Pour ce duo de créateurs qui a fait du double sa marque de fabrique, la mode est un théâtre. Et le catwalk une scène où l’on expérimente les concepts les plus inventifs. Cette saison, Viktor & Rolf inversent la tendance en revenant à plus de sobriété. Encore un de leur twist de génie.

 » No communication « , distille la bande-son de leur dernier défilé. Pourtant, c’est bel et bien dans l’art de la communication que le duo néerlandais est le plus fort. Rewind. Au moment où Viktor & Rolf lancent avec L’Oréal le parfum Flowerbomb en 2003, ils font défiler des mannequins aux visages voilés faisant écho à celui de la publicité. Pour leur collection printemps-été 2005, ils explosent sur les catwalks en présentant une robe-cadeau totalement enrubannée. Quant à l’ouverture de leur boutique renversée à Milan, où tout est inversé du sol au plafond, elle est immédiatement suivie d’un défilé  » upside down  » présentant la collection printemps-été 06, avec la musique de Diana Ross à l’appui : le show s’ouvre par la fin, les mannequins y défilent à l’envers et même la bande-son subit un rembobinage forcé. Preuve que, chez le duo formé à l’Académie d’Arnhem aux Pays-Bas et qui démarrait sa carrière en 1998 par la haute couture à Paris, mode rime toujours avec marketing. Le concept, toujours le concept.

Retournement de situation, pour ce défilé automne-hiver 06-07, présenté en mars dernier à Paris : les deux Néerlandais surprennent cette fois avec un défilé d’une sobriété renversante. Des visages dissimulés derrière des grilles, parfois réalisées à l’aide de véritables cheveux, permettent de concentrer l’attention sur des robes rigides, inspirées des modèles à crinoline, dignes de pièces de musée. Les mannequins prennent la pose dans des manteaux de fourrure aux manches tire-bouchonnées, agrémentés de n£uds dorés en guise de ceinture, ou dans des robes trenchs évasées… Un véritable antidote à l’excentricité. Dans les rangs, on s’étonne que le duo le plus inventif de la mode ait cette fois succombé aux charmes du portable ! Peu de temps après, on apprend que Viktor & Rolf collaborent avec le géant suédois H&M et créent, dans la lignée de Karl Lagerfeld et de Stella McCartney, une mini-collection pour l’homme et la femme pour novembre prochain.

Chez Viktor&Rolf, rien n’est laissé au hasard, tout est pensé, même la scénographie de l’interview, réalisée à Amsterdam dans un salon situé au rez-de-chaussée de la maison Art déco qui abrite leur atelier. Les deux compères y sont en effet précédés par leurs chiens, Zwaantje & Vicky.

Qui est Viktor ? Qui est Rolf ? Qui est Zwaantje ? Qui est Vicky ? Une fois le test de reconnaissance réussi, on peut enfin commencer à communiquer, chacun dans son rôle, Viktor Horshing dans celui du communicateur et Rolf Snoesen dans celui de l’observateur. Etonnamment, par une autre bizarrerie dont ils sont coutumiers, ils ne s’assoient pas dans les deux grandes chaises identiques qu’on leur avait naïvement réservées. Victor prend place dans un fauteuil club, et Rolf s’installe à côté de nous sur le canapé. Bien sages, pas rebelles pour un cent, prenant soin au contraire de répondre sérieusement à chaque question. Et même à celle qu’on a dû leur poser des milliers de fois : leur évidente ressemblance, leur inquiétante similarité. Enregistreur.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous avez déclaré :  » We are one brain, one person, one designer  » (Nous sommes un cerveau, une personne, un designer). Une espèce d’être bicéphale qui conçoit, pense et s’habille de la même façon ?

Viktor & Rolf : Nous travaillons comme un seul créateur. C’est complètement naturel. C’est très difficile à expliquer. Nous nous installons dans une pièce et nous créons ensemble. Nous parlons beaucoup. Le travail provient de la même source. Nous pensons de la même manière, c’est l’essence de notre marque.

Comment vous définiriez-vous ? Comme des jumeaux, des frères, des meilleurs amis ?

Des meilleurs amis ! L’un sans l’autre, nous n’aurions jamais existé en tant que label.

Des meilleurs amis à qui il arrive parfois de communiquer par télépathie…

( Rires.) C’est vrai qu’aujourd’hui, par exemple, nous portons la même chemise et pourtant, nous ne nous sommes pas donné le mot. Nous comptons beaucoup de vêtements identiques dans notre garde-robe mais malgré tout, ce n’est pas une raison suffisante. Ce type de coïncidence se produit sans que nous l’ayons préméditée. On passe tellement de temps ensemble, on est comme un vieux couple, on finit par se ressembler.

