Véronique Leroy dessine une mode chevillée à l’âme. Rien de consensuel ni de facile. Juste des vêtements talentueux qui vous changent une femme. Portrait d’une créatrice concentrée.

ni de facile. Juste des vêtements talentueux qui vous changent une femme. Portrait d’une créatrice concentrée.

Il a fallu pour les besoins de l’interview qu’elle se replonge dans sa collection printemps-été 2009 alors qu’elle travaille déjà sur l’hiver 09-10 et que là, pour l’instant, elle est assise dans un fauteuil d’hôtel à siroter un café  » allongé « , à deux pas de sa boutique de la rue d’Alger, Ier arrondissement, Paris. Et comme Véronique Leroy est une femme sérieuse qui tend à utiliser le terme juste, elle s’est concentrée, d’abord, silence. Du bout des doigts, régulièrement, elle tresse sa queue de cheval nouée sur le côté à l’aide d’un élastique noir, ton sur ton. Le reste aussi est décliné en noir, déformation professionnelle, un pantalon, une veste Véronique Leroy. Jamais de robe, pourtant, Dieu sait si elle aime en dessiner. Pas de bijou non plus, juste son visage tout fin, pointu, en guise de halo lumineux sur cette silhouette menue, intense, énergique.

Oui, cette saison estivale, c’est déjà  » vieux  » pour elle –  » Je ne suis plus du tout dedans « , s’excuse-t-elle, elle est passée à autre chose, elle a  » du mal  » à se remémorer ce printemps-été d’autant qu’elle n’a pas  » suffisamment de recul pour une vision globale et, en même temps, c’est trop loin pour avoir une vision plus générale « . Mais elle plisse le front, s’entête, opiniâtre, fait défiler comme des visions cette collection, ses tissus  » très classiques retravaillés, transformés, convertis « , ses volumes  » qui se tiennent « , ses  » broderies perforées  » nées d’une envie de matières qui ne seraient  » pas lisses, pas unies « . Tout ça pour  » faire la différence ou, en tout cas, aller au bout de l’idée « .

Son dÉpart

On devine qu’elle est souverainement têtue, Véronique Leroy, depuis toujours. Quand, ado, elle rêvait déjà de mode et des créateurs japonais, dessinait avec ardeur, puis enragea d’avoir raté l’examen d’entrée de l’Académie royale d’Anvers ( » Une vraie humiliation. Je n’imaginais même pas que je puisse être refusée « ), décida alors de quitter Liège, trop petite pour elle, trop  » gros village « , direction Paris et le studio Berçot. Elle avait 19 ans, c’était en 1984, cette date-là, elle s’en souvient, les autresà Elle est  » mauvaise  » en chronologie et fâchée avec le temps parce qu’elle le voit filer trop vite, ça risquerait de lui flanquer le bourdon, surtout quand elle regarde sa petite fille grandir à une allure mur du son. On balisera donc son parcours avec l’essentiel. 1987, elle est engagée comme assistante chez Azzedine Alaïa. Elle exulte, appelle ses copines à Liège, leur annonce la nouvelle, elles ne voient pas qui c’està

Entre hier et aujourd’hui, il y aura donc deux années d’apprentissage chez Alaïa où elle observe  » sa manière de travailler, sa pugnacité, il ne lâche rien, son perfectionnisme, son regard « à Elle y apprend  » réellement  » le mouvement, le volume, la construction du vêtement, c’est déjà pas mal. Elle précise :  » J’aimerais les faire miens, ces mots, ces qualités. Mais je suis loin de lui, je ne suis pas aussi perfectionniste que lui, aussi implacableà  » Il y aura aussi, en 1989, un passage chez Martine Sitbon, le prix de la Canette d’or puis le prix Courtelle et, forte de ces récompenses, en 1991, sa première collection immédiatement couronnée par l’ANDAM (Association Nationale pour le Développement des Arts de la Mode, un premier prix qu’elle remportera une seconde fois en 1994).  » Si je me souviens de cette collection ? Ah oui, oui, c’était l’hiver et elle me plaît encore maintenant. Il y avait de la maille, du cuir imprimé, du fluo, des carrures avec des épaules qui vont vers le haut, des pantalons avec des pinces partout, des genoux déformés, des fesses accentuéesà  » Et de la maille, qu’elle a toujours aimée – enfant, elle tricotait,  » c’est facile pour moi « . On peut être cérébrale et aimer l’évidence naturelle.

Ses exercices imposÉs

Depuis quatre ou cinq ans, elle ne s’en rappelle plus, elle est directrice artistique de la Maison Léonard, vérification faite, depuis 2004, mais elle connaît la chanson pour y avoir été consultante depuis l’an 2000. Comment fait-elle pour ne pas s’emmêler les pinceaux entre Véronique Leroy et Léonard – des allers-retours, avec confusion des genres ?  » Non, elle réfléchit, se mordille les lèvres, chez Léonard, les imprimés et les matières prédominent, c’est un autre exercice. Et même si certaines choses se recoupent, cela ne se voit pas forcémentà  » L’exercice imposé lui plaît, tout est à transcender :  » Les limites sont très précises, imposées par l’imprimé, le tissu, les codes de la maison et par monsieur Tribouillard, le propriétaire de la marque. Mais au sein de ces limites, connaissant toutes ces contraintes, à l’intérieur de cette surface, je me sens très libre. Et puis cela m’oblige à me décarcasser, à trouver des astuces.  » Pour dessiner des robes, surtout, en jersey de soie, qu’elle ne porte jamais, non pas par détestation, mais parce qu’elle ne met pas  » son énergie  » dans  » s’habiller « , mais plutôt dans  » créer « .

