C’est le gâteau parisien par excellence. Crémeux et délicieusement old school, il signe son retour chez les meilleurs pâtissiers de la capitale.

La pâtisserie mentale a vécu. Ses rondelles coloristes aux goûts indéfinissables mollissent devant l’offensive des  » bons vieux gâteaux « , conduite par le plus joufflu d’entre eux : le saint-honoré. Il y aurait à dire sur ce retour aux traditions qui s’exprime aussi dans la mode (néo-bourgeois). Mais ici, le come-back du refoulé prend un aspect plus séduisant encore : si le saint-honoré, festif et crémeux, nous console des angoisses de l’époque, cela vaut bien quelques grammes en plus. D’autant que ce très vieux gâteau fut un précursseur : né au XVIIIe ou au XIXe siècle, il annonce l’architecture  » à la crème fouettée  » du second Empire (à l’image du palais Garnier, à Paris).

Qui êtes-vous, monsieur saint Honoré ? Avant de patronner le shopping du faubourg le plus chic de Paris, ce disciple de saint Béat était le protecteur des pâtissiers. Son gâteau est de l’illustre famille des choux à la crème, comme la religieuse, l’éclair, le paris-brest et le mille-feuille. Beaucoup le croient signé par Chiboust, l’inventeur de la crème aux blancs fouettés du même nom, dont il aurait garni son premier  » St-O  » en pâte à brioche. Un fait est sûr, le saint-honoré est né dans la Ville lumière, près du Palais-Royal, épicentre de la bonne chère au XIXe siècle. Auteure de LaTrès Belle et Très Exquise Histoire des gâteaux et des friandises (Flammarion), Maguelonne Toussaint-Samat l’attribue, elle, aux frères Jullien, qui le réalisèrent en 1847 d’abord en pâte à baba, puis en pâte brisée, et calèrent la crème fouettée en y plantant des choux.  » Très vite, dit-elle, il connut un succès multisaison. Les gâteaux étaient imposants, et celui-là ressemblait à un monument.  »

Pour nous décomplexer, Yannick Alléno rappelle que  » la grande tradition est toujours d’avant-garde « . Grand maître des cuisines de l’hôtel parisien Meurice, sacré chef de l’année en 2008, ce pâtissier de formation collabore aussi avec le célèbre traiteur Fauchon et a sorti l’an dernier un livre, Terroir parisien (Laymon), qui a déteint sur la carte de son restaurant. Pour lui,  » typique des gâteaux crémeux du XIXe, le saint-honoré est un dessert d’ici, comme le macaron, le moka et bien d’autres « . L’essence d’un classique étant de survivre aux modes, le St-O n’avait d’ailleurs pas disparu. Si Fauchon, attaché à rénover son image, l’avait chassé de ses étals, il prospérait – délicieusement ! – chez son concurrent Mulot, rue de Seine, et dans d’autres institutions de quartier, où la vieille garde en faisait ses choux gras, chaque dimanche après la messe. Le retour à la une de ce gâteau aussi beau que bon – et, désormais, aussi bobo que bonbon (jusqu’à 8 euros !) – est dû peut-être aux étrangers férus de tradition française, Américains et surtout Japonais, qui trouvent le chou à la crème si kawaï (mignon, en français), avec son mix croquant et crème, qu’ils en proposent depuis onze ans à Tokyo, fourrés à tous les parfums.

DÉCLINÉ À L’INFINI

Bien entendu, les grands pâtissiers jurent avoir toujours honoré le saint-honoré, Ladurée se targuant même de l’avoir remis à la mode dès 1995, en version rose et framboise. Joaillier du gâteau, Pierre Hermé voit le St-O comme un  » condensé de savoir-faire pâtissier, passionnant par son mariage des textures : le croustillant du feuilleté, le moelleux résistant du chou… C’est un gâteau de pâtissier, en fait assez léger, mais difficile à réaliser chez soi, et qui doit être mangé frais « . Il en propose la version classique (crème allégée nappée de chantilly) aussi bien que des recréations, comme Ispahan (rose, litchi, framboise), Azur (chocolat de Java, yuzu, crème de mascarpone)… Auteur de livres de recettes à succès, Christophe Felder se faisait taquiner par ses collègues du Crillon, à l’époque où il y officiait comme chef pâtissier, relançant le St-O à la crème Chiboust, qu’ils jugeaient démodé :  » Les gâteaux qui traversent les décennies sont les plus simples. Voyez comme le St-O se décline à l’infini : j’en ai fait un liégeois avec des choux fourrés cappuccino, et récemment un glacé au sorbet fraise. Il faut que les jeunes revisitent les classiques, car ils ont à inventer ceux du futur !  » Le chef pâtissier du Plaza Athénée, Christophe Michalak, appuie en ce sens.  » Je suis fan de la pâte à chou, donc du saint-honoré, assure l’auteur de l’inoubliable religieuse au caramel au beurre salé, qui a recréé sur le même mode un St-O rond en bouche. Le pâtissier fougueux que j’étais il y a quinze ans a compris que le spectaculaire a ses limites : il faut aller au bout de soi, puis revenir sur ses pas pour trouver la simplicité. « 

On peut avoir 30 ans et adorer les traditions. C’est le cas de Camille Lesecq, chef pâtissier du Meurice, qui signe un St-O si léger que les choux finement caramélisés paraissent léviter sur une mer crémeuse de nuages :  » J’ai remplacé la pâte brisée par un feuilletage croustillant, cuit à c£ur et nappé d’une crème pâtissière au kirsch qui sert de support à la crème fouettée.  » Les frères Jullien seraient épatés par cette version haute couture, dont la simplicité doit beaucoup aux techniques modernes et aux produits d’exception. Et ils prendraient pension à la Pâtisserie des rêves, ouverte par le grand Philippe Conticini dans le XVIe arrondissement : Meilleur Ouvrier de France, Angelo Musa y crée des saint-honoré carrés – mieux adaptés à la découpe – sur lit de feuilletage, et dont chaque élément, cuit séparément, est un régal à lui seul. Peu sucrée, sa crème fouettée est un vertige d’autant plus grand que, dit-il,  » on en a plein la bouche « . Car la générosité fait partie des valeurs de ce lieu à la fois simple et intrigant, imaginé par Thierry Teyssier, également propriétaire d’une chaîne d’hôtels de luxe dont les maîtres-mots sont la magie et l’émotion. À croire que ce manager pointu, qui rêve de recréer l’univers de la confiserie, veut établir des liens du c£ur avec ses clients, en leur parlant la langue de l’enfance.  » Le sucre est le plus sain des antidépresseurs « , appuie Jacques Genin, qui officie dans son salon de thé de la rue de Turenne et dont le St-O est un modèle.  » Les pâtissiers ont un mode de séduction sentimental : ils vous prennent par la douceur et vous réconfortent… Comme la religion.  » Est-ce pour cela que les pâtisseries abondent aux abords des églises, des temples et des mosquées ?

Carnet d’adresses en page 48.

PAR JACQUES BRUNEL / PHOTOS : JÉRÔME GALLAND/ALEPH

On peut avoir 30 ans et adorer les traditions.

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