ARCHI| Oana Bogdan: « La nuit, j’ai peur de me promener seule dans la rue, et j’en tiens compte dans mes projets »

© ALEXANDER POPELIER
Nathalie Le Blanc Journaliste

L’architecte Oana Bogdan (42 ans) est née en Roumanie, a étudié à la KUL et à l’Institut Henry Van de Velde, entre autres, et a fondé le bureau Bogdan & Van Broeck. Elle est également ambassadrice de Wiki Women Design, et membre du comité International Women in Architecture.

Ici, j’ai appris à dire la vérité. Mon enfance en Roumanie fut aussi belle que triste. Nous jouions tout le temps dehors, et tous les enfants étaient égaux, mais mes parents parlaient souvent du régime et des souffrances qu’ils avaient endurées. J’avais 12 ans quand le régime a été renversé. Tout d’un coup, un fossé entre riches et pauvres s’est créé, et n’a cessé de s’agrandir. Alors qu’auparavant les bonnes notes permettaient de se distinguer, il fallait maintenant porter les vêtements les plus chers. Les mensonges sont apparus, car nous n’avions pas les moyens de nous payer tout cela. A 21 ans, je suis arrivée en Belgique pour un Erasmus, et ce séjour m’a sauvé la vie. Ici, je ne devais plus mentir. Je n’ai pas besoin de beaucoup, l’argent ne m’intéresse pas, tant que je peux voyager et acheter des livres.

En architecture, la qualité prime sur la beauté. À Sighisoara, nous vivions dans un immeuble préfabriqué mal construit où tout était de travers. Trois fois par semaine, pendant huit ans, j’ai grimpé les escaliers de la citadelle historique pour mes leçons de piano. La beauté de l’architecture me faisait rêver. Mon choix de carrière était fait et je ne l’ai jamais regretté. Les architectes alternent sans cesse entre les petits détails et la vision d’ensemble, ce qui est un de mes points forts. Pour moi, nous ne sommes pas des artistes, mais des médecins de l’espace.

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Mon ego est suffisamment restreint. C’est une condition nécessaire, car un architecte doit se rendre compte que ce qu’il conçoit n’est qu’une toile vierge destinée à la vie d’autres personnes. Vous devez anticiper leurs besoins, mais aussi leur laisser une marge suffisante pour qu’ils puissent s’approprier votre projet. C’est pourquoi nos créations n’ont pas de signature caractéristique, elles sont toutes différentes car le contexte et les utilisateurs finaux sont différents.

En politique, de bonnes intentions peuvent vous mener très loin. En 2016, j’ai été secrétaire d’État au patrimoine culturel pendant six mois dans un gouvernement technocratique en Roumanie. Un domaine difficile, mais j’aime prendre des risques. OEuvrer pour le bien commun, être responsable du patrimoine d’un pays entier avait quelque chose d’apaisant. Ce poste a également influencé mon travail ici. Durant les réunions, les gens avaient l’habitude de m’ignorer. Ma fonction de secrétaire d’Etat m’a rendue visible. Elle m’a apporté du respect. Comme beaucoup de femmes, je ne me mets pas en avant. Mais les temps changent. De plus en plus de femmes travaillent dans le secteur de la construction. Tant mieux, car la diversité est synonyme de qualité. Les hommes et les femmes ont une expérience différente du monde. La nuit, j’ai peur de me promener seule dans la rue, et j’en tiens compte dans mes projets. Nous devons aussi définir les règles du jeu, non seulement en nous comportant comme des hommes, mais aussi en étant fortes sans pour autant avoir un ego démesuré.

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L’intelligence culturelle est essentielle. Lorsque Jan Boelen, du centre culturel Z33, m’a confié qu’il était un peu jaloux de mon parcours de vie des plus particuliers, ce fut une révélation. En tant que migrant, on se sent souvent inférieur, mais il m’a fait comprendre que vivre dans des cultures différentes était enrichissant. Je suis douée pour établir des liens et résoudre des problèmes pratiques sans provoquer de drame. J’ai acquis cette facilité en Roumanie, où tout était difficile et où trouver des solutions faisait partie de notre quotidien. Mes racines sont là-bas, mais la Belgique est mon pays et le multiculturalisme de Bruxelles nourrit mon amour pour cette ville. C’est une petite capitale, je ne m’y sens pas insignifiante, et j’ai le sentiment qu’elle appartient à ses habitants. Pourtant, nous sommes bien trop modestes à son sujet. C’est un centre culturel et artistique bouillonnant. Ici, je peux être moi-même. J’aime les escarpins et les vêtements féminins, je m’énerve souvent et j’ai des opinions. Je suis flamboyante, selon certains. Heureusement, les Belges l’acceptent. Au début, je les trouvais distants. Mais une fois la glace brisée, ils deviennent vite d’excellents amis.

Pour moi, la crise sanitaire est un cadeau. Comités, conseils consultatifs, réceptions, je ne sais pas dire non, alors je suis partout, tout le temps. Et je ne suis pas toujours concentrée. Maintenant que le monde est à l’arrêt, je suis plus calme. Je donne volontiers de mon temps, mais je n’attends rien des autres. Etre seule m’apporte la paix et l’espace nécessaire pour penser. Le temps de lire, aussi. J’ai hâte de nous retrouver, mais j’espère avoir appris à dire « merci pour l’invitation, mais je ne viendrai pas ». Sans explication (rires).

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