Barbara Witkowska Journaliste

En 2007, elle accueillera la prestigieuse Coupe de l’America. En pleine transformation, Valence ambitionne de conquérir sa place de troisième ville d’Espagne, après Madrid et Barcelone. Portrait d’une belle qui a le vent en poupe et qui va faire beaucoup parler d’elle.

Carnet de voyage en page 80.

Dès l’arrivée, on est bluffé par l’extraordinaire vitalité de cette ville, comme électrisé par ses vibrations, exaltées par une lumière magique, vive et pénétrante. Une foule joyeuse, pressée mais pas du tout stressée, envahit les rues, les places et les terrasses, et à toute heure. Derrière la cathédrale, la vieille ville poursuit son immense lifting, avec ses façades ocre ou safran, fraîchement ravalées, ses patios fleuris et ses boutiques pimpantes. Sous les verrières de son Marché Central, splendide édifice Art nouveau récemment rénové, les étals alléchants de plus de mille marchands haut de gamme mettent l’eau à la bouche. Partout, des palmiers à foison. Grand Via, l’artère prestigieuse et le centre nerveux de la ville, égrène des façades d’une rare beauté. Valence est une ville qui respire l’appétit de vivre et affiche un dynamisme débordant. Beaucoup de jeunes, des garçons et des filles au regard pétillant et au sourire avenant. A l’instar de notre guide Pilar. Cheveux rouges fluo,  » tchatche  » impressionnante, elle est attachante comme une héroïne d’un film de Pedro Almodovar. On lui tend la main pour la saluer, elle nous tape sur l’épaule et nous claque deux bises. D’emblée, le tutoiement s’impose.  » A mi-chemin entre Barcelone et Séville, nous avons le sens des affaires des Catalans et le sens de la fête des Andalous. Les Valenciens sont épicuriens et jouisseurs : on bosse dur, on n’est pas riche, mais on sait s’amuser et profiter de la vie !  » Pilar a aussi le sens de la formule.

Pourtant, pendant de longues années, Valence, dont on connaît surtout les oranges, a vécu dans la discrétion, un peu repliée sur elle-même. Puis, Séville a eu  » son  » Expo universelle, Barcelone  » ses  » J.O., Bilbao  » son  » musée Guggenheim. Alors ne voulant pas être en reste côté prestige international, Valence s’est un peu secouée. Elle s’est battue pour accueillir l’EuroDisney, mais c’est Paris qui a gagné. Alors, comme une grande, elle s’est offert plusieurs vitrines prestigieuses qu’elle ne doit qu’à elle-même et qu’elle a payées avec ses propres sous. Tout d’abord, on a fait appel à Norman Foster, la star des architectes, pour dessiner le spectaculaire palais des Congrès. Puis on a confié à Santiago Calatrava le chantier de la déjà fameuse Cité des sciences. Enfant du pays, Calatrava est mondialement connu et est également l’auteur de la gare futuriste TGV à Liège, toujours en construction. Et ce n’est pas tout. Inauguré en 2002, l’extraordinaire Oceanografic est le plus grand parc océanographique en Europe. La cerise sur le gâteau ? L’époustouflant bâtiment en forme d’un grand £il humain, dont la  » paupière  » s’ouvre et se ferme. Il abritera le Palais des Arts, dédié à l’opéra, au ballet, au théâtre et au cinéma. Son ouverture est prévue fin 2004.

Pour visiter ces merveilles futuristes, on approche l’ancien lit du Turia, le fleuve détourné de son cours pour avoir inondé la ville en 1957. Aujourd’hui, c’est une longue coulée verte, bordée de larges avenues qui, bientôt, descendront jusqu’à la mer. Les perspectives, grandioses, sont magnifiées par un insolent soleil de juillet et par une lumière éblouissante. Derrière les rangées de palmiers, on découvre la Cité des sciences, gigantesque structure de verre et d’acier qui fait le double du Guggenheim de Bilbao et qui ressemble à un squelette  » dinosauresque.  » A l’intérieur, trois immenses étages, d’interminables couloirs aussi larges que le bâtiment et le long desquels se succèdent des modules d’exposition conçus comme des espaces de jeux. Autrement dit, c’est un musée conceptuel et interactif où l’on vient faire jouer ses sens pour découvrir les lois scientifiques. Après les sciences, place au divertissement. L’environnement de l’Oceanografic est déjà un dépaysement en soi. Au milieu d’une végétation exotique, on chemine sur des pontons en bois, enjambant des surfaces lacustres, lisses comme des miroirs. La chaleur aidant, on se croit sous les tropiques. Plusieurs bâtiments à l’architecture audacieuse et futuriste, £uvre de Félix Candela, abritent des aquariums colossaux. On contemple, comme si l’on était sous l’eau, des requins, des raies, des barracudas, des thons et des dauphins. Un long tunnel entièrement transparent simule carrément un voyage sous-marin. A gauche et à droite, des poissons vous suivent le long du parcours et s’amusent à nager au-dessus de vos têtes. Ludique et très impressionnant !

