La femme 2014 aura plus que jamais l’allure athlétique, entre maillot de basketteur, short de running et baskets haut de gamme. L’influence de la rue n’est pas loin, tout comme l’envie de renouer avec un vestiaire plus nonchalant.

Est-ce l’organisation des derniers Jeux olympiques, en 2012, à Londres, ou la prochaine Coupe du Monde de football, qui donne des idées aux créateurs ? Toujours est-il que nombreuses sont les marques de luxe à avoir transformé leur catwalk en salle d’entraînement, pour ce printemps-été 2014. Maillot de basketteur, short de running, jupe de patineuse, tee-shirt résille ou chaussettes de footballeur : le look sportswear se décline sous toutes ses facettes.

Le maître en la matière n’est autre qu’Alexander Wang. Celui qui incarne une nouvelle génération de designers est capable, comme personne, de donner une impulsion couture à ce qui n’était, en apparence, qu’un simple vêtement de jogging ou de gym. Une tendance qui se repère également chez Lacoste, Marni, Balenciaga, Emilio Pucci, Vionnet… Ou encore chez Tommy Hilfiger, dont la nouvelle collection reflète parfaitement le style californien, jeune et relax.  » De Melrose à Malibu, la côte ouest représente le sport et l’optimisme « , détaille l’Américain, qui propose dès lors des références à la plongée, au surf, au skate, etc. Son célèbre polo étudiant est par exemple revisité sous la forme d’une robe courte, qui mélange cuir et Néoprène, une matière par excellence associée à l’univers sportif.

Du côté de Prada, la campagne publicitaire shootée par Steven Meisel met en scène une dizaine de tops posant, telle une équipe de foot, jambières en maille rayée portées haut sur les chevilles. Chez Gucci, on mixe aussi avec brio luxe suprême et allure athlétique.  » Je suis partie d’un vestiaire dédié à la pratique d’une discipline, pour créer une nouvelle féminité, qui reprend l’ADN de Gucci « , explique Frida Giannini, directrice créative de la griffe italienne. Les basiques du genre sont aussi travaillés avec des techniques artisanales et des matériaux d’exception, à l’instar du dernier défilé haute couture de Chanel, où les belles se sont présentées dans de magnifiques robes de soirée… et des baskets faites main.

CONJUGUÉ DE FAÇON COUTURE

Prendre les codes du sportswear, les détourner, les chahuter et les propulser dans une vision couture, tel est donc le nouveau mot d’ordre des créateurs, qui n’hésitent pas à revoir, de façon chic, féminine et raffinée, cet esprit urbain déjà en vogue dans les années 90. Si les activités sportives influencent la mode depuis plus d’un siècle (lire par ailleurs), ce repositionnement plus haut de gamme est bien plus novateur. Pour Thierry Terret, professeur à l’Université Lyon 1 et auteur de l’ouvrage Histoire du sport, publié dernièrement dans une nouvelle version aux éditions PUF, il faut y voir la conjonction d’au moins trois phénomènes, qui renvoient autant à des images induites par la pratique massive par tout un chacun qu’à la compétition de haut niveau. Premièrement, la starisation des athlètes et la médiatisation des grands événements sportifs.  » Ceux-ci cumulent leurs effets pour donner une impression d' » extra-ordinaire « , qui faire référence pour tous « , détaille l’historien. Deuxièmement, le lien avec la jeunesse.  » C’est assez stéréotypé, mais cela offre une symbolique juvénile d’autant plus appréciée qu’elle concerne des tranches d’acheteurs trentenaires ou quadra.  » Une cible par excellence en manque de sensations, prête à tout pour (avoir l’impression de) rajeunir…

Troisièmement, l’association, commercialement intéressante, entre style sportif et attitude cool.  » Cela apporte une dégaine, confirme Florence Müller, historienne de mode à l’IFM, l’Institut français de la mode. L’idée d’être à l’aise avec son corps. Symboliquement, cela exprime une certaine liberté de penser et d’être.  » Une démarche que l’on retrouve également dans le retour de la basket, portée au quotidien par bon nombre de fashionistas et combinée, avec soin, à un look tout sauf casual.  » Après l’ère des stilettos et des photos streetstyle immortalisées à la manière d’un photocall sur tapis rouge, on ressent actuellement une réaction face à ces excès de poses. L’envie de retrouver une attitude plus souple, plus dégagée « , analyse la Française.

