Elle vit, communique et achète via son smartphone. Ultraconnectée, la génération Y bouscule les stratégies marketing traditionnelles des marques de prêt-à-porter. Illustration avec les griffes de denim, qui ciblent particulièrement les jeunes consommateurs.

Ils sont comme ça, les jeunes d’aujourd’hui. Deux tiers d’entre eux préfèrent perdre leur carte de banque ou n’importe quoi d’autre, plutôt que leur smartphone. Ce petit bijou de technologie, qui leur permet de se connecter virtuellement au monde entier, est devenu une extension de leur cerveau, de leurs mains, voire de leur personnalité. Sans lui, ils sont tout simplement paumés.

Telle est la génération Y. Ceux qui la composent sont nés entre la fin des années 70 et le début des années 2000. Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest ou toute autre nouvelle application n’ont aucun secret pour eux. A l’inverse de leurs prédécesseurs de la génération X, nés entre 1960 et 1977, ces digital natives ont grandi dans un univers où l’importance donnée à l’ordinateur personnel, au jeu vidéo et à l’Internet n’a cessé de croître au fil des ans. De quoi profondément modifier leur vision du monde, leurs comportements et leurs repères. Leur mantra ? Rester connecté et privilégier l’immédiateté à tout prix.

Et si nombreux sont les livres et études à s’être penchés ces dernières années sur cette génération Y, c’est qu’elle fascine, de par les nouveaux enjeux qu’elle suscite. Elle a en effet une façon bien à elle d’évoluer dans le monde du travail, de communiquer et de consommer des biens et services.

 » Cette jeune génération est généralement urbaine et composée de consommateurs intelligents, détaille Shubhankar Ray, global brand director de G-Star. Elle est méfiante vis-à-vis des discours marketing traditionnels et préfère les propos pertinents de ses semblables. Ses goûts sont en développement permanent, vu les informations qu’elle ne cesse de collecter virtuellement. Etant donné qu’elle est sur-stimulée par la masse d’info disponible, nous essayons constamment de la surprendre, pour attirer son attention. Nous nous efforçons à être authentiques et modernes dans les produits que nous créons.  »

Sortir du lot, batailler ferme pour capter une ou deux minutes d’attention : voici les défis actuels des marques qui souhaitent communiquer avec ces digital natives. Le tout dans un contexte culturel, médiatique et sociologique en plein chambardement. Avec l’explosion de la communication et l’apparition du Web 2.0, le temps s’est accéléré à outrance, les canaux de diffusion sont démultipliés, tandis que le consommateur peut désormais interagir, partager et produire des informations à l’infini, et qu’importe si cela crée une surabondance de contenus, jusqu’à frôler l’overdose…

 » Précédemment, les marques construisaient leur modèle de développement et de communication dans une logique top-down « , détaille Guillaume Anselin, directeur des stratégies et de l’innovation du groupe Wunderman France, spécialisé dans la communication digitale des marques. Autrement dit, faire descendre un message vers une cible déterminée, en espérant que l’audience le considère, le retienne, y adhère et finisse par acheter le produit concerné. Une pub après le journal de 20 heures, et le tour était joué. Mais ce mode de fonctionnement est désormais obsolète.  » Les technologies actuelles ont latéralisé et explosé les possibilités de communication. Le modèle s’est horizontalisé, on s’adresse à des micro-communautés, à des opinions minoritaires, qui propagent entre elles les informations.  »

S’adapter à ces nouveaux contextes est bien évidemment primordial pour toutes les griffes de denim et de streetwear, qui ont fait de cette génération Y l’une de leurs cibles privilégiées. Et ce d’autant plus que ces jeunes dépensent sans compter, ou presque. En France, les 15-25 ans consacrent en moyenne un budget de 625 euros par an à l’habillement (hors accessoires et lingerie), faisant d’eux les premiers acheteurs de fringues sur le marché, d’après une étude réalisée l’an dernier par l’IFM (l’Institut français de la Mode), et dont les résultats peuvent être extrapolés à la Belgique.  » Avec la crise, les jeunes restent vivre plus longtemps chez leurs parents, ce qui gonfle leur budget, calcule Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’IFM et co-auteur de cette étude. Par ailleurs, ils grandissent très vite et sont régulièrement amenés à renouveler leur garde-robe.  »

