Barbara Witkowska Journaliste

Très tendance, les pierres semi-précieuses boostent l’imagination de deux jeunes créatrices bruxelloises. Esprit pur et minimaliste pour Annick Tapernoux. Version baroque et exubérante pour Ilona Chale.

Carnet d’adresees en page 145.

T out se bouscule dans la vie d’Ilona Chale. Venue au bijou il y a peu de temps, elle décide d’avoir pignon sur rue et met la dernière main à l’aménagement et à la décoration d’une boutique. Comme au temps des vrais artisans, ce sera une boutique-atelier où elle travaillera et exposera ses £uvres, ainsi que celles des autres.  » Je partagerai l’atelier avec mon compagnon Michel Mouton qui est ferronnier, explique Ilona. L’espace sera assez grand. Nous avons envie d’ouvrir les portes, créer des événements diversifiés, accueillir des amis artistes rencontrés au cours des voyages, faire découvrir nos coups de c£ur, des objets rares qui ont une cohérence avec notre travail.  » Très demandée, Ilona Chale prépare aussi trois expositions : à Anvers, à Isle-sur-la-Sorgue (où elle sera présente avec Catherine Caba, sculpteur belge) et à Londres. Avenir prometteur donc pour Ilona qui a fait toute sa carrière dans… la musique. Certes, le milieu d’artistes n’a aucun secret pour elle. Son père, Ado Chale, s’est rendu célèbre dans le monde entier grâce à ses tables-sculptures, dont les plateaux sont entièrement décorés de pierres dures, d’une mosaïque d’os ou de boutons de nacre.

Ilona commence à chanter à 14 ans et fait tout de suite de la scène avec son frère guitariste. Sa voix est belle et puissante et elle la  » prête  » avec générosité à tous les genres : jazz, variété ou classique. On la réclame pour les messes de mariage et d’enterrement. Elle chante dans le film  » Le Huitième Jour « , de Jaco Van Dormael, elle est la choriste d’Alain Bashung et de William Sheller. Amie intime de Maurane, elle compose pour elle  » Le Paradis, c’est l’enfer  » qui sera repris sur un album.

Il y a quatre ans, Ilona ressent comme un flottement, est titillée par d’autres envies et besoins. Changer de métier, changer d’air, changer de vie. En réalisant, toujours, des choses belles et bienfaisantes. Positives. Pour franchir ce pas difficile, elle trouve un moyen simple et facile. Collectionneuse dans l’âme, elle fouille dans des caisses et retrouve boutons, pierres, fuseaux de dentelle, tous ces petits objets coups de c£ur, patiemment chinés, trouvés et gardés. Alors elle trie, recherche des harmonies chromatiques, s’empare d’un fil de laiton et crée ses premiers bijoux. Les formes sont insolites, leur allure est à la fois délicate et baroque, tout en étant féminine et embellissante. Petit à petit, le travail évolue. Ilona remplace le fil de laiton par le fil d’or, troque les pièces chinées ou récupérées par des perles baroques (surtout des perles Keshi, qui se distinguent par une épaisse couche de nacre), des pierres semi-précieuses, des boutons ou des perles de verre anciens. Mais le concept ne change pas.  » Je ne fais jamais de dessin, confie Ilona. Je ne prémédite pas. Je choisis les pierres en fonction des harmonies de couleurs et c’est parti ! Je ne sais jamais où je vais arriver. Tous mes bijoux sont uniques. Je ne pourrai jamais refaire deux pièces identiques.  » Ses créations sont diffusées à travers des expositions. Geneviève Brion de la boutique Fydjy’s est la première à lui faire confiance. Rodolphe de Spoelberch lui offre l’espace de sa Galerie Arthus à trois reprises. Les clientes affluent, attirées par le bouche-à-oreille. Et maintenant, il y a cette boutique-atelier : la vraie consécration qui va aussi stimuler sa production et sa créativité.  » Je ne m’inspire de rien, tout en étant consciente de toutes les influences artistiques qui ont baigné mon enfance. Mais je ne cherche pas de recette. Je veux être la plus vraie et la plus naturelle possible.  » C’est peut-être cela, la meilleure recette du succès.

