La STIB implantera cette année de nouveaux abribus – plus beaux, plus sûrs, plus confortables – le long de ses lignes. Un projet d’envergure, confié au designer belge Xavier Lust ; un casting haut de gamme qui constitue une raison supplémentaire de se réjouir.

Bientôt du neuf dans les rues de la capitale ! La Société des transports intercommunaux de Bruxelles (STIB) s’apprête à renouveler l’ensemble de son parc d’abribus et, petite révolution, à installer un modèle qui sera commun aux dix-neuf communes bruxelloises, ainsi qu’à six autres limitrophes, où s’étend le réseau. Une première, car jusque-là, ces haltes s’illustraient surtout par leur hétérogénéité, occasionnant de drastiques changements de styles à la frontière des territoires communaux. Le nouvel abri  » régional  » se devait d’être modulable et confortable, doté d’équipements modernes et alliant robustesse, plus-value esthétique et ergonomie. Restait donc à trouver une personne capable de relever un tel défi, et l’on peut difficilement être déçu du choix final : l’instance bruxelloise s’est offert les services du designer Xavier Lust, qui présente le double avantage d’être du cru et de bénéficier d’une aura internationale. Lauréat d’une des plus prestigieuses récompenses du design, le Compasso d’Oro, il a vu nombre de ses produits édités par des marques renommées en Belgique et à l’étranger (particulièrement en Italie via des collaborations avec MDF Italia, Driade, De Padova) et crée l’événement à chaque vente de séries limitées. Les habitants de la capitale sont déjà familiers de son Banc, que l’on retrouve au Mont des Arts, d’autres le connaissent aussi pour avoir créé le trophée des Magritte du cinéma. Caractérisées par des lignes organiques et fluides, la plupart de ses créations font la part belle au métal, c’est donc naturellement que Xavier Lust a fait usage, cette fois encore, de son matériau de prédilection, dont la solidité convient parfaitement à l’exercice du design urbain.

Avant un été chargé – notamment par la préparation d’une expo à Paris et de sa participation à la Biennale Interieur de Courtrai en octobre prochain – et à quelques jours de son départ pour le Congo, où il participe au projet Design Fab Kinshasa avec Bozar, nous avons rencontré Xavier Lust.

Concevoir un abribus, vous y pensiez depuis longtemps ?

Le mobilier urbain m’attire depuis toujours, mais ce n’est qu’à partir de 2005 que j’ai commencé à vraiment concrétiser cet intérêt. J’aime ce côté humaniste, design pour tous, plus philosophique, qui prend pleinement son sens dans le cas des transports en commun. Et j’ai beaucoup utilisé la STIB étant plus jeune, j’observe donc ça depuis l’enfance. Métro, tram, bus, j’ai expérimenté ça pendant des heures, j’ai eu le temps de m’inspirer. L’avantage de notre capitale est qu’on a tellement de modèles d’abribus différents qu’on a déjà tout vu en la matière.

Il y avait sept projets au départ. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en votre faveur ?

Si j’ai remporté ce concours, c’est parce que j’ai répondu à chaque point d’un cahier des charges extrêmement détaillé. J’ai monté un dossier très complet, qui présente de manière exhaustive les étapes de la recherche, les plans d’exécution, etc. ; une habitude prise pour prouver que mes idées sont techniquement irréprochables. Après vingt ans de métier, je savais que la seule manière d’être choisi était de répondre aux mille et une exigences, surtout en termes de sécurité. Il y a parfois des choses qu’on n’imagine même pas mais qui doivent intervenir dans la réflexion.

Par exemple ?

Tout doit être pensé en fonction des usagers. Qu’est-ce qui représente un danger pour les passants ? Quand la vitre est cassée, est-ce qu’on va trébucher sur un support au niveau des pieds ? Est-ce 100 % adapté aux personnes à mobilité réduite ? Et on pourrait continuer encore longtemps. Je ne m’en plains pas, je comprends ces impératifs et c’était intéressant de devoir s’y conformer, mais très contraignant au niveau créatif. J’avais l’avantage d’avoir déjà conçu ce genre d’objet mais il ne répondait alors à aucune norme. Il en existe toujours un exemplaire devant le musée d’art ancien, rue de la Régence, hélas en mauvais état, faute d’entretien.

