A plates-formes ou compensées, les semelles épaisses sont de retour depuis trois saisons. Entre caprice esthétique et reflet d’une époque, elles ont déjà vécu plusieurs vies extraordinaires. Bienvenue sur les hauts plateaux !

Ne plus toucher terre, prendre de la hauteur et chalouper dans la foule au-dessus de la mêlée : c’est l’ivresse des hauteurs version été 2007. Pas besoin d’aller à la montagne, il suffit de chausser les souliers compensés qui fleurissent partout cette saison. Plus stables et plus confortables que les talons aiguilles, ils séduisent les femmes qui cherchent l’allure sans la torture, et les créateurs, qui trouvent là plus d’espace pour laisser libre cours à leur imagination. Et ils n’en manquent pas… Les poissons de métal enroulés de Pucci, les baskets vernies sur bateau de Plexi de Paule Ka, les pagodes de bois laqué nouées de cordelettes de soie signées Christian Lacroix fascinent. Plus que jamais, ces objets improbables écrivent un chapitre spectaculaire pour ces souliers de caractère, même si l’on n’adopte pas toutes les versions extrêmes. L’important, c’est l’ivresse à portée… de pied. Quatre cents ans que cela dure.

XVIe siècle Vénitiennes sur pilotis

C’est dans la Venise de la Renaissance que naît l’ancêtre de la compensée : la chopine, dont la semelle peut atteindre 52 centimètres d’épaisseur. En bois ou en liège (déjà !), gainées de velours et de cuir, savamment ornées, on les trouve d’abord aux pieds des courtisanes qui veulent être, littéralement, au-dessus de la mêlée, puis les riches Vénitiennes les adoptent. Seul problème : il faut une escorte pour se déplacer. Ces souliers déclenchent la polémique : accusés de provoquer des fausses couches, condamnés par l’Eglise, qui les associe aux m£urs dissolues. La mode ne prend pas longtemps, mais les chopines marquent l’histoire et sont même citées dans l’acte II de  » Hamlet « , de Shakespeare.

Années 1930-1940 Du glamour à l’utilitaire

Il faudra attendre le xxe siècle pour assister au retour des semelles hautes. En deux décennies, elles montrent à la fois leur potentiel décoratif glamour et leur capacité de s’adapter aux époques les plus rigoureuses. C’est aux premières  » stars  » de la chaussure que l’on doit ce renouveau. En 1937, Roger Vivier s’inspire d’un soulier orthopédique pour imaginer une chaussure compensée décorée de sequins or et de jersey mauve. Son fabricant américain refuse le modèle, mais Elsa Schiaparelli s’en empare. C’est ensuite en Italie que l’intrigue principale se joue. Salvatore Ferragamo  » invente  » en 1936 la compensée en liège, qu’il fait breveter. Cette large semelle, qui laisse la place à toutes les excentricités, Ferragamo en fait un objet d’architecture, gainée de cuir coloré façon néons, décorée de mosaïques de miroirs, construite comme un immeuble contemporain, et les stars s’arrachent ses créations.

Avec la Seconde Guerre mondiale, le besoin de confort et les restrictions propulsent les sabots de bois et les compensées basses en liège. Symboles des années noires, elles sont rejetées à l’après-guerre pour les talons fins de l’ère du new-look.

Les années 1970 Sous influence londonienne

A la fin des années 1960, on vient à la boutique culte Biba s’offrir de vertigineuses bottes à plates-formes, qu’on soit hippy de luxe ou cliente anonyme, parfois venue de loin. Plus de 75 000 paires s’écoulent en deux mois. Dans l’East End, Terry de Havilland crée aussi des compensées excentriques : à semelles XXL gainées de python, habillées de velours brodé comme les chopines vénitiennes. Ces chaussures à grand spectacle, que leur auteur prétendra avoir imaginées sous acide, entretiennent joyeusement la tendance. C’est aussi ici que naît le glam rock, dont des stars comme Elton John et David Bowie s’affichent avec les bottes à plateau les plus folles : des plates-formes gainées de cuirs lamés multicolores, aussitôt adoptées par la jeunesse. Cette fièvre esthétique gagne filles et garçons sur fond de disco, avant de s’éteindre sur les premiers riffs punk puis les années Reagan des working girls en talons aiguilles. La fête est finie…

1990-2007 On reprend de la hauteur

Mars 1993 : Naomi Campbell tombe du haut de ses escarpins à plates-formes de 26 centimètres en faux crocodile bleu signés Vivienne Westwood. Ces objets d’art sont toujours parmi les pièces les plus vues du Victoria & Albert Museum, à Londres. Extrême, la tendance est adoptée en version glam rock par la Spice Girl Geri Halliwell avant de sombrer.

En 2005, elle renaît timidement : Colette propose à nouveau des Terry de Havilland spectaculaires, en python argenté. L’année suivante, le retour est confirmé. Les hauts plateaux sont à nouveau sur le bitume. En Italie, une exposition consacrée aux souliers Westwood célèbre au passage la modernité de ses fameuses plates-formes acrobatiques. Cet été, plus que jamais, c’est parti pour les semelles hautes : on en trouve dans tous les styles, dans toutes les couleurs et matières possibles, à toutes les hauteurs et à tous les prix aussi. Même si on continue à porter de l’ultraplat et des talons fins, rares sont celles qui n’auront pas au moins une paire de plateaux cet été.

Carine Bizet

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