Marie-Jo Lafontaine nous a ouvert les portes de son élégant loft-atelier bruxellois. La grande artiste l’a patiemment aménagé en privilégiant la lumière, l’espace, l’épure… La convivialité aussi.

Une fin d’après-midi… Dehors, il fait un froid glacial. Dedans, c’est un autre univers : raffinement calme et élégant d’un grand espace aux lignes sobres, et volupté d’une agréable chaleur diffusée par le poêle à bois. Longue silhouette tonique, sourire radieux et regard limpide, Marie-Jo Lafontaine nous entraîne vers les canapés, apporte le café et s’anime en évoquant son nouveau projet qui l’occupe depuis un an déjà et qui fera partie d’une rétrospective au musée Essl, à Vienne, prévue en 2014.

 » Il s’agit d’une série photographique qui parle du nu, féminin et masculin, explique l’artiste. La pose des femmes est verticale et s’oppose à celle des hommes qui est horizontale, comme un gisant. Les femmes, assises, droites et hiératiques, fixent le spectateur dans une attitude d’attente, d’interrogation et d’offrande. Leur beauté n’a aucun rapport avec l’image de la femme standard véhiculée par les médias. Les hommes, en revanche, sont allongés comme Le Christ mort de Hans Holbein, le corps parfois marqué d’une cicatrice. C’est un face-à-face entre Eros et Thanatos. D’un côté, des hommes malmenés et torturés, de l’autre, des femmes qui prennent le pouvoir à travers la représentation de leur corps.  »

Marie-Jo Lafontaine est une artiste politiquement engagée. Depuis trente ans, son travail questionne notre société en pleine mutation et son devenir, le nouvel environnement multiculturel, l’identité, le rapport au corps, l’ambiguïté des comportements humains et, aussi, les quatre éléments. L’important, pour elle, est d’occuper le terrain, de lancer le débat, de jeter les idées qui pourraient un jour faire changer les choses. Son objectif : assurer à son £uvre la plus large diffusion, sous toutes les formes possibles. Et quand la réalisatrice et journaliste Virginie Cordier lui a proposé de lui consacrer un documentaire dans le cadre de son projet Histoires d’artistes (le premier film, sur Johan Muyle, vient d’être terminé), elle a immédiatement marqué son accord. Le tournage a commencé lors des journées  » test  » pour les poses des modèles masculins et féminins et se poursuivra tout au long de l’année 2011.

De son enfance et adolescence anversoises où elle a grandi dans une famille  » bourgeoise industrielle « , Marie-Jo retient une éducation stricte au pensionnat des Ursulines et une licence en droit. Rebelle, dotée d’un fort esprit d’entreprise, elle franchit alors la porte de La Cambre, à Bruxelles.  » Ce qui m’a toujours fascinée, c’était de savoir comment on fabrique une £uvre d’art. J’appréciais aussi lacréativité au quotidien. Quand j’étais petite, je passais les vacances dans le sud de la France. Un jour, j’ai trouvé que l’eau dans la piscine n’était pas suffisamment bleue, comme on la voyait au cinéma par exemple. Alors j’y ai versé de l’encre. En se mélangeant lentement avec l’eau, elle a produit des formes magnifiques, très belles à voir. « 

À La Cambre, Marie-Jo s’inscrit à l’atelier de sculpture textile, car… il n’y avait pas de place ailleurs. Bien avant de décrocher son diplôme, elle obtient le prix de la Jeune Peinture belge. Ses travaux d’étudiante, des monochromes textiles, empreints déjà de son intérêt pour la transformation de la matière, sont sélectionnés pour la Biennale internationale de la tapisserie de Lausanne.  » L’Homme est l’autre sujet qui me préoccupe, enchaîne l’artiste. Qui sommes-nous ? Chaque projet est un nouveau questionnement sur l’être, sur l’autre.  » Thème qu’elle explorera inlassablement via des installations vidéo et sonores, de la photographie, et de la peinture monochrome.