Simplicité et délicatesse

Princesse Leïla. Ce nom, sorti tout droit d’un conte de fées, désigne la dernière collection d’Annick Tapernoux.  » C’est la première fois que je travaille avec les pierres semi-précieuses, explique la jeune créatrice. J’adore la couleur et les gens qui me connaissent, s’étonnaient toujours devant la sobriété de mes bijoux en argent. D’où cette envie de proposer, pour le printemps, des pièces enrichies de pierres  » coups de c£ur « , telles l’améthyste, le quartz fumé, la turquoise, la tourmaline rose, le péridot, la topaze bleue ou la iolite.  » Bien que l’inspiration soit orientale, les formes, comme toujours chez Annick, vont à l’essentiel. Priorité à la simplicité et à la délicatesse. La bague ressemble à une spirale en argent. A chaque extrémité, une pierre de couleur ou une goutte d’argent évoluent en liberté et créent des jeux de lumière sur les doigts. Le concept de la spirale peut être décliné en collier et en bracelet, agrémenté de pierres de son choix ou encore réalisé en or. La collection  » In the Mood for Love  » se teinte d’un esprit asiatique. Annick a adoré le film de Wong Kar-Wai. La personnalité de l’actrice Maggie Cheung a réellement inspiré ces boucles d’oreille (disponibles aussi en pendentif) dont une partie est fixe et statique, tandis que l’autre est libre et mobile. Une jolie façon de jouer sur le contraste de l’immobilité et du mouvement. Ces ornements aériens et précieux suivent pourtant le fil conducteur de ses créations précédentes.

L’engouement d’Annick pour le bijou est né un peu par hasard. Très habile des mains, elle a toujours  » bricolé  » de beaux objets. Lorsque son cousin a entamé les études d’orfèvrerie, elle a choisi une voie parallèle, celle de créatrice de bijoux d’artiste. A Anvers, puis à Bruxelles, aux Arts et Métiers, elle s’initie à toutes les facettes du bijou et découvre aussi le monde fascinant de l’orfèvrerie. La formation se poursuit à Londres. Au Royal College of Arts, les étudiants jouissent d’une grande liberté. On  » papillonne  » entre le cinéma, le design, la céramique, l’orfèvrerie. Annick se montre très assidue dans la fréquentation de l’atelier d’orfèvrerie, domaine pour lequel elle ressent une affinité particulière. De retour à Bruxelles, elle ouvre une boutique. Ses bijoux en argent û bagues, pendentifs et boucles d’oreille û, sont épurés et intemporels. Le rond, sa forme préférée, est omniprésent et admirablement interprété. Elle travaille au rythme de ses coups de c£ur et de ses aspirations profondes, sans tenir compte des tendances saisonnières. Annick prend surtout du temps pour imaginer et sculpter de ses mains de superbes pièces d’orfèvrerie en argent martelé. Des bols, des vases, des contenants, pensés pour une table imaginaire, tiennent plus de l’art et de la sculpture que de l’objet décoratif. Rares, luxueuses et poétiques, ces  » pièces de philosophie  » expriment et illustrent en quelque sorte son idéal de l’art de vivre, ainsi qu’un art de la table sublimé.  » Le bijou va continuer, confie Annick. Cela dit, je l’envisage avec une certaine distance, car j’ai envie de m’investir plus dans l’orfèvrerie. J’ai l’impression que mes objets viennent d’ailleurs. De l’infini, d’une autre planète ? C’est-à-dire de ce qu’il y a à l’intérieur de moi. Je le devine, mais je ne sais pas exactement ce que c’est. Mes bijoux, en revanche, sont beaucoup plus rationnels. On peut deviner des formes abstraites de papillons, d’ailes, de feuilles ou encore de fleurs…  »

Barbara Witkowska

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