Berceau du bouddhisme, Wakayama, dans la région du Kansai, est également un véritable sanctuaire dédié à l’eau. Une destination sacrée où l’art du bain thermal est une véritable religion. Visite de ce lieu divin par des chemins de traverse effleurant l’âme d’un Japon millénaire.

A bord du Limited Express Wide View Nanki 3, il fait bon oublier enfin l’hystérie qui règne à Tokyo. Pour gagner la petite ville côtière de Shingu, au centre est de l’île Honshu, ce train touristique longe la côte est de la péninsule du Kii, fuyant à grande vitesse les excès des cités nipponnes. Par petites grappes, des écoliers tout juste sortis du yochien (jardin d’enfants) se serrent contre la baie vitrée géante donnant sur la cabine de pilotage. Extase collective devant le jeu horloger des mains gantées de blanc du conducteur. On en oublierait presque de contempler le paysage : les rizières en terrasse et les antiques maisons en bois bordant un océan Pacifique bleu azur.

Moins spectaculaire et populiste que le Japon de certains médias racoleurs, la dimension spirituelle nipponne contemporaine plonge ses racines dans la préfecture de Wakayama. Deux destinations à privilégier pour échapper au stress de la vie urbaine : le Kumano (le  » pays des arbres « ) et le Koya san, lieux témoins de l’introduction pacifique du bouddhisme en terres shintoïstes. Hermétique à l’agitation du triangle urbain dessiné au nord-ouest par les mégalopoles de Kobe, Osaka et Kyoto, la région recèle également des thermes adoptant des formes insoupçonnées. L’eau y est omniprésente. Sanctifiée, sirotée et admirée le long de plages de sable blanc. Crainte aussi car canalisée dans des caves. Mais surtout appréciée pour les innombrables formes d’onsens, ces bains publics de source d’eau chaude thermale.

Creuser son bain

Porte d’entrée de la région du Kumano, la petite ville de Shingu, entourée par des montagnes de cèdres et de bambous, est une halte privilégiée. On trouve ici quelques adresses servant des meharis, une espèce rare d’onigiris, des boulettes de riz dégustées en en-cas dont les traditionnelles feuilles d’algues qui les enrobent ont été remplacées ici par des feuilles de chou mariné. Un plat d’altitude roboratif destiné à caler l’estomac des bûcherons et des pèlerins. Car la région entretient depuis un millénaire une tradition de marche spirituelle via le Kumano Kodo, réseau de sentiers menant vers le Kumano Sanzan, un trio de sites sacrés. Bien plus que leur reconnaissance par l’Unesco en 2004,  » l’âme  » de ces voies sacrées rayonne un peu plus encore depuis leur association officielle, voici vingt-deux ans, avec Saint-Jacques de Compostelle en Espagne.

Les randonneurs pris par le temps mais curieux mettront le cap sur le temple du Hongu Taisha, centre de l’étoile projetant cinq longs chemins aux quatre coins de la péninsule. Bordé de pensions familiales, celui de Nakahechi est l’un des plus populaires de la région. On y voit défiler chaque année des centaines de pèlerins de confessions diverses, incarnant un paisible syncrétisme entre bouddhisme et shintoïsme. Premier arrêt entre Shingu et le Hongu Taisha : le Kawa-Yu Onsen ou bain de Kawa-Yu.

Tapie au creux d’une vallée bordée d’arbres, la rivière Oto distille de l’eau de source (très) chaude au travers des galets couvrant son lit. Contrairement à la rivière Yunotani du Yunomine Onsen tout proche (la plus veille source d’eau bouillante découverte au Japon, il y a 1 800 ans) où l’on peut cuire £ufs et légumes à même la roche, les visiteurs peuvent y nager. En famille et parfois en kimono, les baigneurs creusent des baignoires naturelles permettant de faire jaillir de grandes quantités d’eau chaude. Jubilatoire et apaisant.