Le langage de Marie-Jo est direct, clair et précis. Il est aussi universel, accessible à tous et n’a pas besoin de décryptages savants. La reconnaissance internationale vient très vite. Ses £uvres attirent la foule à la Documenta, l’une des plus prestigieuses expositions d’art moderne et contemporain qui se tient tous les cinq ans à Cassel, en Allemagne, à la Tate Gallery à Londres, au musée Guggenheim à New York, au Centre Georges Pompidou ou au Jeu de Paume à Paris, pour ne citer que des institutions très connues…

Son royaume ? Cet immense loft-atelier d’une surface de 400 m2 qu’elle peaufine depuis 1992.  » Avant, je louais, mais à un certain moment j’en ai eu assez d’aller d’atelier en atelier. Après de longues recherches j’ai découvert ce lieu : un grand espace vide aux murs gris avec des fers à béton devant lesfenêtres, des oiseaux volaient à l’intérieur. Je l’ai acheté avec l’idée d’y installer uniquement mon atelier et de le vendre plus tard. C’est un ami qui m’a conseillé d’en faire, aussi, un loft et je me suis prise au jeu. « 

Les travaux, effectués progressivement, se sont échelonnés sur quinze ans. L’espace a été repensé. L’atelier a déménagé à l’autre bout du bâtiment pour faire place au lieu d’habitation. Le hall d’entrée, agencé en bibliothèque, fédère les deux. Marie-Jo est une femme qui sait ce qu’elle veut. Ce qu’elle privilégie ? La lumière, l’espace et… le vide.  » J’aime le design mais pas m’encombrer d’objets. Je préfère les choses simples et durables qui ne prennent pas de place dans la tête et qui, une fois achetées, restent longtemps. « 

L’ordonnance rigoureuse des meubles et le jeu des teintes classiques font de ce loft un lieu reposant et serein. Un climat qui reflète le tempérament de l’artiste, éprise de discrétion et de simplicité. Dans le salon, les couleurs sont utilisées avec parcimonie. Le contraste entre les murs blancs et le plancher sombre en chêne fumé souligne la pureté intense des lignes et la nudité de l’espace.

Les meubles que l’artiste a disposés sont tous à dominante claire ou noirs. Tissu blanc pour le canapé à la silhouette stricte, cuir ivoire pour les fauteuils LC3 de Le Corbusier, bois immaculé pour le mobilier d’appoint et de bureau dessiné par Monica Armani. La chaise Breuer, toujours élégante, se partage la vedette avec la Red & Blue de Gerrit Rietveld, deux valeurs sûres du design. Çà et là, Marie-Jo a accroché méticuleusement les tableaux qu’elle affectionne : L’Araignée de Louise Bourgeois, un portrait d’adolescente de Simon Henwood, un tableau de Carla Van de Puttelaar et, côté bureau, des £uvres de l’artiste suisse Annelise Coste.

On circule dans le loft avec la plus absolue liberté d’une zone à l’autre. La salle à manger et la cuisine, elles, bénéficient d’une intimité certaine. Le blanc y est omniprésent. Les convives prennent place sur des chaises  » fleur  » d’Edra autour de la table ovale d’Eero Saarinen. Côté kitchen, la même table mais en version ronde, entourée des mêmes sièges mais de couleur rose, un frigo-sculpture en alu et des armoires basses constituent le seul mobilier.  » Une cuisine sans placards au-dessus me paraît plus conviviale, confie Marie-Jo. Je n’ai pas de machines, ni d’appareils : juste trois casseroles et trois poêlons, avec lesquels je mitonne des repas extraordinaires.  » Toujours le même souci de rigueur et de simplicité sans chichis.

La zone nuit, le tout dernier chantier, a été achevé récemment, avec la complicité de l’architecte Malika de Hemptinne. Avec son lit blanc posé sur un sol en bambou noir, la chambre a des allures japonisantes. Juste à côté, un patio bordé de murs blancs, est aménagé en terrasse zen où l’on peut se détendre et… prendre une douche. Dans la salle de bains, impérieuse de netteté et entièrement réalisée en Corian®, trône comme une sculpture la baignoire Dip d’Aquamass. À chaque instant, le visiteur perçoit un dialogue constant entre l’architecture, l’art, le design et la philosophie de Marie-Jo Lafontaine. Il quitte les lieux avec un sentiment apaisant d’unité.

PAR BARBARA WITKOWSKA

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