Indémodable, et même réparable, la mythique veste  » british  » est portée aussi bien par la reine d’Angleterre que par les pop stars d’Oasis. Reportage aux ateliers de South Shields, où l’on retape les modèles usagés de clients du monde entier.

Petit échantillon de la correspondance entre Sa Très Gracieuse Majesté Elisabeth d’Angleterre et Dame Margaret Barbour, cinquième du nom :  » Chère Margaret, je vous envoie ma vieille parka Barbour, qui s’est usée au fil des ans. Pourriez-vous me la remettre en état ? » Réponse de l’intéressée :  » Majesté, permettez-moi de vous offrir ce modèle neuf en remplacement.  » Nouveau courrier de la reine :  » Merci beaucoup, mais je serais vraiment très heureuse si vous pouviez me réparer mon ancienne veste, avec laquelle j’ai l’habitude de sortir mes chiens…  »

Alors, la parka royale a pris la direction de South Shields, près de Newcastle, sur les contreforts des premières collines écossaises. Destination : la clinique Barbour.  » Ici, dans ces ateliers, nous mettons notre point d’honneur à redonner vie aux vestes, qui nous sont envoyées du monde entier, même si certaines nous arrivent à l’état de chiffons, explique fièrement Jean Kershaw, vingt-deux ans d’  » hôpital « . Vous savez, nous en recevons jusqu’à 40 000 par an…  » Ce service après-vente, unique au monde dans le prêt-à- porter, dit tout de l’attachementtrès particulier suscité par cette marque so British.

Ah ! les poches… Leur examen constitue la première étape pour toute veste  » opérée  » ici. Les objets exhumés ont fini par constituer une sorte de musée informel. Inventaire à la Barbour : des éperons, des couteaux, des cartouches, du rouge à lèvres, des queues de renard, mais aussi des préservatifs, des dents en céramique égarées par un dentiste distrait…  » Il est deux choses que nous ne renvoyons jamais aux clients : les dessous et les lettres d’amour « , fait-on pudiquement savoir à South Shields. Signe du rapport passionnel qui unit les propriétaires de Barbour à leurs vestes, celles-ci sont presque toujours envoyées à l’hôpital accompagnées d’une missive enflammée. Il y a même des émules de Shakespeare, qui formulent leur demande en vers :  » There was an old Barbour called Bill / Said he felt exceedingly ill / My zipper is broken / My pockets half open « …

Alors, ici, à South Shields, on recoud, on pose des patchs, on réimperméabilise avec la fameuse skyloil ( » huile soyeuse « ), dont la formule est un secret depuis un siècle… Cette cliente, enceinte, veut- elle qu’on aménage deux soufflets pour qu’elle puisse continuer à porter sa veste ? Pas de problème. La princesse Diana avait-elle demandé qu’on lui customise sa capuche ? On la lui avait customisée.  » Parfois, nous expliquons au client que les réparations vont lui coûter plus cher qu’une veste neuve. Eh bien, il préférera toujours la vieille, rapiécée « , s’amuse Jean Kershaw.

C’est en 1894 qu’un modeste représentant en tissu du sud de l’Ecosse, un certain John Barbour, s’installe au 5 Market Place, à South Shields. Il a l’idée d’inventer un manteau imperméable, s’inspirant des grossières toiles de lin à la graisse de poisson des marins du Northumberland. C’est un triomphe. Pas un marin, pas un voyageur de commerce, pas un pêcheur à la mouche n’échappe au manteau huilé de John Barbour. Bientôt, un premier catalogue de vente par correspondance fait le bonheur des expatriés de l’empire de Sa Très Gracieuse Majesté. Et, pour ajouter au mythe naissant, le colonel Fawcett, célèbre aventurier, disparaît mystérieusement en Amazonie, en 1925, un Barbour sur les épaules…

Mais le tissu des années 1920 – de la voile de bateau ! – est encore rigide.  » En 1926, la famille Barbour découvre le coton égyptien sur les bords du Nil, raconte Daniel Zarba. Ce fil long et souple résiste à la fois à la sécheresse et à l’inondation.  » On est pourtant encore loin de la parka que nous connaissons. Pendant la Seconde Guerre mondiale, George Phillips, l’inventif capitaine de l’  » Ursula « , un bâtiment de la Royal Navy, regrette que les longs manteaux Barbour soient si peu adaptés aux habitacles confinés des sous-marins. Il se rend donc à South Shields et finance – de ses propres deniers – un prototype beaucoup plus court. On baptise le modèle  » Ursula « . La cultissime parka Barbour est née.

Imperméable – même les fils des coutures sont trempés pendant vingt-quatre heures dans la fameuse huile – dotée de boutons en laiton qui ne rouillent pas, doublée avec un tartan dont les couleurs véhiculent les valeurs du parfait countryman – bleu pour le ciel, vert pour les arbres, jaune pour les fleurs – la parka séduit aussi bien les gentlemen-farmers que les motards (le maître en  » coolitude  » Steve McQueen en portait une pour faire du trial). Les couleurs sont forcément sombres, puisqu’il est formellement interdit de la laver. Un Barbour, ça se graisse.

Ainsi allait la vie dans la paisible entreprise familiale de South Shields, adossée à son désuet slogan :  » Le meilleur des vêtements anglais pour le pire des temps anglais « . Mais un étrange phénomène se produit dans les années 1980 : Barbour devient à la mode. Cela commence avec les très distingués Sloane Rangers, ces enfants d’aristocrates londoniens ; enfin ce sont les élégants Romains qui l’arborent sur leurs Vespa vintage. A South Shields, c’est l’incompréhension :  » Porter un Barbour en ville ? Mais quelle faute de goût !  » décrète, horrifié, Michael Whitehead, responsable de la création.

Les ventes décuplent – jusqu’à 300 000 vestes par an ! Le modèle emblématique ? La Beaufort vert foncé à col en velours marron, avec son carnier, cette grande poche dans le dos initialement destinée à accueillir la bécasse du chasseur. Elle représente, à elle seule, 50 % des ventes mondiales. Et, même si Liam Gallagher, le bad boy d’Oasis, arbore parfois un Barbour, le poids très British de la tradition se fait toujours sentir à South Shields.  » La veste Barbour est une icône inviolable, confie Michael Whitehead. Tout au plus peut-on introduire une poche discrète pour un lecteur MP3 ou pour un mobile.  » Alors, définitivement BCBG, le Barbour ? Pas sûr. Certains modèles récents sont plutôt sexy, comme cette Utility pour femmes, inspirée des blousons cintrés de motards des fifties. On a même vu il y a peu des fashionistas des beaux quartiers parisiens détourner l’exagérément courte Spey Jacket, conçue pour les pêcheurs à la mouche immergés en rivière. Si la reine voyait ça…

Jérôme Dupuis

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