Barbara Witkowska Journaliste

C’est en Toscane, dans des usines ultramodernes et superbement designées que naissent le prêt-à-porter et les accessoires griffés Prada. Visite exclusive.

La force de Prada ? Une créativité débridée. Aucune griffe n’est aussi prolixe en concepts ludiques, artistiques et techniques. Derrière son innovation et son esprit d’avant-garde, Prada est une maison où l’on ne badine ni avec la rigueur ni avec le savoir-faire. En témoignent ces 14 sites de production, disséminés en Toscane, l’une des régions qui a su garder et préserver jalousement son passé artisanal. Les méthodes de fabrication ont d’autant plus évolué, que les nouvelles technologies et l’informatique donnent un coup de main appréciable. Mais la qualité de la finition artisanale, cette qualité sans compromis est toujours au centre des préoccupations de la marque. A chaque manipulation, les mille et un contrôles de qualité sont opérés. Chaque détail est inspecté et vérifié des dizaines de fois.

Du dessin au produit fini

C’est à Milan que les créatifs planchent, sous la houlette de Miuccia Prada, sur les nouvelles collections de prêt-à-porter Homme et Femme. Les dessins arrivent ensuite ici, dans cette usine immense et toute blanche, située à deux pas d’Arezzo, ville d’art. L’Usine est le centre névralgique de la maison où naissent tous les prototypes. Chaque pièce doit être impeccable et irréprochable, pour servir, ensuite, à la production en série.

Première étape, la réalisation d’un patron. Parallèlement, on établit sa fiche technique comprenant les différents matériaux et les petits accessoires. Chez Prada, les pièces vestimentaires importantes, les vestes ou les manteaux, sont très élaborées et réunissent, en moyenne, 50 pièces différentes. Certains modèles cumulent même 80 pièces ! Une fois approuvé, le patron débarque au département des gradations où l’on détermine les différentes tailles. Cette étape est effectuée par ordinateur.

On passe ensuite à l’application du patron sur le tissu. Une fois de plus, l’ordinateur détermine l’emplacement de toutes les pièces. Le but ? Rentabiliser le tissu au maximum surtout lorsqu’il s’agit d’imprimés. Cette étape est confiée à des modélistes issus des meilleures écoles italiennes et formés ensuite par des informaticiens spécialisés. Les tissus sont coupés à la main. Pour optimiser le travail, on peut superposer plusieurs couches. Des hommes et des femmes effectuent ce travail méticuleux. Le cliquetis des ciseaux est incessant. A les voir travailler, on comprend mieux la passion qui les habite.

Les tissus sont stockés dans le hall juste à côté. Des dizaines de couloirs interminables,  » bordés « , de chaque côté, d’étagères remplies de rouleaux de tissus. Chez Prada, on utilise chaque année plus de quatre millions de mètres ! En majorité italiens, mais il y a aussi des tissus français et britanniques. Très souvent, ils sont réalisés exclusivement pour la maison, notamment les imprimés. Puis un autre département attire notre attention, celui des petits accessoires. Des dizaines d’immenses tiroirs montent jusqu’au plafond. Chaque tiroir est divisé en plusieurs compartiments. Dedans, on a soigneusement classé des centaines de boutons, boucles, clous, élastiques, Velcro, zips et étiquettes, brefs tous ces détails essentiels qui font qu’un vêtement Prada ne ressemble à aucun autre.

Le temple de la chaussure

Pour abriter sa production de chaussures (3,5 millions de paires par an), Prada s’est offert, dans les nineties, une usine de rêve. Un bâtiment ultradesign, une gigantesque boîte rectangulaire, entièrement vitrée et totalement transparente, dessinée par l’architecte Guido Canali. A l’intérieur, tout est blanc. Dans l’entrée, un jardin vertical accueille le visiteur. Par un long couloir bordé de bambous, on pénètre dans un espace immense : pas d’étages, pas de marches. Rien qui ne vienne entraver le travail de plus de 250 artisans.

La fabrication suit le même processus que celui du prêt-à-porter. Une chaussure Prada comporte en moyenne 70 pièces différentes, les modèles plus compliqués nécessitent 80, voire 90 pièces. L’£il et la main de l’homme décident de tout et donnent l’impulsion à la machine. L’ordinateur, par exemple, détermine le positionnement de toutes les pièces sur une peau, en évitant ses défauts et en la rentabilisant au maximum.

Le jour de notre visite, la plupart des artisans s’activent à réaliser les ballerines, grandes vedettes du printemps 2007. Dévoilons le secret : elles seront bicolores, animées d’associations vibrantes : jaune et vert très vifs ou encore fuchsia et orange électrique. Une personne est préposée à une tâche très importante : l’application à la main de la colle qui fixera la semelle. Cette opération manuelle est indispensable pour que la ballerine garde sa légendaire souplesse.

Au département des sacs, la production en série est effectuée dans une autre usine. Ici, au centre de recherche et de développement, on réalise des prototypes et des modèles pour les showrooms. A Milan, Miuccia Prada met au point les concepts, définit les matériaux et les coloris. Mais les modélistes ne sont pas de simples exécutants. Ils peuvent modifier et faire évoluer le modèle s’ils ne le jugent pas suffisamment ergonomique, fonctionnel ou pratique. Les sacs faisant appel à des peaux rares, telles le croco, l’autruche, le galuchat ou le lézard, sont réalisés à la main. Mais tous les autres modèles bénéficient d’une finition tout aussi minutieuse et attentionnée.