Ses exercices INSPIRÉS

D’ailleurs, quand elle dessine une collection, avec cette rigueur qui la caractérise, elle ne la dessine pas pour elle,  » sinon je ne ferais que des uniformes ! Et ce serait toujours la même choseà Je ne suis pas ma muse, heureusement « . De muse, elle n’en a d’ailleurs pas d’attitrée,  » j’en change tout le temps, je suis très versatile ! « . Ses idées, elle les puise là où ça lui chante, sur une photo au mur du salon d’une amie, dans les dessins de Raoul Dufy, dans l’art et la dégaine d’Eric Duyckaerts, l’artiste belge à l’honneur à la Biennale de Venise en 2007,  » sa façon de porter une veste en cuir très ordinaire, mais en même temps pas du tout, une veste un peu déformée qui a épousé sa silhouetteà c’est inspirant « .

Il y a aussi Jeff Koons, qu’elle vénérait avant qu’il ne soit star, parce qu’il  » sublimait des choses ordinaires, cela me touchait, et son amour du kitsch rejoignait ce que j’aimais « . Plus des photographes – Irving Penn,  » par-dessus tout « , David Bailey, Richard Avedon. Et encore tous les autres, comme Jean-Pierre Pincemin, peintre, graveur, sculpteur français, qu’elle a découvert au hasard de ses pérégrinations en Bourgogne, où se niche sa maison de campagne, là où elle reçoit des amis  » qui n’ont rien à voir avec la mode  » et où elle ne travaille pas du tout, elle n’y arrive pas, elle se contente alors de penserà Dans son cahier à spirales, Véronique Leroy note tout, par peur d’oublier. Chaque matin, une  » to do  » liste, le soir,  » quand tout est barré, c’est une bonne journée, surtout quand ce sont des choses que je n’aime pas faire, mais cela ne m’arrive pas souvent, malheureusementà  » Les listes qui se répètent à l’infini,  » c’est le pire « , la procrastination, elle semble connaître. ça a l’air de l’amuser doucement. A force, Véronique Leroy connaît ses travers. Et ses qualités, on lui en sait gré. Lesquelles exsudent de cette robe printemps-été 2009 qu’elle a appelée pour rire  » robe télévision  » rapport à la forme très lucarne de la découpe dans le dos,  » c’est ridicule mais entre nous, on sait très bien de quelle robe on parle « . Elle est  » toute droite, très stricte et sévère, dans un gros jersey de coton très raide, très rébarbatif, pas du tout commercial « .

Elle insiste, et ce n’est pas une fanfaronnade :  » Bien sûr, c’est ma préférée ! Ce vêtement est beau, parce qu’il a cette rigidité, cette sévérité et ce côté brut. Ce n’est pas une robe pratique que l’on met sans se poser de question, il faut décider de la mettre.  » C’est exactement cela, les vêtements de Véronique Leroy ne peuvent pas être portés sans réfléchir, on ne les oublie pas quand on les enfile, rien à voir avec le genre consensuel, tout avec l’exigence. Cela tient au volume additionné à la matière, à la volonté de ne jamais chercher la facilité. Car elle préfère la difficulté, Véronique Leroy,  » c’est bien là mon problème « . Elle a un jour déclaré que  » créer des vêtements, ce n’est pas excitant, ce qui l’est, c’est d’être capable de leur donner une âme « . Elle ne s’en souvenait plus, on lui demande alors mais comment faire ?  » Leur donner une âme « , murmure-t-elle en posant ses mains sur ses lèvres, on dirait des papillons, délai de réflexion.  » En réalité, je ne sais pas commentà Quand je maîtrise la totalité, j’ai le sentiment d’avoir donné de l’âme à un vêtement. Quand il y a cette alchimie entre la matière et les lignes, les volumes. Quand on le porte, il vous dicte une attitude, un mouvement, une manière d’êtreà « 

Son élitisme

On comprendra donc que Véronique Leroy n’est pas dans le développement à tout va – une petite maison indépendante qui fait un peu bande à part dans le maelström de la mode, une équipe qui se compte sur les doigts d’une main, une petite boutique qui parle pour elle, avec une jolie marquise et ses initiales VL, six mannequins rouges en vitrine et sa collection qui va à l’essentiel, personnelle, artisanale,  » avec un point de vue confidentiel et élitiste, c’est une volonté « . A chaque Fashion Week, elle y présente sa collection, dans un esprit un peu couture,  » dans le calme « ,  » à l’ancienne « ,  » différemment « .

Pour l’été, elle avait fait le v£u d’être au plus près du dessin. Jusqu’au moindre détail, très découpées, comme des ombres chinoises. Jusque aux accessoires qui vont des chapeaux aux espadrilles. Les premiers sont nés d’une collaboration avec Elvis Pompilio, ami de toujours. Elle lui avait esquissé vaguement son envie, il était revenu avec  » des petits chapeaux très jolis faits dans la matière des vêtements « . Avec lui, c’est un échange  » dans le sens noble du terme  » :  » Je ne cherche pas à ce qu’il me dise, j’aime ou j’aime pas, il pose des questions, cela me permet d’affiner mes envies, de les déterminer un peu plus.  » Les espadrilles, elles, sont nées d’une collaboration avec Pare Gabia. Une déclinaison paille et cuir, version boot ou cuissarde.  » Je me suis attelée, répète-t-elle, à ce que les silhouettes du défilé ressemblent vraiment à celles dessinées.  » Une obsession, pari gagné. Parfois, Véronique Leroy est traversée par tout et son contraire –  » immobile à force de réflexion, tétanisée ou impulsive ou les deux « . L’oscillation et/ou la fusion sont seulement un signe éclatant, celui de son talent.

Anne-Françoise Moyson

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content