Changement d’ambiance. Direction, centre-ville, pour un rendez-vous avec les vieilles pierres et le patrimoine de Valence, un splendide héritage maure, romain, baroque, gothique et moderniste. Au fil de la balade se dévoilent ses nobles placettes, ses jardins cachés et tant d’autres coins charmants pour peu qu’on s’aventure dans le dédale des rues pittoresques. Les chefs-d’£uvre sont multiples, à commencer par la cathédrale dont la construction a débuté en 1262 pour s’achever au XVIIIe siècle. C’est dire la diversité des styles et l’éclectisme des décors ! On admire le grand autel doré à la feuille, des fenêtres en albâtre qui filtrent une lumière blonde, des tableaux de Goya et quelques chapelles richement ornées. On s’arrête devant la Lonja (Bourse) de la Soie, la soie ayant fait la richesse de Valence… avant les oranges. Cet exemple admirable du gothique civil est le seul monument de toute la province, classé patrimoine de l’humanité de l’Unesco. Le palais du marquis de Dos Aguas avec sa façade baroque et son portail en albâtre dans le plus exubérant style rococo (sa restauration a demandé onze ans !) est une vraie curiosité à ne manquer sous aucun prétexte. Cette demeure étonnante accueille le Musée national de la céramique. La production régionale s’y taille la part du lion. A voir, aussi, une belle collection de porcelaine chinoise, quelques céramiques de Picasso, des trésors de l’artisanat valencien (tapisseries, meubles, éventails) et, surtout, une ancienne cuisine valencienne, tapissée de céramiques et magnifiquement reconstituée.

La flânerie nous éloigne de la vieille ville et nous mène vers les quartiers plus tardifs, bâtis à la fin du XIXe siècle. Les avenues sont larges et diverses, les carrefours spacieux. Le Marché de Colon (ne pas confondre avec le Marché Central), construit au début du XXe siècle,  » à la Gaudi  » vient d’être lifté et bichonné. Des boutiques de luxe s’y sont installées, ainsi que des restaurants branchés. Pour varier les plaisirs, on pratique quelques haltes gourmandes d’usage. A l’épicerie de luxe Mantequerias, fondée en 1916, on fait des emplettes de jambon ibérique, de fromages et de charcuteries. Le chorizo est un poème. La chocolaterie Martinez, une minuscule boutique au charme désuet, fabrique les meilleures truffes de Valence. Une visite s’impose. Pour se désaltérer, la fameuse l’orchata, préparée avec du lait de chufa, une plante similaire au riz, de l’eau et du sucre. Accompagnée de quelques noix, elle se révèle délicieuse et très rafraîchissante.

Plusieurs ponts s’offrent aux curieux soucieux de gagner l’autre rive de l’ex-rivière Turia. Le plus spectaculaire ? Le pont Calatrava, suspendu dans le vide comme un vaisseau spatial. On choisit le pont du Real, le plus charmant et le préféré des Valenciens. Inauguré au XVIe siècle, il est flanqué de deux petits temples, abritant Vicente Ferrer et Vicente Martyr, les deux patrons de la ville.

Sur la rive opposée, on pousse la porte du musée des Beaux-Arts, aménagé dans un ancien monastère, où nous attendent les plus grands peintres valenciens et on s’octroie ensuite une parenthèse verte dans les superbes jardins du Real et de Monforte. Enfin, direction la mer. Valence-ville a deux plages magnifiques, la Malvarrosa, bordée de quelques belles demeures anciennes, dont celle de l’écrivain Vicente Blasco Ibañez et la Playa de Levante qui égrène des  » temples  » de la gastronomie locale. Le plus emblématique ? La Pepica, fondée en 1898. La cuisine y est exquise, les poissons  » à tomber  » et, de surcroît, on visite le restaurant comme un musée. Les murs sont envahis par des photos de stars et de  » people « , américains et européens, qui ont ici leurs habitudes. Le roi Juan Carlos est venu à quatre reprises. Ernest Hemingway écrivait ici ses chroniques taurines et aimait à s’attabler pendant des heures avec ses copains toreros célèbres : Luis Miguel Dominguin ou Manolete. On pousse un peu plus loin, vers le port industriel. Une bonne partie de ce port va se muer en un grand centre maritime de plaisance et de loisirs. La construction d’un immense canal dans cette zone permettra aux bateaux de rejoindre le plan d’eau de la compétition en un quart d’heure. Le chantier bat son plein. £il fixé sur l’horizon de 2007 et l’arrivée de la Coupe de l’America, les Valenciens ne ménagent pas leurs efforts pour éblouir le monde entier par cet événement prestigieux, décroché au grand dam de Barcelone, la grande rivale de toujours.

Barbara Witkowska

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