réalité, j’en ai même deux, une aux Etats-Unis, une en Inde. Et à Cannes, Michael Angel est en charge du stylisme des égéries L’Oréal Paris. Mais je peux aussi craquer pour quelque chose qui me plaît, l’acheter et le porter ! J’aime mettre en avant, quand c’est possible, le travail de jeunes créateurs comme Sanchita Ajjampur, Prabal Gurung ou Thakoon qui ont tellement de talent. Le Festival de Cannes est une si belle vitrine.

Vous faites partie de la grande famille des égéries L’Oréal Paris depuis 2009. Cette marque est-elle très connue en Inde ?

Bien sûr ! Entre autres pour les rouges à lèvres Color Riche. J’adore les nouvelles couleurs rouges et pourpres qui vont sortir à l’automne prochain. Ça tombe bien puisque je suis l’un des visages de la campagne. Mais dans les endroits les plus reculés du pays, quand on dit L’Oréal Paris, on pense d’abord aux shampoings qui sont vendus chez nous aussi en sachets, de la taille d’un gros échantillon. La dose est tellement généreuse qu’elle sert souvent pour une famille entière. C’est vraiment un chouette concept car cela permet aux personnes qui n’ont peut-être pas les moyens d’acheter une bouteille entière de s’offrir ce produit.

Parmi vos collègues de l’  » écurie  » L’Oréal Paris, comme on dit parfois, y en a-t-il une dont vous vous sentez plus proche ou que vous admirez particulièrement ?

Jane Fonda ! Je rêverais d’être sa meilleure amie, vous savez, le genre de copine que l’on peut se permettre d’appeler même à 2 heures du matin. Elle est tellement vraie, cash même. Je me souviens d’un jour où elle avait un peu mal au dos, elle était fatiguée et j’ai proposé d’aller chercher son agent ou sa manager. Elle m’a répondu qu’elle voyageait seule et que nous, les filles d’aujourd’hui, nous étions beaucoup trop gâtées. Qu’elle devait tout faire elle-même quand elle avait notre âge, qu’elle choisissait et achetait les robes qu’elle allait porter. Je me suis dit ce jour-là qu’elle avait énormément de choses à m’apprendre.

Est-ce vrai que vous vous verriez bien travailler pour la télévision ?

J’adorerais ça ! Regardez la mini-série Top of the Lake qu’a réalisée Jane Campion, la présidente du jury du Festival, cette année. J’ai rarement vu un personnage aussi fort que celui qu’interprète Elisabeth Moss (NDLR : la Peggy de Mad Men) sous sa direction.

Etes-vous plutôt Los Angeles ou Bombay ?

Dans mon coeur, je reste plutôt une fille de Bombay. C’est là que les choses me sont le plus familières, où j’ai tout de suite la sensation d’être chez moi. En même temps, je voyage tellement, et ce depuis longtemps vu que j’ai commencé ma carrière comme présentatrice d’une émission télévisée spécialisée dans les voyages en Asie du Sud-Est, que je suis devenue capable d’apprivoiser et de m’approprier à peu près n’importe quel endroit. Alors même si je suis une fille de Bombay, je me sens bien partout.

Vous dites Bombay, d’autres disent Mumbai, les deux sont permis finalement ?

Ce changement de nom a commencé après l’indépendance mais il apporte plus de confusion qu’autre chose, surtout pour les étrangers qui visitent le pays. L’idée était de prendre de la distance par rapport à l’époque de la colonisation. Mais on est arrivé parfois à des aberrations comme l’ancien Victoria Terminus qui s’appelle aujourd’hui Chhatrapati Shivaji Terminus. Pas facile à prononcer, mais le pire c’est que cette gare occupe toujours un bâtiment de style victorien ! Changer les noms n’efface pas le passé.

Lorsqu’on regarde votre parcours, on peut se dire que vous avez eu de la chance, non ? Croyez-vous que vous avez un bon karma ?

(Elle rit) Je suis indienne, je dois croire au karma ! Ce dont je suis convaincue, c’est que les gens mauvais recevront un jour la monnaie de leur pièce. Ça, c’est le karma auquel je crois. Et tout le monde ferait bien d’y croire, d’ailleurs…

PAR ISABELLE WILLOT

 » Même si je suis une fille de Bombay, je me sens bien partout.  »

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