Ce mouvement en vogue concilie style et sensibilité écologique, en misant sur la réutilisation de très belles matières. Décryptage d’une tendance

durablement chic.

Le red carpet est devenu vert ! Aux derniers Oscars, Livia Giuggioli, la très glamour épouse de Colin Firth (nommé pour son rôle dans A Single Man, de Tom Ford), productrice et écolo aguerrie, arborait un fourreau en soie noireà recyclée. Une création griffée From Somewhere, marque travaillant à partir de chutes et de surplus de l’industrie du luxe. Une robe recyclée faisant jeu égal, sur l’échelle de l’élégance, avec les froufrous haute couture ? Une révolution. Que les Anglo-Saxons ont baptisée upcycling (recyclage créatif). Ou quand on donne une nouvelle chance aux vêtements en leur insufflant style et sex-appeal.

Plus belle, la (seconde) vie !  » Avant, recycler était triste, voire miséreux, explique Marie-José Mondzain, philosophe et directrice de recherche au CNRS, à Paris, auteur de La Mode (Bayard). Ce comportement correspondait à une gestion prolétaire et paysanne de l’usure. La misère était conservatrice par nécessité, et seuls les plus aisés s’offraient le luxe de ne pas attendre que leurs vêtements soient usés pour les changer. La mode ne concernait qu’eux. Or on assiste à une inversion des valeurs. Aujourd’hui, conserver est un comportement paré de toutes les vertus chez les privilégiés – qui ont les moyens d’acheter de belles pièces – tandis que les moins riches sont contraints de jeter rapidement des vêtements de piètre qualité qui s’usent à la vitesse grand V.  »

La frugalité, un nouveau luxe ?  » Après les Trente Glorieuses et la croissance avant tout, l’époque est plus soucieuse de la manière dont se fabriquent les choses, assure Lionel Ochs, ethnologue et directeur de Méthos, société d’études travaillant pour de grandes maisons. Lancé par les artistes et les designers, qui furent pionniers en réfléchissant sur le cycle de vie des objets, le mouvement gagne les marques haut de gamme, qui rattrapent un fait de société et répondent au souhait de leurs clients de suivre une mode plus éthique. « 

Diane von Furstenberg présente des bracelets en perles et fils de téléphone recyclés en Afrique. Yves Saint Laurent propose New Vintage, minicollection  » soucieuse du respect de l’environnement et fondée sur la récupération, le recyclage et la création durable « , selon la volonté de Stefano Pilati. Des tissus inutilisés des collections passées sont adaptés sur des silhouettes classiques de la marque. Objectif avoué :  » Marier raffinement féminin et développement durable. « 

Autre signe du haro contemporain sur le gaspillage : une maison protestante comme Hermès (où la matière a une grande valeur et où, donc, on ne la gâche pas) s’assume en tant que telle, plus que jamais. Hermès, incarnant le summum du luxe et doté d’une fondation £uvrant en faveur de l’écologie, concocte dans le plus grand secret une collection particulière dévolue au recyclage,  » petit h « , pilotée par Pascale Mussard (qui sortira en novembre prochain, se murmure-t-il). Il s’agira d’objets d’exception en série limitée, créés à partir de matériaux récupérés, en réinterprétant des idées, prototypes ou commandes spéciales jamais aboutis.

 » La mode revêt une dimension moins éphémère « , confirme Patricia Romatet, directrice d’études à l’Institut français de la mode. C’est justement parce qu’elle était lasse du rythme effréné et littéralement insensé des collections qu’Anne Valérie Hash a envisagé son dernier défilé haute couture comme  » une respiration, un pas de côté par rapport à cette société de consommation où l’on est pourri gâté « . Quelques amis chers à la créatrice (dont Alber Elbaz) lui ont fait don de vêtements ou d’accessoires, qu’elle a métamorphosés en pièces d’exception rebrodées de paillettes et d’organza. C’est aussi pour échapper aux cycles courts imposés par l’industrie de la mode qu’Eva Zingoni, styliste passée par Ralph Lauren et Balenciaga, a lancé sa griffe à son nom, des modèles en série limitée cousus dans de précieuses chutes de tissus de grandes maisons de couture et dont l’étiquette affirme :  » Ceci est un vêtement unique fabriqué avec émotion en couture recyclée. « 

 » Ces initiatives salutaires n’empêchent pas toujours l’opportunisme, certaines marques profitant de cette vague frugale pour écouler leurs stocks résiduels (et doper leur chiffre d’affaires) en masquant leur pratique sous un discours écolo responsable et moralisateur, nuance Patricia Romatet. Mais, au-delà d’une éventuelle récupération marketing, les valeurs de patrimoine et de pérennité sont à la mode : regardez le succès de sacs déjà intemporels comme le bien nommé Classic de Céline. « 

 » Le recyclage participe d’une nostalgie des objets anciens, qui étaient dotés d’une aura puissante, analyse le sociologue Michel Maffesoli, directeur des Cahiers européens de l’imaginaire, dont le n° 2, consacré au luxe, vient de sortir (CNRS éditions). L’ambition est de dépasser la simple fonctionnalité des vêtements ou des accessoires, de leur redonner un pouvoir magique, à la façon des totems prémodernes, en les inscrivant dans une histoire longue. Tel est le propre du luxe, qui revient à une forme archaïque, au sens grec du terme : arche, qui signifie fondamental. Il  » remagifie  » le monde.  »

Et l’on se prend à imaginer des vêtements magiques qui seraient éternels. Dans le cadre de Monumenta 2010, l’artiste Christian Boltanski a utilisé le textile comme matériau artistique et a habillé la nef du Grand Palais de 50 tonnes de vêtements usagés (fournis par Ecotextile, partenaire du WWF). Quand le vêtement accède, enfin, au statut d’£uvre d’art : un upcycling de rêve !

Par Katell Pouliquen

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