À quelques kilomètres au nord de ces sites où l’eau soigne, l’accent est mis non plus sur la détente mais sur la spiritualité. Le Nachi Taisha compte ainsi parmi les trois hauts lieux sacrés du sud-est de la péninsule. Bien plus que sa vertigineuse chute d’eau de 133 mètres ou que son sanctuaire érigé en hommage au dieu de la cascade, une des trois divinités centrales de la région de Kumano, le site interpelle par sa portée symbolique. Pas de lutte des religions ici. Le bouddhisme arrivé au Japon par cette région depuis la Chine, au milieu du xie siècle, s’est doucement lié à la religion shinto. Le temple bouddhiste de Seigantoji cohabite ainsi paisiblement avec celui, shintoïste, de Nachi Taisha.

La différence entre les murs gris du premier et ceux, rouge flamboyant, du second, saute pourtant aux yeux. Toute classe, tout sexe et surtout tout âge confondus, la fréquentation de ces temples, malgré la période creuse de septembre, ne faiblit pas. Et les boutiques de talismans, protégeant des accidents de voiture ou aidant à la réussite scolaire, tenues par les moines, ne désemplissent pas.

Onsens à 360 degrés

Loin, très loin de cet héritage vivant et séculaire relié au Kumano Hongu Taisha par le sentier du Kumano Sankei, Shirahama étend paresseusement sa longue plage sur la côte ouest de la péninsule de Kii. Outre son parc animalier et autres attractions touristiques, la tranquille cité balnéaire offre, ici et là, quelques bars discrets, à mille lieues d’une vie nocturne frénétique. Bien plus que son sable blanc de carte postale, Shirahama séduit par sa dizaine de rotemburos, des bains chauds de source thermale dont l’origine remonte à la nuit des temps. Après les baignoires de Kawa-Yu Onsen à creuser soi-même, place ici aux onsens panoramiques avec vue sur mer.

Les sources thermales de Shirahama sont déjà citées dans le Nihon shoki, le plus vieux manuscrit (720 de notre ère) découvert à ce jour et traitant du Japon. À recommander : le Sakino-Yu Onsen, avec sa position en bas de falaise, son accès direct à la mer et ses vagues venant mourir dans le bassin. Le Seamore, un hôtel très années 90 avec son ubuesque galerie commerçante en spirale, vaut, lui, surtout pour sa série de baignoires-tonneaux géantes en cèdre posées à l’extérieur, avec vue panoramique sur la mer. Plus au sud, encerclée de falaises déchiquetées, la grotte de Sandan Heki procure bien des sensations grâce à ses remous maritimes grandioses.

Le Voyage de Chiiro

Point d’orgue de ce périple thermal divin de la péninsule du Kii, le Mont Koya dresse ses 110 temples sur un plateau sacré de 6 km de largeur. Koya san et ses 7 000 moines, comme le souligent les Japonais, symbolisent l’épicentre de leur foi puisque la montagne sacrée a assisté à la naissance du bouddhisme Shingon importé de la Chine au Japon en 816 de notre ère. À ne pas rater : la pagode Konpon Daito et le temple Kongobu (construit en 1593 et resté inchangé depuis) qui vaut autorité auprès de 4 000 temples à travers le pays.

Mais Koya san se visite surtout pour son cimetière de l’Okuno-In. Fascinante comme un film de Miyazaki, une somptueuse allée, pavée de grosses dalles et plantée de cèdres tutoyant le ciel, traverse un cimetière de 400 000 tombes. Parmi les sépultures ancestrales patinées de mousse, on découvre au fil de ce chemin céleste la sépulture de Yoshimune Tokugawa, seigneur de guerre local du xviiie siècle ou encore une stèle dédiée aux victimes japonaises et étrangères de la guerre de Bornéo.

À l’aube, l’Okuno-In propose un jeu de lumières féerique. Un peu plus tard, en fin de matinée, se déroule la procession quotidienne des moines apportant une offrande à Kobo Daishi, appelé aussi Kukai, le fondateur du bouddhisme. Une foi, qui contraste violemment avec la frénésie de notre monde moderne. Au même titre que toute la culture nipponne.

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Par Michi-Hiro TamaÏ / Photos : Ophélie Piraux

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