Pour ces ados et jeunes adultes, la mode représente un loisir, au même titre qu’un sport ou une activité culturelle. Ils s’y intéressent et prennent plaisir à fréquenter les boutiques, même s’ils n’y effectuent pas d’achat. C’est aussi et surtout par leur look qu’ils affirment leur personnalité.  » Cependant, même si la mode est très importante pour eux, ils disposent d’assez peu d’autonomie dans leur façon de s’habiller, poursuit Gildas Minvielle. Ils ne veulent pas se différencier. Que du contraire, c’est en se fondant dans la masse qu’ils peuvent être reconnus par les membres de leur tribu.  »

FOCUS SUR L’ÂME DES GENS

Résultat, lorsqu’une marque émerge dans une communauté, tous – ou presque – veulent acquérir l’une de ces pièces étiquetées  » must-have du moment « , histoire d’être dans le coup, d’être comme tout le monde.  » D’où l’importance, pour une griffe, de ne pas se tromper, de capter et de rester dans l’air du temps « , souligne le directeur de l’Observatoire économique de l’IFM.

Comment faire, dès lors, pour tomber juste et créer des fringues qui plairont à cette génération, dont les goûts sont en constante évolution ? Chez Replay, la recette tient en un mot : nouveauté.  » Quand nous travaillons sur une collection, l’objectif premier est d’être innovant, détaille Matteo Sinigaglia, CEO du label italien. Durant ce processus, nous pensons davantage à une attitude, plutôt qu’à une cible spécifique. Le vêtement ne doit pas juste couvrir le corps, il doit exprimer quelque chose. Nous essayons de traduire au maximum le ressenti, l’âme des gens.  »

Pour la griffe Superdry, dont les logos aux airs rétro font le bonheur des ados depuis plusieurs saisons, pas question non plus de dessiner des pièces en pensant spécifiquement aux jeunes.  » Nous préférons puiser notre inspiration dans tous les aspects de la vie – les voyages, les objets vintage, le streetstyle…, énumère James Holder, directeur artistique, patron et fondateur de la marque. Notre processus créatif est basé sur le style et la personnalité, bien plus que sur les tendances grand public.  »

Même logique, du côté d’Eleven Paris, une griffe française qui fête ses 10 ans d’existence.  » Notre démarche n’est pas calculée, sinon le résultat peut vite devenir ringard « , explique Golnaz Adham Kha, qui dirige le studio de création des lignes Homme et Femme du label, connu pour son slogan  » life is a joke  » et ses tee-shirts imprimés mettant en scène des personnalités affublées d’une moustache. Dans l’équipe de cette jeune Parisienne, tous ont moins de 30 ans, un look pointu, une coiffure expérimentale.

Chez ces créa’ bien dans leurs baskets, l’air du temps ne se lit pas dans les cahiers de tendances – ces fameuses bibles prescriptrices qui dictent à de nombreuses marques ce que sera la mode -, mais ailleurs, dans des voies détournées, plus alternatives.  » Les univers fashion et musical sont assez proches, en termes d’influences, considère Golnaz Adham Kha. Nous sommes donc attentifs aux nouveautés en matière de musiques indépendantes. Cela nous nourrit énormément.  » En outre, l’équipe se rend dans une ville à fort potentiel inspirant, tous les six mois environ.  » On visite les galeries, bars, expos et endroits historiques. On se promène en rue, on parle avec les gens, on prend des photos…  » Autant d’éléments qui alimentent leur processus créatif et permettent d’imaginer des collections originales et des imprimés exclusifs.  » Nos clients nous attendent sur ces créations. Ils ne souhaitent pas retrouver ce qui se fait partout ailleurs « , conclut la directrice du studio de création. Et ça marche. En dix ans, le label a ouvert près de 20 boutiques – dont une à Bruxelles -, est présent dans 650 points de vente multimarques en France et 800 autres à l’international.

