Avec ses 1 200 îlots, l’archipel incarne le paradis sur mer. Des hôtels d’un genre nouveau y marient désormais luxe absolu, strict respect de la nature et éducation des populations locales. Pour offrir à leurs hôtes un autre type de tourisme. Pas plus authentique, mais plus intelligent.

No news, no shoesà Le slogan barre en lettres d’or le petit sac de toile que nous tend Neena, notre hôtesse et future Mrs Vendredi, lorsque nous posons un pied chaussé et engourdi par l’avion dans le hors-bord censé nous conduire à bon port. Vingt minutes de course entre l’île minuscule abritant l’aéroport de Malé, capitale des Maldives (3 km2, 90 000 habitants, le quart de l’archipel !) et celle, microscopique, où niche le paradis sur Terre. Ou plutôt sur Mer. Et encore n’en est-ce qu’une annexe…

Pour l’heure, il faut donc nous déchausser. À Soneva Gili puis à Soneva Fushi, les deux îles-hôtels qui enchanteront successivement notre séjour au c£ur de l’océan Indien, on vit en effet pieds nus. Et on ne se déplace qu’à pied ou à vélo. C’est le premier signe tangible de la principale marque de fabrique de ces lieux enchanteurs : la communion avec l’environnement. Ici, les clients s’appellent tous Robinson, leurs villas (si, si !) Résidence Crusoé et chacun reçoit le service personnalisé d’un(e) Vendredi dévoué(e).

C’est bien plus qu’un symbole. Il reflète une véritable philosophie imaginée par Sonu et Eva Shivdasani, les fondateurs de la société Six Senses Resorts & Spas, qui repose sur l’alchimie entre la nature, le confort et la beauté des lieux. À Gili, où toute l’infrastructure se base à fleur d’océan sur pilotis, comme à Fushi, où elle se fond au contraire dans une jungle luxuriante, on peut dire qu’ils l’ont parfaitement mise en £uvre.

Sonu, 43 ans, Britannique d’origine indienne, est diplômé d’Oxford et de la London Business School. Sa femme est l’ancien top-model suédois Eva Malmström. Lui est un businessman de haut vol qui a fait fortune dans l’entreprise familiale avant de se lancer dans l’hôtellerie. Elle s’est reconvertie dans le stylisme et la décoration, et a toujours été férue d’écologie. Ils se sont rencontrés dans les années 90. Sont tombés amoureux des Maldives au cours d’un voyage. Et ont décidé d’y investir pour lancer, en 1995, un concept inédit :  » le luxe intelligent au plus près de la nature « .

Soneva Fushi fut leur premier enfant. Soneva pour Sonu & Eva, Fushi qui signifie  » grande île  » en divehi, la langue locale. Un kilomètre et demi de longueur sur un demi de largeur, c’est en effet l’un des plus grandsà îlots de l’archipel qui en compte 1 200, dont moins de 200 sont habités, la moitié par des touristes fréquentant les hôtels. Son vrai nom est Kunfunadhoo et il est situé au sud de l’atoll de Baa, le plus septentrional des Maldives, à une demi-heure d’hydravion de Malé. Voilà pour la géographie. Vol spectaculaire garanti, avec atolls à perte de vue dans une déclinaison d’azurs à faire pâlir le Picasso de la période bleue.

Sonu et Eva y ont créé un complexe hôtelier au positionnement unique. Censé  » satisfaire à la fois leur passion pour la nature et celle de clients en quête d’authenticité, tout en participant au développement local « , résume Anke Hofmeister, la jeune biologiste marine allemande chargée des programmes environnementaux du groupe. Et ils sont nombreux. D’autant que Fushi, qui fut le premier resort eco-friendly d’Asie et fait office de laboratoire, a été suivi d’une quinzaine de petits frères aux Maldives (Gili et Lamuu), en Thaïlande, au Vietnam, au Cambodge, en Jordanie et même en Espagne. Reposant tous sur la même philosophie.

Les clients nettoient, les poissons regardent

Deux jours plus tard, nous embarquons avec Fiona et Chris, un couple de quinquagénaires britanniques séjournant à Fushi, à destination de l’île voisine d’Eydhafushi, chef-lieu de l’atoll. Longue de 1,2 km, large de 400 mètres, 2 600 habitants et pas un coin de verdure, à peine quelques cocotiers. Pas de plages, non plus. Par endroits, le littoral est jonché de détritus. C’est l’envers de la carte postale. Le contraste total avec l’incroyable jardin botanique naturel qui habille  » notre  » île paradisiaque. À bord, une montagne de sacs de jute et une panoplie de palmes, masques et tubas. Une dizaine de Maldiviens intimidés nous ont rejoints. Direction : le récif corallien, quelques dizaines de mètres au large. Pour une opération de nettoyage grandeur nature, sous les yeux ahuris d’une armada de poissons exotiques bariolés et curieux.