La success story continue…

Quel chemin parcouru depuis 1913, l’année où Mario Prada, grand-père de Miuccia Prada ouvre, à Milan, une boutique exclusive dans la prestigieuse Galleria Vittorio Emanuele II (l’équivalent des Galeries du Roi et de la Reine à Bruxelles), située en face de la cathédrale. La boutique ressemble à un cabinet de curiosités du xviie siècle, tant les produits sont élitistes, insolites et éclectiques. Homme curieux et grand voyageur, Mario Prada aime surprendre et satisfaire ses clients esthètes les plus exigeants. Les objets qu’il sélectionne ou qu’il fait fabriquer ne sont pas seulement originaux et réalisés par une main-d’£uvre extrêmement qualifiée. Ils sont surtout très modernes, voire révolutionnaires pour l’époque, conçus selon une approche avant-gardiste.

Dans les seventies, Miuccia Prada, la petite-fille du fondateur, commence à s’impliquer, en tant que styliste, dans l’entreprise familiale. Au début, avec une certaine distance. C’est l’époque où elle s’investit surtout dans la préparation d’un doctorat en sciences politiques et… dans des manifestations de rue. Le métier d’actrice ne lui déplairait pas. Elle adorerait travailler avec le grand metteur en scène Giorgio Strehler. La mode ? Elle s’y intéresse, mais ne compte pas en faire un métier. Diplôme en poche, elle rejoint quand même l’entreprise familiale. Le vrai déclic se produira en 1978.

Selon la légende (jamais démentie par la maison), Miuccia Prada tient à s’expliquer avec Patrizio Bertelli, patron d’une entreprise de maroquinerie, basée à Arezzo, en Toscane, qui copie ses sacs. La rencontre vire en coup de foudre. Ils se marient et unissent leurs compétences respectives : elle, la création, lui, la gestion et le développement de l’entreprise. Dès les eighties, les ventes explosent. Aux sacs s’ajoutent les collections de prêt-à-porter Homme et Femme et les chaussures. Plus tard, naîtront la marque Miu-Miu, plus jeune et plus pointue, ainsi que Prada Sport, reconnaissable à sa fameuse bande rouge.

Tout en gardant son esprit plutôt minimaliste, sobre, un brin intello et pimenté d’une touche rétro, le style Prada évolue en douceur au fil du temps. Les coupes restent toujours irréprochables, mais chaque saison voit apparaître de nouvelles matières high-tech (des tuniques laquées pour l’été 2007, par exemple) et des associations de couleurs de plus en plus audacieuses (tel le mariage d’un rouge et d’un violet vibrants, toujours pour l’été 2007).

Rien n’arrête Miuccia Prada pour faire aboutir ses idées. Citons deux exemples. Le premier concerne ces fameux sacs en nylon qui ont fait le tour du monde dans les eighties. Miuccia Prada s’est mis en tête d’utiliser un matériau pauvre mais a voulu le traiter de façon exceptionnelle. Pour cela, elle avait besoin de métiers à tisser plus sophistiqués et plus élaborés que ceux qui servent à tisser la soie. Ils n’existaient pas sur le marché ? Qu’à cela ne tienne. Elle les a fait fabriquer spécialement pour Prada. Le deuxième exemple remonte à 2002. Une partie de la collection s’ornait alors de paillettes. Elles devaient avoir une nuance très précise qui rappelait, lorsque le tissu bougeait, les vagues de la mer. Or, tous les modèles existant sur le marché ne convenaient pas à Miuccia Prada. Lors de recherches approfondies, elle est tombée sur un tissu à paillettes, fabriqué dans les fifties à Lyon. La production, arrêtée depuis belle lurette, a dû être remise en route devant son insistance et son opiniâtreté !

Pour l’amour de l’art

La mode et les accessoires ne suffisent pas à ce duo d’esthètes de choc. La passion pour l’art contemporain, pour l’architecture et pour les cadres de vie et de travail exceptionnels, est leur autre grande affaire. En 1995, ils ont créé la Fondation d’art contemporain. Le bâtiment ? L’ancien entrepôt où se trouvaient les archives de la Banca Commerciale Italiana. Ses espaces généreux, bruts et patinés, se prêtent admirablement à des expositions artistiques et à des festivals de films  » alternatifs « . La Fondation est aussi un endroit de réflexion sur les grandes questions d’actualité.

Dans le domaine architectural, impossible de passer sous silence le concept des boutiques expérimentales, dites  » épicentres « . Pour l’instant, elles sont trois. Rem Koolhaas a imaginé celles de New York et de Los Angeles. Le bureau Herzg & de Meuron a conçu celle de Tokyo. Partout, le schéma traditionnel d’une boutique est complètement chamboulé, il n’y a ni portes ni vitrines. Les vêtements et les accessoires sont exposés comme des £uvres d’art. Les  » épicentres  » sont dédiées, à 40 %, aux installations, aux projections de films et aux spectacles de théâtre. Histoire d’apporter une autre dimension au  » shopping « , plus arty, plus réfléchi et plus intello.

Barbara Witkowska

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