Quelles que soient les motivations de chacun, la mode est aux plats végétariens, voire végétaliens. Mais les gourmands branchés n’ont rien inventé. Au pays du Matin calme, les moines bouddhistes ont fait de ce régime une philosophie de vie. Et ce depuis des siècles.

Qu’on les appelle végétaliennes ou vegan, les pratiques alimentaires qui visent à se passer totalement de protéines animales se font aujourd’hui courantes dans le monde occidental. Loin d’être l’un des derniers mouvements hype, ce type de régime existe depuis des temps immémoriaux en Asie, notamment dans les temples bouddhistes. Et la Corée constitue l’un des exemples les plus intéressants en la matière, de nombreux lieux sacrés offrant la possibilité de goûter des mets raffinés, voire de s’y former le temps d’un cours de cuisine. A coup sûr, nombre de recettes et de techniques appliquées là-bas peuvent inspirer ici ceux qui optent pour le tout  » botanique « .

Souvent stéréotypée par le fameux barbecue ou le kimchi de choux chinois, la gastronomie de cette nation est d’abord et avant tout caractérisée par le jang, soit des produits issus de la fermentation du soja comme la sauce et la pâte (ou doenjang), cousine plus ou moins éloignée du miso japonais. Un des plats les plus emblématiques de ce terroir est d’ailleurs un ragoût composé de légumes, de tofu et de pâte de soja, appelé doenjang jjigae (lire par ailleurs). A la dégustation, il révèle des notes viandeuses, bien qu’il soit élaboré sans le moindre élément issu de la faune. Il est toutefois important de souligner que tous les végétaux ne répondent pas nécessairement pour autant aux préceptes de la cuisine zen. Alors que les Coréens recourent abondamment à l’ail, aux jeunes oignons, aux poireaux, à l’ail rocambole et à la scille chinoise, ceux-ci sont bannis par les principes monastiques car ils stimuleraient les envies sexuelles, diminuant ainsi les capacités à méditer.

LES TROIS INDISPENSABLES

A l’image des chefs étoilés médiatisés dans nos contrées, plusieurs femmes moines sont vénérées, en Orient, pour leurs connaissances culinaires, qu’elles ont traduites dans des livres de référence. A Séoul, un bel immeuble en béton lissé abrite ainsi les activités d’un temple, dont un restaurant, Baru Gongyang, qui figure dans tous les guides de la capitale. Plusieurs de ses officiantes sont appelées à faire des conférences à l’étranger, à l’image de Sunjae Sun Nim lors du dernier Salon du goût, organisé à Turin par Slow Food.

Pour ceux qui souhaitent vivre une telle expérience dans un cadre enchanteur, le temple Jinkwansa, situé aux pieds du mont Bukhansan, à une demi-heure du centre de la capitale, permet également d’explorer les facettes de cette cuisine et de ses multiples préparations, tout en offrant des repas d’une qualité qui frise la haute gastronomie, le côté santé en plus. Le site dispose d’ailleurs d’un centre d’études qui appuie ses recherches sur six siècles de patrimoine culinaire. Autosuffisant à de nombreux égards, l’endroit abrite notamment les traditionnelles jarres en grès dans lesquelles on élabore la sauce et la pâte de soja et le gochujang, mélange rouge piquant à base de soja et de poudre de piment.

Ces trois ingrédients, qui constituent des apports en protéines de qualité qui remplacent celles de la viande, ne sont pas seulement utilisés en condiments. Comme le séchage, une technique courante dans ce pays, ces produits participent aussi à la conservation des légumes, des plantes sauvages ou des racines. Ils permettent à la fois d’éviter le gaspillage et d’incorporer dans la préparation finale des compléments alimentaires, comme des acides aminés essentiels et des enzymes, qui sont entre autres des exhausteurs de saveur naturels. Ils réduisent le taux de cholestérol et leurs antioxydants ralentissent à la fois le vieillissement et le développement de maladies de la civilisation moderne : cancer, insuffisances cardiaques…

D’autres composants riches en umami jouent ce rôle d’exhausteurs de goût : les poudres de champignons ou encore les algues, qu’elles soient en poudre, séchées ou conservées dans du sel. On les retrouve par exemple dans les bouillons légers ou les kimchi.

Côté cuisson, ce sera à la vapeur pour le riz et à l’anglaise – donc dans l’eau bouillante – pour les légumes. Les fritures sont également courantes et s’apparentent au tempura japonais, l’enrobage étant fait de farine de riz gluant mélangée à d’autres types d’amidon.

AU FIL DES SAISONS

L’organisation du repas est inspirée, elle, de la traditionnelle table coréenne, avec des mets principaux, du bouillon à base d’algues, du riz agrémenté ou non de fruits secs, dont celui du Ginkgo biloba, et plusieurs accompagnements. Parmi ceux-ci, du tofu, des salades assaisonnées avec un jus léger de fruits rouges, des légumes ou des plantes sauvages fermentés ou marinés… Le tout riche en fibres et participant à l’équilibre du système digestif.

Enfin, la constitution d’un menu répond aux besoins de l’organisme, qui varient au fil des saisons. En été, les notes sont salées et acides, parce que nous transpirons davantage, tandis qu’en hiver elles sont épicées, salées et sucrées. En automne, il est recommandé de manger froid et plus sucré, parce que le corps doit récupérer des chaleurs estivales. L’amertume est indiquée au printemps pour renforcer les bronches.

Preuve que cette approche interpelle, le temple a reçu au cours des derniers mois la visite des trois premiers du classement 2015 du 50 Best : Jordi Roca (Espagne), Massimo Bottura (Italie) et René Redzepi (Danemark). Ce n’est donc pas un hasard si les propos de la moine Sunjae Sun Nim font écho à ceux des plus grands cuisiniers :  » Le goût est important dans notre vision de la cuisine. Nous cherchons à exprimer au mieux la saveur de chaque ingrédient, que ce soit une carotte ou une betterave rouge.  »

Temple Jinkwansa, 354 Eunpyung gu, Séoul, ouvert au public toute l’année. Tél. : +82 (0)2 359 8410.

Baru Gongyang, 5F TempleStay Bldg, 71 Gyeonji-dong, Jongno-gu, Séoul 110-170. Tél. : +82 (0)2 20 31 20 81.

Les différents ingrédients élaborés à base de soja et la pâte épicée (gochujang) utilisés dans les recettes s’achètent dans les bonnes épiceries asiatiques.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

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