Quelle fut la plus lourde contrainte ?

Le modèle standard devait obligatoirement être composé de quatre poteaux pour trois travées en verre d’un mètre cinquante. Cela limitait déjà énormément les possibilités. Pour ne rien arranger, ce type de structure par segment n’est pas bon marché, parce que sceller un poteau dans le sol coûte très cher ; c’est pourquoi nombreux sont ceux qui ne tiennent que par deux montants, comme le Foster, que l’on peut voir à Paris ou Milan. Il a vraiment fallu trouver des astuces pour le faire de façon intelligente, économique, mais aussi écologique. Les données étaient claires, et malgré des contraintes énormes, j’ai été bon élève.

Comment parvient-on malgré tout à imposer sa griffe ?

Avec ces données très précises, il restait effectivement très peu de marge de manoeuvre. Mais en tenant compte de tous ces aspects, j’ai quand même pu insuffler une originalité, une ligne et une présence, ainsi qu’un confort très étudié. L’assise est confortable et dispose d’un dossier, ce qui n’existe à peu près nulle part ailleurs. Il y a aussi des appuis ischiatiques, pour  » s’asseoir debout « .

Comment décririez-vous ce nouveau venu dans le paysage urbain ?

Au premier coup d’oeil, le projet ressemble à un abribus plutôt classique, pas à un truc révolutionnaire. D’autant plus que je me suis inspiré d’éléments de la signalisation, comme les feux aux poteaux gris et cylindriques, pour faciliter l’intégration aux rues de la ville. A l’exception du toit en pagode – dont on m’a déjà dit qu’il évoquait la houppette de Tintin -, sa singularité se cache dans les détails. L’éclairage, la signalétique, les afficheurs de temps d’attente, l’écoulement de l’eau… Il fallait jongler avec tous ces éléments et en ressortir quelque chose de cohérent. C’était une équation très complexe.

L’éclairage semble y jouer un rôle important…

Le nom de l’arrêt sera indiqué sur chaque segment plutôt que d’être ramassé sur une seule case et parfois abrévié. L’ensemble de l’éclairage réside dans des caissons lumineux équipés de détecteurs de mouvement et est programmé pour économiser de l’énergie : la luminosité s’intensifie si quelqu’un s’approche de l’arrêt ou que le bus ou tram arrive. Ce sont des détails qui comptent, notamment au niveau de la sécurité. Dans le même ordre d’idées, le module est totalement transparent, on voit donc ce qui se passe à l’intérieur. Les sièges sont perforés, ça laisse passer l’oeil et on ne peut rien y dissimuler. Des préoccupations qui répondent aussi bien à la lutte anti-terroriste qu’à celle contre les graffitis.

D’où sont venues ces fameuses perforations anti-graffitis ?

En 2006, on m’a demandé de placer des exemplaires du Banc en rue, dans un délai court. Comme je me doutais bien qu’on finirait par les détériorer, je les ai recouverts d’un vernis réputé anti-graffitis. Sauf que ce vernis a surtout brillé par son inefficacité. Et pour nettoyer les tags, on a utilisé des acides, c’est devenu encore pire : c’est carrément le Banc en lui-même qui était abîmé. Suite à cela, l’idée m’est venue que, pour ne plus avoir de graffitis, il ne fallait plus de surface, et je me suis directement attelé à la réalisation de prototypes. Quelques mois plus tard, la maison Pierre Bergé m’a demandé des pièces à mettre en vente dans sa salle, et je lui ai proposé ce Banc perforé  » en canon de fusil « . Un galeriste parisien l’a acheté et mis en vitrine – sans que je le sache, puisque les ventes publiques sont réalisées de manière confidentielle -, il a alors fait un buzz pas possible. Et par la suite, il a encore battu des records en vente aux enchères à New York. Un beau succès, même s’il ne concerne qu’un certain public.