En deux heures, l’improbable équipage formé de touristes européens et de volontaires autochtones a remonté vingt sacs, remplis de boîtes de conserves rouillées, de bouteilles en verre et en plastique, de godasses décomposées, de briques, de roues de vélos ou de tuyaux éventrésà Une goutte d’eau dans un océan de déchets.  » Mais une belle sensibilisation des populations locales aux dégâts qu’elles causent à leur propre environnement « , argue Anke, qui orchestre l’opération.

Nous retrouvons nos Britanniques le lendemain à l' » Eco-centre  » de l’île.  » Waste to wealth  » proclame un écriteau de bois. Conçu selon les principes de la permaculture, ce centre vise à recycler la totalité des déchets produits sur l’île – ou ramassés à l’extérieurà Le bois est transformé en charbon par pyrolyse et même en biogaz pour générer de l’électricité, les résidus alimentaires en biogaz et en compost, le verre est pilé pour la construction et la décoration, le carton recyclé et le métal compressé puis revendu à la ferraille. Et le plastique ?  » Il est tout simplement banni de l’île « , sourit Anke. Ici, même les pailles à cocktails sont en carton recycléà

Vider les fours à charbon, débarrasser les cartons des rubans adhésifs, aplatir les boîtes de conserveà Chris et Fiona transpirent sous un soleil de plomb. Pas seulement pour la bonne cause.  » C’est extrêmement motivant de se dire qu’en plus de passer des vacances merveilleuses dans un environnement magique, nous apportons notre pierre à l’édifice du développement durable et de l’éducation des populations locales, souffle Chris entre deux coups de masse. Mais c’est aussi un moyen de prolonger nos vacances à bon compte dans l’un des plus beaux et des plus authentiques hôtels des Maldives.  » Le commentaire est autorisé : c’est leur cinquième séjour dans l’archipel.

Nouvelle concrétisation de la philosophie du luxe intelligent, le  » volontourisme  » (marque déposée) made in Soneva propose aux clients, pendant la saison creuse (juin à octobre), d’offrir un peu de leur temps en échange d’une partie des frais de séjour. Les hôtes qui acceptent de travailler cinq heures par jour pendant cinq jours sur des projets locaux se voient offrir cinq nuits gratuites. Au menu : préservation de la vie marine, enseignement à la jeunesse locale, plantation d’arbres ou recyclage des déchets. Depuis que le programme a démarré, en juillet dernier, une douzaine de couples et familles y a déjà participé, dont une Belge.  » Nous avons dû refuser du monde, regrette Anke. Impliquer les autochtones demande une grosse organisation. Or, nous ne concevons pas ce programme sans eux : l’objectif est avant tout éducatif. « 

Les six sens en éveil

Il s’inscrit en tout cas dans une démarche entièrement axée sur le développement durable dont il n’est que la partie émergéeà de l’atoll. Tout ici participe de la volonté d’asseoir un tourisme de qualité respectueux de l’environnement. L’eau consommée sur l’île est produite par une usine de désalinisation de l’eau de mer. La nourriture est faite à partir d’ingrédients locaux et même, pour ce qui concerne les fruits, légumes et plantes aromatiques, cultivés dans d’abondants jardins bio. L’architecture est en symbiose avec la nature, privilégie la lumière naturelle et les matériaux sont naturels ou recyclés, la part belle étant faite au bois provenant de plantations certifiées durables. L’essentiel des meubles, des objets de décoration, des tissus d’ameublement et des vêtements du personnel est fabriqué sur place. Et tout est d’un raffinement absolu.

L’ambition est plus vaste encore. Non seulement Soneva Fushi est le premier hôtel à avoir initié un programme de compensation des émissions de gaz à effet de serre liées à l’acheminement par avion de sa clientèle, mais il s’est imposé un plan  » carbone zéro  » qui lui interdit l’émission de la moindre particule de CO2 à l’horizon 2012. Et donc l’utilisation du moindre gramme d’énergie fossile. Un sacré challenge quand on sait que 150 hôtes et 350 employés résident en permanence sur l’île où l’air conditionné règne en maître.

Pour y arriver, le groupe recourt massivement aux énergies renouvelables – solaire, éolienne et même tidale (l’énergie hydrodynamique). Une centrale photovoltaïque fournit déjà 70 kwh d’électricité et on teste un système innovant de refroidissement de l’air par l’eau tirée des profondeursà  » Sonu ne regarde pas à la dépense, témoigne Anke Hofmeister. Nous sommes le laboratoire du groupe en matière de développement durable. « 

Voilà pour l’envers du décor. Le côté cour, behind the scene. Côté jardin (d’Éden), les hôtes alternent les flâneries dans la forêt tropicale où gambadent plein d’animaux inoffensifs, les plongées dans l’océan turquoise à la rencontre des tortues marines, des raies mantas et des dauphins, les plaisirs d’une table à la fois saine et gastronomique, les séances de bronzage entre la plage et leur piscine privée et massages ou thérapies régénératrices, entre des mains expertes et délicates. Un pur voyage sensoriel. Et une invitation à en réveiller le sixième.

Carnet pratique en page 24.

Par Philippe Camillara

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