Les écrans pixellisés envahissent sans rougir les derniers espaces vierges de technologie informatique. Même les toilettes sont menacées !

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur la Première (RTBF radio).

S urtout, n’attendez pas le garçon. Il ne viendra pas. Au restaurant Suyash, dans la ville indienne de Pune, les serveurs sont tout bonnement inexistants. Manque de personnel ? Que nenni. Le concept est tout autre puisque chacune des 48 tables de cette enseigne végétarienne est équipée d’un petit ordinateur avec menus et ingrédients des plats affichés à l’écran. Deux petits clics de souris et hop, la commande est immédiatement passée en cuisine ! Pendant l’attente (dont la durée est également précisée à l’écran), les clients de cet e-restaurant peuvent évidemment surfer sur le Net et se défouler virtuellement au c£ur de quelques jeux téléchargés. Bref, l’idée consiste à occuper le consommateur pour qu’il n’éprouve aucun sentiment d’ennui préjudiciable à la réputation de l’établissement. Le tout sous couvert du progrès technologique, cela va de soi. Amusant, ce concept du restaurant informatique est révélateur d’une tendance latente et presque insupportable : le désir de combler les temps morts à tout prix avec, en filigrane, l’exploitation de lieux qui restaient, jusqu’à présent, vierges d’écran pixellisé. Un autre exemple ? Aux Etats-Unis, une société spécialisée dans la communication par satellite propose désormais de truffer n’importe quelle voiture de mini-télévisions, un peu comme dans le siège des avions ( www.kvh.com). Au programme : 300 chaînes de télé accessibles uniquement sur les routes du territoire américain, histoire de ne plus regarder  » bêtement  » le paysage durant le trajet. Mais il y a pire encore dans cette volonté agressive de vouloir rentabiliser les rares moments de quiétude, solitaire ou non. Récemment, la très sérieuse firme MSN (filiale de Microsoft) avait en effet annoncé l’inauguration des toutes premières e-toilettes pour les prochains festivals de rock britanniques. Concrètement, le projet  » iLoo  » consistait en une cabine portable avec W.-C. intégré (comme celles que l’on trouve sur les chantiers), mais équipée cette fois d’un ordinateur, d’un écran plasma et d’un clavier sans fil que l’on pouvait poser sur les genoux ( dessin). Le tout relié évidemment à Internet grâce à la technologie sans fil Wifi. De cette façon, l’utilisateur de l' » iLoo  » pouvait consulter ses e-mails et explorer la grande Toile en attendant d’avoir accompli sa mission libératrice. Au moment de la conférence de presse vantant le cyber-projet, les fins limiers de MSN arguaient que les toilettes étaient l’un des derniers camps retranchés où l’on pouvait encore atteindre certains jeunes privés d’informatique. Mais voilà, l’initiative a très vite révélé sa dimension ridicule, voire carrément choquante. Non pas parce qu’elle brise le tabou  » pipi-caca « , mais simplement parce qu’elle viole un espace éminemment privé au nom d’un soi-disant service. La dérive d’une telle  » invention  » est bel et bien là : il s’agit de culpabiliser l’individu dans ses rares moments d’intimité ou de solitude absolue pour l’inviter à agir et/ou consommer. Un peu comme si le silence ou les temps morts étaient devenus honteux et devaient être remplis à tout prix. Sans doute consciente de l’effet dévastateur de cette mauvaise publicité, MSN a finalement annoncé la semaine dernière qu’elle renonçait définitivement à l’  » iLoo « . L’honneur est sauf ; le loisir de penser, intact.

Frédéric Brébant

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