Il vous arrive de vous mettre en scène dans vos propres spectacles (2000), de mettre vos clones dans des expositions (2003). La mode est-elle pour vous un exercice narcissique ou une thérapie ?

La mode est pour nous une thérapie car elle est basée sur des règles avec lesquelles nous aimons jouer. Elle nous permet de faire entrer les gens dans un monde où nous avons défini nos propres limites. Nous sommes très cérébraux. L’univers que nous tentons de créer est relativement hermétique. Car il est autobiographique, les défilés sont autant d’autoportraits. La mode est finalement un moyen de créer quelque chose qui n’existait pas auparavant.

Et donc, en ce sens, elle est de l’art, même si l’on sait que vous vous opposez à l’appellation…

On ne doit pas forcément lui conférer le statut d’art. Ce n’est pas parce que des vêtements sont exposés au musée que cela devient de l’art. La mode peut être tellement de choses à la fois.

Dans votre dernier défilé, quel est le message que vous avez voulu faire passer avec ces femmes aux visages voilés ? Cédez-vous à ce que l’on a baptisé l’islamisation de la mode ? (Lire également l’article en page 88.)

Absolument pas. Nous avons entendu la formule pendant les défilés, mais nous ne nous y reconnaissons pas. Nous avons déjà présenté des femmes au visage voilé en 2003. C’est d’ailleurs une femme au visage recouvert d’un voile qui est l’emblème de notre parfum Flowerbomb. Dans ce défilé, il était question du fait d’être introverti, de trouver la vérité en soi, de se fermer aux influences de l’extérieur, de se protéger et par là même de protéger les vêtements. Automatiquement, vous focalisez davantage votre attention sur ces derniers. Et puis, il y avait un certain maniérisme dans ces voiles, un effet de style comme une réminiscence des années 1930.

Avec ce défilé automne-hiver 06-07, vous nous avez une fois de plus surpris. Est-ce votre but, de surprendre votre public ?

Et de nous surprendre, nous aussi ! Le fait que les vêtements soient portables est une question récurrente chez les journalistes. Or, il n’y a pas forcément de contradiction. Lors de notre précédent défilé à l’envers, l’idée a quelque peu noyé la collection, au point qu’il était difficile de regarder les vêtements. Donc, cette fois, nous sommes revenus à quelque chose de plus posé. Cette saison, nous avons développé ce concept de recouvrir les visages et de concentrer l’attention sur le vêtement. La saison prochaine, il laissera la place à quelque chose de complètement différent.

On pourrait imaginer alors que vous dénudiez complètement les modèles…

( Rires.) On verra mais ce sera encore autre chose. Dans la mode, les délais sont tellement courts que cela vient naturellement, selon l’émotion du moment.

L’humour tient généralement une grande place dans vos défilés, sauf dans le dernier…

C’est vrai que, cette fois, c’était un show très sérieux. Mais nous le sommes même quand l’on nous trouve amusants ! L’ironie fait partie de notre monde, la distance est une des facettes de notre travail. C’est un des aspects de notre personnalité. Mais on peut aussi jouer avec d’autres registres comme l’émotion ou la joie. Mais l’ironie qui consiste à ne pas se prendre au sérieux est plus facile à pratiquer lorsque l’on est à deux. On rit davantage lorsqu’on travaille en duo.

Pourquoi avoir accepté de dessiner une collection pour H&M ? Pour vous faire connaître davantage auprès du grand public ?

La mode a un public si limité ! Cela va nous permettre d’élargir notre clientèle et de nous adresser à un plus grand nombre de gens. On reconnaîtra la signature Viktor&Rolf, certes, mais ce ne sera pas une version meilleur marché de notre défilé. Nous avons développé un mini-concept rien que pour eux.

Autre actualité : Antidote, une fragrance pour l’homme qui sortira en Belgique début 2007…

Nous avons mis au point un jus qui, selon nous, correspond au parfum idéal que devrait porter un homme. Après quoi, nous aimerions bien développer une gamme de produits cosmétiques…

Vous avez tourné dans un documentaire de Femke Wolting, intitulé  » Because we’re worth it « . ( » Parce que nous le valons bien « ). Pensez-vous vraiment que vous en valiez la peine ?

Oh oui, nous le valons bien ! (Rires.)

Agnès Trémoulet

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