Barbara Witkowska Journaliste

Talentueuse, enthousiaste et anticonformiste, Victoire de Castellane dirige le département de haute joaillerie de la maison Dior. Et impose de nouveaux codes de séduction. Portrait.

Victoire de Castellane est pétillante et rafraîchissante comme une coupe de champagne. Face à elle, le monde paraît meilleur, plus drôle et plus joyeux. Victoire, c’est d’abord un sourire radieux et sympa, encadré de mèches blondes et un peu sauvages. Grande et souple, elle porte ce matin des sandales haut perchées à paillettes, un collant rayé horizontalement noir et fuchsia, une jupe courte turquoise et un tee-shirt blanc et rouge, orné d’un motif fantaisie et de l’inscription  » Gilles « . On devine tout de suite qu’il s’agit d’une création de Gilles Dufour, son oncle. Ses mains, expressives et mobiles, lancent des éclats d’or et de pierres.

Victoire est une excellente ambassadrice de ses propres créations. D’emblée, elle s’enthousiasme pour son dernier  » bébé  » : la ligne Soumission, pleine de raffinement et de délicatesse.  » Pour 2001, j’ai voulu créer un thème érotique et sensuel. D’où cette ligne qui peut être portée la nuit. Pour moi, les bijoux sont vivants, ils doivent bouger sur le corps, le prolonger. Alors, pourquoi ne pas habiller et flatter le corps la nuit, au lit ?  » En effet, pourquoi pas ? Une fine chaînette en or s’enroule donc autour de la taille. Très chic, sous un pyjama en soie ! Un bijou de cheville coule sur le dos du pied et emprisonne l’orteil dans un anneau. Une élégante pluie de diamants tombe dans le creux de la poitrine, se glisse entre les seins…  » Il ne faut pas interpréter mal le titre de la ligne, sourit Victoire. Ce n’est pas la femme qui est soumise, ce sont les bijoux qui sont soumis à la femme, qui obéissent au corps ! « .

Autre nouveauté : les bagues Gourmandes. On tourne le dos au minimalisme avec ces nouvelles bagues surdimensionnées, volumineuses et généreuses qui donnent envie d’être croquées comme des bonbons. Lignes sinueuses et baroques enferment de grosses pierres fines : une pierre de lune, un quartz rose ou encore un chrysoprase. Petit clin d’oeil sympathique à la nature, chaque pièce est agrémentée d’un minuscule animal : grenouille, tortue, libellule ou escargot.  » J’aime des objets assez fous, asymétriques qui ont un côté indomptable de la nature, commente Victoire. Certains ne l’apprécient pas, ce n’est pas grave. On ne peut pas plaire à tout le monde. « 

La personnalité et la créativité de Victoire de Castellane, son franc-parler, ont, en tout cas, beaucoup plu à Bernard Arnault. Il y a deux ans, le patron du groupe de luxe LVMH (et propriétaire de la maison Dior) décide de mettre à terme le projet de département de joaillerie Christian Dior. Le projet avait été amorcé, puis avait avorté, sous le règne de Marc Bohan, directeur de la maison Dior pendant de longues années. Bernard Arnault pense immédiatement à Victoire pour diriger ce nouveau département. La jeune femme relève le défi avec enthousiasme.  » Ce qui est bien avec Bernard Arnault, souligne-t-elle, c’est qu’il fait entièrement confiance à tous les créateurs de la maison et nous laisse carte blanche.  » Ça tombe bien car la jeune femme, un peu rebelle, chérit par-dessus tout sa liberté de créer…

La passion du bijou et de tout ce qui brille date de sa toute petite enfance. Barbara Hutton, la célèbre milliardaire américaine, marraine de son père, lui offre, pour son 4e anniversaire, un de ses bracelets à breloques.  » Je l’ai complètement démonté avec ma pince à ongles, pour en faire des boucles d’oreille, déclare Victoire avec un sourire désarmant. A l’époque, je n’avais bien entendu aucune notion de la valeur. Je voulais juste le transformer à mon goût, car j’estimais que ce que je faisais était mieux ! « 

Après le bac, Karl Lagerfeld, qui  » trouvait son look amusant « , l’engage chez Chanel aux côtés de Gilles Dufour, à l’époque bras droit de Lagerfeld. Il lui confie la création de bijoux fantaisie pour ses collections. Parallèlement, Victoire dessine des bijoux pour elle-même. Et la mode ?  » J’adore, confie-t-elle. J’achète aux puces, chez Dior, chez Gilles Dufour, je fais mes vêtements moi-même. J’adore me déguiser en fille. J’ai toujours porté des jupes, des talons de 12 centimètres, des volants et des fleurs. J’aime l’excentricité et je l’assume. Cela dit, la mode est un autre métier. Les bijoux ont un côté plus luxueux et plus éternel. Plus symbolique, aussi. Ils n’ont pas le même rythme de vie que les vêtements, ne se fânent pas et ne s’abîment pas. « 

Après quatorze ans d’une collaboration enrichissante avec Lagerfeld, Victoire se lance donc dans une nouvelle grande aventure, chez Christian Dior.  » Le fait d’avoir carte blanche, ne signifie pas implicitement de faire n’importe quoi, explique Victoire. Il n’y a aucune gratuité dans mes créations. Je me suis plongée dans les archives de la maison pour m’inspirer de la personnalité de Christian Dior lui-même. J’ai respecté aussi les codes d’identité de la maison, tels le thème du noeud, le pied-de-poule, le jardin potager, la pluie, les fleurs, les fruits, les légumes. » Ces légumes et ces fleurs, ce sont ceux que Christian Dior cultivait dans son jardin à Milly-la-Forêt. Autre source d’inspiration, les grands aristocrates, dont les fêtes somptueuses et extravagantes ont marqué les annales du Tout-Paris dans les années 1950, époque du New-Look.  » Vous savez, ajoute encore Victoire, tout a déjà été inventé. Ce qui prime aujourd’hui, c’est d’apporter un regard différent et propre à la sensibilité de chacun sur ce qui existe. L’image de Dior a évolué, elle est devenue hyper-moderne. C’est une maison de couture qui explose. Elle a un côté sexy, fou qui booste l’énergie dans l’univers de la mode. Bien sûr, je capte certaines choses dans les défilés où il y a un esprit Dior. Cela dit, John Galliano et moi, nous n’avons jamais de séances de concertation. Je joue la carte de la modernité, de la surprise, je cherche également à me démarquer des joailliers de la place Vendôme. Pour moi, la place Vendôme est synonyme de la « parure » et de « l’investissement ». Moi, en revanche, j’aime l’idée de bijoux féminins, sensuels et poétiques, j’ai envie de raconter des histoires. Tous mes bijoux portent aussi des noms. « 

Les créations de Victoire de Castellane ont trouvé leur écrin dans une ravissante boutique, située avenue Montaigne. Elle ne désemplit pas. On a remarqué que, de plus en plus souvent, les femmes achètent elles-mêmes les bijoux de Victoire. Forte de ce succès, la maison Dior a décidé d’investir le fief de la haute joaillerie parisienne, à la place Vendôme. Une nouvelle boutique y ouvrira ses portes en octobre. Ce sera une bouffée de fantaisie et d’excentricité au milieu des  » parures  » !

Carnet d’adresses en page 84.

Barbara Witkowska

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