Dans la contrée des llaneros, cow-boys fiers et authentiques du Venezuela, s’étendent des haciendas aux terres immenses. Découvrez ces nouveaux royaumes de l’écotourisme, refuges de milliers d’animaux sauvages…

Aux dernières lueurs du jour au bord du lac Los Ceritos, un caïman se repose la gueule béante. Derrière lui, une famille de  » chigüire « , des ragondins géants de 60 kilos, s’ébat au milieu des eaux calmes de la lagune. Tandis qu’une colonie d’oiseaux blancs prend tranquillement son envol. Plus loin, à l’ombre d’une souche d’arbre mort, le terrible serpent anaconda profite de la fraîcheur de son refuge pour digérer sa proie à l’abri des regards indiscrets, ignorant superbement les cris assourdissants du couple de perroquets ara multicolore installé sur les hautes branches d’un manguier, dont la forme arrondie se découpe majestueusement dans les vertes plaines du Venezuela.

Nous sommes au  » Hato Piñero « , une hacienda de 80 000 hectares appartenant à la famille Branger. A 200 kilomètres au sud de Caracas, dans la région des llanos (les plaines), la nature a repris ses droits. Plus de 300 espèces d’oiseaux, une cinquantaine de mammifères différents, autant de reptiles, des amphibiens et une variété extraordinaire de poissons se partagent ce magnifique jardin d’Eden.

Don Antonio Branger, gérant du domaine et propriétaire de 70 000 têtes de bétail, a dédié les deux tiers de son domaine à l’observation des animaux dans leur milieu naturel. Issu d’une famille lilloise immigrée il y a deux siècles, Don Antonio a décidé d’arrêter de chasser quand, à l’âge de 24 ans, il a découvert et acheté ces terres. Ici, les animaux n’ont désormais plus rien à craindre de l’homme et vivent en paix. Ainsi, une quarantaine de jaguars et de pumas s’y promènent en liberté, car, depuis cinquante ans, la chasse est prohibée. Pour le plus grand plaisir des touristes du monde entier qui ont le privilège d’assister à un spectacle unique. Une seule consigne : respect et silence… De toute façon, la grandeur et la beauté du paysage sont à couper le souffle.

Paradis pour animaux

 » Les chigüires (cabiaïs) ont trouvé ici leur paradis « , commente Orlando Diaz, un sourire éclairant son visage buriné rehaussé d’une fine moustache. A 42 ans, ce biologiste de formation a décidé de quitter la pollution de Caracas pour travailler au  » Hato Piñero « . Depuis six ans, il y guide les touristes et consacre ses journées à l’étude de la faune et la flore de l’hacienda.  » Les llanos regorgent de ressources naturelles, souligne-t-il. Et surtout du bien le plus précieux du monde : l’eau douce.  » D’ailleurs, les cabiaïs ou capybaras l’ont bien compris. Arrivés il y a plus de mille ans d’Amérique du Nord, ils ont élu domicile dans les plaines du Venezuela et y ont prospéré, jusqu’à devenir les plus gros rongeurs au monde. Ces ragondins géants trouvent ici une nature abondante et généreuse. Les pattes palmées, ils nagent et plongent comme des poissons. L’eau est pour eux un élément vital. Leur peau a besoin d’être hydratée en permanence et, surtout, ils ne se reproduisent que dans un milieu aquatique.

Sur la route de terre rouge, l’imposant et confortable pick-up ouvert sur le ciel ramène les touristes à l’hôtel de l’hacienda. De deux coups brefs contre la carrosserie, Orlando fait stopper l’engin. Lui seul a remarqué le  » Great Potoo  » qui dort sur la branche d’une  » aceité « , arbre au tronc d’or qui regorge d’une huile cicatrisante. Sorte de chouette grise, son plumage ressemble à de la pierre et est habituellement visible la nuit. Réveillé, il n’ouvre un oeil que pour observer le fracas d’une famille de hoatzin. Ces étranges oiseaux herbivores sont extrêmement primitifs. Il ne leur faut pas moins de trois estomacs pour digérer les feuilles qu’ils ingèrent à longueur de journée. Autre particularité étonnante, le bébé hoatzin a des griffes (il les perd lors de son premier envol) qui poussent à la base des ailes. Quand il se sent menacé par un prédateur, il peut plonger et nager sous l’eau avant de regagner son perchoir.

La vie rude des llaneros

Après la découverte de ces trésors naturels, il est temps de rejoindre le point de départ. A 18 h 30, le soleil rouge illumine l’hacienda où sont accueillis les touristes. Sur le bar de bois dur, Orlando prépare son cocktail favori : le  » Cuba libre « , dont il explique soigneusement la préparation. L’hôtel de 20 chambres dégage une atmosphère d’authenticité. Construit il y a quatorze ans avec les plus belles boiseries des maisons environnantes, il est décoré avec goût. Au salon, une pirogue creusée dans un tronc d’arbre est maintenue par de lourdes chaînes, ayant jadis servies aux esclaves qui défrichaient les llanos. Le soir, des documentaires sur la vie du ranch sont projetés aux pensionnaires. On y découvre que la vie des llaneros, ces cow-boys des plaines, y est des plus rudes.

Disséminés dans six annexes totalement autonomes, à la périphérie du domaine et dans une aile attenante à l’hôtel, les llaneros sont 120 à s’occuper du bétail, principale activité commerciale de l’hacienda. Le soir, ils chantent leur quotidien au son entraînant d’un quatro (guitare à 4 cordes), d’une harpe et d’une paire de maracas. Leur seul moyen de communication avec l’extérieur est la cabine téléphonique installée près du réfectoire. Le week-end, après avoir reçu leur paie, ils se rendent dans la charmante petite bourgade de Baùl, pour faire des achats, revoir leurs femmes, leurs enfants et boire du vieux rhum entre amis.

Ces cow-boys perpétuent la tradition. Ils incarnent l’âme des plaines du Venezuela. Chapeau rivé sur la tête, chemise à carreaux et couteau à la ceinture, ils chevauchent toute l’année (et parfois pieds nus) sous un soleil de plomb. Vers 6 h 30, face à la terrasse ombragée de l’hôtel, ils attrapent leurs chevaux au lasso avant de les seller. Par groupe de six ou sept, menés par leur chef Domingo, ils s’apprêtent à conduire les troupeaux à travers les pâturages de l’hacienda. Avant l’action, l’ambiance est toujours à la fête et à la rigolade. Mais quand il faut maîtriser, jusqu’à 10 000 bêtes à cornes, la moindre erreur peut être fatale. Le ciel se remplit de poussière, les cow-boys crient, agitent leurs chapeaux et font claquer leurs fouets. Soudain, deux d’entre eux partent au galop pour rattraper une vingtaine de vaches prises de panique dans la savane… N’est pas cow-boy qui veut ! Mais, si vous le désirez, vous pourrez monter les chevaux des llaneros le temps d’une demi-journée. Pour une balade tranquille… où vous sentirez, à coup sûr, du sang de cow-boy couler dans vos veines.

Reportage : Erwan Luce/Sipa Press/Isopress-Sénépart

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