Mais tout le monde peut y avoir accès puisqu’il a aussi été implanté au Mont des Arts, en plein coeur du quartier touristique de la capitale. Ça vous touche particulièrement ?

Oui, je suis évidemment très fier d’avoir marqué l’un des plus beaux endroits de la ville où je vis. Je le dois à Henri Simons (NDLR : échevin de l’Urbanisme à la Ville de Bruxelles de 1995 à 2006), qui en a eu subitement l’idée. On peut dire que c’était une belle surprise…

Et un sacré défi de placer une pièce aussi moderne dans un lieu aussi emblématique en termes de patrimoine historique…

Bien sûr. L’avantage de ce banc est qu’il est quasiment transparent, et ce dans ses deux versions, pleine comme perforée. C’est un objet presque invisible, qui s’intègre dans le paysage de la ville, tout en gardant une présence, même réduite à l’essentiel. Il a une forme naturelle. Comme de la chair, la matière est déformée pour créer une ligne assez sensuelle. Le Banc vient d’un travail très intuitif, opéré directement sur le métal avec des machines très anciennes, des techniques qu’on employait déjà il y a un siècle. On peut presque dire qu’il suffisait d’y penser… En tout cas, le concept a porté ses fruits. Car au-delà de son aspect esthétique, la voûte créée par la déformation augmente la résistance et permet d’utiliser trois fois moins de matière, ce qui s’avère déterminant en termes de coût, de moyens mis en oeuvre, etc. Ces qualités lui ont permis de s’imposer. J’aime cultiver cette approche darwiniste du design : un produit plus performant supplante celui qui l’est moins, je trouve ça évident.

Pour en revenir aux abribus : avez-vous tenté de leur donner une touche locale, liée à Bruxelles ?

Le but était moins de lancer un concept bruxellois qu’un produit fonctionnel, qui donne un plaisir par sa forme et qui respecte toutes les contraintes imposées. Cependant, sur les vitres, un liseré anticollision représente les principaux édifices de Bruxelles : l’Atomium, l’Hôtel de Ville, le Cinquantenaire, le Berlaymont… Même au niveau graphique, on a poussé le boulot jusqu’au bout, notamment pour asseoir l’identité bruxelloise ; même s’il n’y a que neuf bâtiments pour vingt-cinq communes, j’espère qu’il n’y aura pas trop de déçus. Dans la capitale de l’Europe, le projet revêt une belle dimension symbolique. C’est une ville hétéroclite et ces nouveaux abribus peuvent contribuer à lui donner une certaine unité, renforcer le sentiment d’identité. Deux mille abribus répartis sur vingt-cinq communes, ça va changer le paysage urbain, c’est vraiment un projet d’envergure. Ils ont été réalisés spécifiquement pour Bruxelles et ne seront implantés nulle part ailleurs, que ce soit en Belgique ou à l’étranger.

Quand pourra-t-on enfin les voir ?

Il n’y a malheureusement pas encore de date fixée. Le projet a été entièrement validé, il n’y a théoriquement plus de réels obstacles, mais ce n’est plus une question de design aujourd’hui. Les enjeux d’un tel marché public sont énormes, notamment au niveau des droits d’exploitation publicitaire. L’ensemble des travaux sera d’ailleurs financé par la pub et ne coûtera donc rien au contribuable, ça me paraît important de le préciser. A l’occasion de la conférence de presse qui annonçait notre collaboration il y a trois ans, la STIB a fait une sorte d’enquête auprès de ses usagers, et qui se sont révélés pleins d’enthousiasme, les avis étaient unanimement positifs. Et comme tout le monde, j’ai aussi envie de les voir. Les premiers prototypes seront implantés à Auderghem, sur le Boulevard du Souverain. Pile devant mon ancienne adresse, par le plus grand des hasards.

PAR MATHIEU NGUYEN

 » J’ai été bon élève.  »

 » Un objet presque invisible, qui s’intègre dans le paysage de la ville.  »

 » J’aime cette approche darwiniste du design.  »

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