Plus que tout, le consommateur souhaite avoir affaire à des griffes authentiques, qui lui livrent des produits sympas et originaux. Mais pas uniquement.  » Les gens ne veulent plus acheter pour le simple plaisir de consommer, constate Guillaume Anselin. Il faut leur donner des raisons de sortir leur carte de crédit, avec la tête, mais aussi avec le coeur.  » La génération Y a besoin d’être inspirée et captivée. Et le directeur des stratégies et de l’innovation du groupe Wunderman France d’oser cette comparaison :  » La communication, aujourd’hui, c’est un peu comme un dîner entre amis. Si vous voulez intéresser votre entourage, il faut une bonne histoire, non seulement fun, mais qui ait du sens. Vous devez aussi faire preuve d’à-propos, raconter votre anecdote au bon moment.  »

MISE EN RÉSEAUX

Aux marques, dès lors, de se réinventer constamment, pour intéresser leur coeur de cible. Cela peut se faire de différentes manières. Ainsi, Diesel varie ses campagnes de pub selon les supports et immortalise des personnalités fashion en vue, dans le seul but d’une diffusion online.

D’autres griffes proposent d’adhérer à un univers, à l’instar de Levi’s, qui rend hommage à tous les pionniers. Cela va des premiers chercheurs d’or qu’elle a habillés dès le milieu du XIXe siècle, à toutes ces personnes qui vont aujourd’hui de l’avant – d’où le slogan  » go forth  » -, pour explorer de nouvelles frontières.

Le label a même imaginé une expérience conviviale et collaborative, avec l’artiste Doug Aitken et son projet Station to Station : durant trois semaines, des pionniers issus de l’art, la musique, le cinéma et la gastronomie voyageront dans un train allant de l’Atlantique au Pacifique. L’occasion de susciter des discussions et collaborations inédites, auxquelles pourront prendre part les fans de la marque, en montant virtuellement dans le train, via les réseaux sociaux.  » Nous avons une communauté fidèle et engagée, avec plus de 19 millions d’adeptes sur Facebook, calcule Rutger Koene, marketing manager de la griffe pour le Benelux et les pays nordiques. La communication online est un élément-clé de notre stratégie marketing, elle joue un rôle crucial dans le business et la relation que nous entretenons avec nos consommateurs. Internet a changé la façon dont les gens achètent, les plates-formes de commerce électronique occupent une place de plus en plus importante. C’est pour cette raison que nous avons modernisé notre site d’e-commerce, pour améliorer l’ergonomie et l’expérience vécue.  »

Autre option, pour faire vibrer la clientèle : rien de tel que d’associer la marque à un univers qui plaît à la génération Y, à savoir la musique. La saison dernière, G-Star a ainsi collaboré avec le producteur et DJ Skrillex, une icône de la musique électronique et de la culture jeune. Idem du côté d’Adidas, qui s’unit au rappeur américain A$AP Rocky, faisant souffler sur le label un esprit de rébellion. La griffe Pepe Jeans a quant à elle organisé son Pepe Jeans Singular Music Festival, pour la troisième année consécutive. Le principe : circuler dans trois villes européennes et faire découvrir plusieurs groupes prometteurs. Depuis longtemps, la marque de denim n’hésite pas non plus à prendre comme égéries des célébrités adulées des jeunes modeux : Jason Priestley, Ashton Kutcher, Sienna Miller, Alexa Chung ou, depuis deux saisons, la top Cara Delevingne.

On le voit, l’objectif des marques est à chaque fois identique : raconter à ses fans une histoire.  » La griffe se transforme en producteur de contenus « , constate Guillaume Anselin. Il faut donner à sa communauté des infos, de la matière, pour qu’elle puisse ensuite en parler à son réseau. Car, comme l’a si bien dit l’influenceur Mike Arauz dans un de ses tweets,  » si quelqu’un parle à ses amis d’une marque, ce n’est pas parce qu’il aime la griffe en question, mais parce qu’il aime ses amis « . Et ce n’est pas la génération Z, pas plus haute que trois pommes mais déjà habituée à raconter sa vie en long et en large sur Facebook et Twitter, qui démentira…

PAR CATHERINE PLEECK

 » Pour ces jeunes adultes, la mode représente un loisir.  »

 » Il faut leur donner des raisons de sortir leur carte de crédit.  »

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