TOUT À L’URBAIN

Fortes de ces constats, les marques de luxe n’ont dès lors plus peur d’être associées à un univers sport et streetwear.  » D’autant plus que celui-ci leur permet de véhiculer des valeurs à la fois saines et branchées, arty et contemporaines, constate Laetitia Faure, qui a fondé récemment le bureau de tendances Urban Sublime, à Paris. De ce fait, la rue acquiert de nouvelles lettres de noblesse. Elle est enfin acceptée dans des sphères qui, a priori, sont situées à l’opposé d’elle.  » On en veut pour preuve l’intérêt, toujours plus croissant, pour des salons comme Bread & Butter ou Bright Tradeshow, consacrés à des griffes au positionnement plus  » urban cool « . Ou l’ouverture, il y a quelques années, d’une section  » Active & Street  » au sein de Creapole, l’école supérieure des arts appliqués basée à Paris, afin de répondre aux nombreuses offres d’emploi dédiées à ce type de stylisme. Ou encore le recentrage récent des activités du groupe de luxe français Kering (ex-PPR), qui entend se séparer d’entreprises comme La Redoute pour se recentrer sur le luxe, d’une part, et des marques telles que Puma, Volcom, Cobra ou Electric, de l’autre. Sans oublier l’engouement de créateurs comme Marc Jacobs, Hedi Slimane ou le duo de directeurs artistiques de Kenzo, Humberto Leon et Carol Lim, pour les références et les codes du sport.

 » Les créateurs vouent une fascination pour le vêtement fonctionnel, qui correspond à une action, une façon de vivre, un geste ou un moment précis, interprète Florence Müller. Il est tout le contraire du vêtement de mode. Là où l’article de sport offre une grille de lecture et des contraintes techniques – par exemple, trouver une maille élastique qui facilite le mouvement -, la pièce fashion présente un trop-plein de possibles, qui peut dérouter le styliste. L’univers sportswear permet de canaliser la créativité. Par ailleurs, il recèle de codes et repères qui ont du sens pour le consommateur.  »

Le secteur est d’ailleurs en pleine forme puisqu’en 2012, il pesait 1,8 milliard d’euros en Belgique, pour tout ce qui touche aux chaussures, au textile et à l’équipement, selon Renaud Vaschalde, spécialiste de ce marché pour NPD Group, cabinet spécialisé dans les études de marché sur la vente au détail et la consommation.  » Il faut savoir qu’environ la moitié du chiffre d’affaires des marques de sport en textile et en chaussures est réalisé avec la vente de produits qui ne seront jamais portés en salle ou sur un terrain, précise l’expert. C’est lié à une jeune génération qui a grandi avec ces labels sportswear et se sent suffisamment à l’aise pour mettre certaines de ces pièces au travail.  » Des enjeux commerciaux qui ne peuvent que donner des idées aux griffes généralistes…

TOUS EN JOGGING ?

De là à dire que le costume trois pièces risque de laisser la place aux jogging et sweat à capuche ? Loin s’en faut, selon Florence Müller.  » L’homme continuera de se rendre au bureau vêtu d’une veste et d’un pantalon. Même si la mode effortless connaît de beaux jours actuellement, le tout au jogging est dangereux, car il peut mener à une sorte d’effacement de la mode. Cette absence d’esthétisme serait perçue comme un signe assez négatif, presque comme une décadence.  »

A l’inverse, l’historienne de la mode croit davantage aux hybridations. Associer un costume avec un sweat à capuche ou des baskets, par exemple.  » Ce mélange des genres apporte un souffle créatif « , se réjouit-elle. Un point de vue que partage entièrement Laetitia Faure :  » Nos modes de vie ne sont plus autant compartimentés qu’avant. On arrive à jouer avec toutes les tendances qui nous entourent. Quelqu’un peut très bien porter un sac Hermès avec un jogging, sans que cela ne choque plus personne…  » De nouvelles attitudes qui ouvrent le champ des possibles fashion à l’infini.

PAR CATHERINE PLEECK

Les marques de luxe n’ont plus peur d’être associées à un univers sport et streetwear.

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