La jeune créatrice formée à La Cambre mode(s) a quitté Paris et Christian Dior pour Beyrouth et l’école de mode de l’Académie des beaux-arts, elle en est désormais la directrice. Emilie Duval emprunte toujours les chemins inverses.

Elle est au début d’une grande histoire, et c’est exactement ce qu’elle est venue chercher à Beyrouth, l’Académie des beaux-arts y crée son école de mode, tout est à construire. Mais avant, elle a pris le temps de clore le chapitre précédent, avec la grâce sérieuse qu’elle met en tout : elle a terminé ce qu’elle avait entamé avec Dior Couture il y a deux ans, et avec ceux qui, dans l’ombre, donnent une âme à cette prestigieuse maison. En réalité, cela faisait un moment qu’Emilie Duval cheminait en se demandant comment faire de la mode autrement. L’impression un peu floue qu’indéfiniment les cycles se répéteraient, les collections de même, et quid du temps dans tout ça ? Qu’elle ait bossé pour Maison Martin Margiela plus de douze saisons n’est pas anodin, elle est marquée, durablement, elle sait qu’elle ne retrouvera pas ailleurs cette manière-là de travailler, une réflexion de fond, une démarche artistique, une pensée hors normes. Prendre du recul, donc. Et puis voilà que le 13 novembre dernier, ce jour particulier de 2015, un coup de fil la cueille dans ses interrogations, La Cambre mode(s) l’invite à poser sa candidature, la vénérable institution bruxelloise s’associe à l’Académie libanaise des beaux-arts pour fonder une école de mode, on cherche une directrice.  » C’était une question en soi, une manière de retourner la recherche de fond « , décuplée par la perspective d’un changement de vie, le vertige d’un déséquilibre choisi sur lequel il faudra bâtir quelque chose, elle est prête, les tueries au Bataclan et dans les rues de Paris viennent cristalliser sa décision.  » Il n’y a plus de temps à perdre, faire ce en quoi je crois, aller à l’essentiel.  » Dans la langue d’Emilie, cela équivaut à privilégier les échanges – dans sa lettre de motivation, elle écrit qu’elle veut  » donner l’envie d’aller vers l’Inconnu, surpasser ses propres limites « . Le I majuscule importe, elle est de celles qui empruntent les chemins inverses, essayer mais à rebours,  » enlever les étiquettes « , détricoter en somme. Quand elle était étudiante à La Cambre mode(s), elle était tombée en amour pour la maille, le fil qui permet (presque) tout, le coeur de la création,  » une grande histoire débute quand tout est à construire « , elle s’en était fait une spécialité.

Le 15 juin dernier, elle atterrissait au pays du Cèdre, peu de bagages, pas de meubles, un curriculum vitæ solide où elle aligne les maisons et les postes à responsabilité – Kenzo, Martin Margiela, Balenciaga, Christian Dior Couture. Des références qu’elle éclaire de sa fascination pour la mode, pour ce qu’elle contient d’humanité condensée,  » c’est tellement chargé de sentiments, d’opinions, d’histoires, on est bien les seuls animaux à avoir inventé un truc pareil !  » Emilie Duval a le coeur léger, elle s’apprête non plus à  » créer des produits mais à faire grandir des êtres humains « , cinq jeunes filles en l’occurrence, les premières inscrites dans cette école qui entend créer des ponts, former de futurs créateurs sur le modèle de ce qu’elle a connu elle, étudiante à Bruxelles il y a plus d’une décennie déjà. Outre ses souvenirs, pour son projet pédagogique, elle a convoqué l’intensité, les émotions délicates  » qui méritent le plus d’attention « , la volonté de faire les choses  » soigneusement « , d’être  » plus proche de la sculpture que du vêtement « , d’aborder la couleur, de charpenter un  » laboratoire « , un  » environnement protégé où faire de la chimie expérimentale « , son alchimie.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » IL N’Y A PLUS DE TEMPS À PERDRE, FAIRE CE EN QUOI JE CROIS, ALLER À L’ESSENTIEL.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content