Barbara Witkowska Journaliste

A Bruxelles, dans une ancienne quincaillerie transformée en lofts, un jeune couple d’architectes invente un nouvel art de vivre. Au programme : beaucoup de simplicité, soulignée de contrastes chromatiques vigoureux, et un esthétisme empreint d’une grande sérénité.

Carnet d’adresses en page 63

Dans le centre de Bruxelles, les réhabilitations sont menées tambour battant. La zone du canal se métamorphose à vue d’£il. Il y a cent ans, sa fonction était résolument industrielle. Aujourd’hui, elle devient davantage résidentielle. Les ateliers et dépôts anciens se prêtent admirablement pour offrir un cadre de vie spacieux, éclectique et confortable. Dans la rue des Commerçants, relativement calme, parallèle à la grande artère du boulevard d’Anvers, les belles bâtisses pleines de caractère ne manquent pas. On pousse la porte de cette ancienne quincaillerie, construite en 1905, transformée, en 2002, en immeuble de logements. Le bâtiment se distingue par une profondeur impressionnante : 22 mètres, sur 12 mètres de largeur. Les quatre niveaux accueillent quatre lofts, tous exactement pareils. La caractéristique supplémentaire ? Au centre, ils sont traversés par un puits de lumière rectangulaire, délimité par des parois vitrées, long de 7 mètres et large de 3,5 mètres.

Johannie Popoff et Nicolas Bouquelle découvrent le bâtiment en chantier, en 2000, lors des travaux de réhabilitation réalisés par le bureau d’architectes Baneton & Garrino. C’est le coup de foudre. Ils décident, sur le champ, d’acquérir, pour eux, l’un des lofts.  » Nous avons été séduits par cette ouverture centrale, explique Nicolas Bouquelle. Elle génère des perspectives et des points de vue très intéressants et offre de nombreuses potentialités. En s’approchant de l’atrium, le regard embrasse l’intérieur des lofts de nos voisins ce qui crée des relations de voisinage très particulières. De surcroît, la structure de l’espace, rythmée par d’imposantes colonnes en béton, nous a beaucoup plu.  »

Pas de palier, pas de couloir, pas de hall d’entrée. Un ascenseur d’époque, dont seule la cabine a été changée, nous conduit directement vers cet espace rectangulaire, parfaitement rigoureux et symétrique. Des colonnes carrées de 45 centimètres de côté, aux arêtes chanfreinées, le divisent en trois travées dans le sens de la largeur et en cinq travées dans le sens de la profondeur. Quant au plafond, il est animé par un réseau complexe et assez sophistiqué de poutres en béton qui forment un jeu géométrique spectaculaire et puissant. L’ensemble fait penser à un  » temple industriel urbain « , empreint d’une certaine sacralité. Face à ce cadre singulier, l’intervention des architectes s’est voulue la plus invisible et la plus discrète possible.  » Notre concept de base s’est imposée avec évidence, souffle Nicolas Bouquelle. Pour respecter l’esprit des lieux, nous avons décidé d’habiter un ancien entrepôt. Notre volonté consistait à le rendre habitable, sans pour autant le transformer en appartement.  »

Le pari de la qualité

Le sol en béton lissé au quartz, de couleur gris clair, existait déjà. Pour avoir deux plans de lecture et préserver le dialogue de la structure, le plafond a également été teinté en gris, tandis que les murs ont été peints en blanc. L’un des murs mitoyens est habillé, sur la longueur de 20 mètres, de cloisons-placards. Cinq éléments légers préfabriqués, se glissent délicatement sous les poutres, sans les toucher, pour donner une impression de flottement. Ils intègrent, respectivement, des rangements, une bibliothèque, la cuisine, des équipements techniques et un bureau. Les parois intérieures sont décorées de masses colorées, bordeaux, fuchsia et rouge vif qui invitent à concevoir différentes scénographies. Pour les architectes, ces cinq  » conteneurs « , comme ils les appellent, évoquent les anciennes fonctions du bâtiment.

L’ensemble est occulté par une multitude de portes de 30 cm de largeur qui se plient et se déplient comme des volets. Quand on ferme tout, on a la vision d’une surface nette, lisse et abstraite, rythmée par des stries régulières. L’espace redevient neutre mais pas figé. Ainsi, quand éviers et fours  » disparaissent  » derrière les portes, on n’a pas l’impression de se trouver dans une cuisine et l’on peut y tenir des réunions de travail. Le mobilier de ce long couloir est réduit à son strict minimum. Trois longues tables blanches sur tréteaux (une pour la salle à manger, une pour la cuisine et une pour le bureau) s’alignent dans une belle perspective. En toute logique, elles sont éclairées par le même type de luminaires : des suspensions minimalistes  » b22  » en silicone rouge, créées par Maarten Van Severen pour Light. Leurs câbles se glissent en souplesse derrière les rangements, laissant le plafond  » vierge  » de tout fil électrique. Des éclairages indirects, habilement placés au-dessus des  » containeurs « , adoucissent agréablement l’ambiance, d’autant plus que certains dispensent… une lumière rose.

L’espace de nuit est traité de la même manière, très ouverte. Pas de portes, pas de cloisons. Les chambres des parents et du fils sont juste délimitées par deux  » containeurs « , qui servent également de rangements et de penderies. Epurées, monacales, ces pièces sont calmes et sereines. Un esprit zen règne également dans la salle de bains. Un volume parfaitement lisse et admirablement proportionné accueille deux vasques et une baignoire immaculées. Le salon se singularise par un minimalisme strict et éclectique. Un canapé fuchsia dessiné par Patricia Urquiola pour Moroso, quatre fauteuils de Charles Eames, une chaise africaine et une peau de vache, voilà toute la décoration. Les maîtres des lieux affichent clairement leurs convictions :  » plutôt la qualité que la quantité ». Exempt d’anecdote, de bavardage et de détails pittoresques, l’ensemble ne manque pas d’allure.  » On insiste sur des choses importantes, on n’a pas envie de les perturber avec des parasites, note en guise de conclusion Nicolas Bouquelle. Nous souhaitions éliminer toutes les choses qui ne sont pas nécessaires.  » Un nouvel art de vivre, plus réfléchi et plus conscient, est en marche…

Barbara Witkowska

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