Wildspirit: mais que fait cette « petite » marque belge dans la cour des grands?

© SDP
Mathieu Nguyen

Quel est le point commun entre l’hôtel Hilton de La Haye, le siège de Google et le flagship Delvaux? On y retrouve un mobilier unique, signé Wildspirit. Rencontre avec An Danneels et Tom Corthals, le duo à la tête d’un des secrets les mieux gardés du design belge.

Flashback. Cologne, janvier dernier, en plein salon IMM, un nom attire notre attention lors de notre visite du prestigieux Hall 11.1. Parmi le gratin des éditeurs internationaux, Poliform, Roche Bobois ou B&B Italia, on remarque le stand de Wildspirit. Que fait cette « petite » marque belge dans la cour des grands? C’est la question que nous avons posée à An Danneels, présente en personne sur le stand de son label. Titillé par sa réponse, nous convenons d’un rendez-vous pour approfondir le sujet, et la revoyons bientôt en compagnie de son associé et compagnon, Tom Corthals, dans leurs installations de Knokke. Et tandis qu’en arrière-plan, des électriciens s’affairent sur le câblage de leur futur nouveau showroom, ces deux économistes, actifs depuis longtemps dans le secteur de la déco et du design, nous racontent comment, en à peine dix ans, ils sont parvenus à prospérer en Asie, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis, où leurs créations sont présentes du musée Hammer de Los Angeles à l’hôtel Four Seasons de Miami. Le secret de leur succès? Oser le « vrai » sur-mesure.

Moonlounger, par Gerd Couckhuyt.
Moonlounger, par Gerd Couckhuyt.© SDP

Comment expliquer que votre marque soit si peu connue chez nous?

An Danneels: La plupart des sociétés débutent avec le marché domestique: on vend d’abord en Flandre, puis en Belgique, et seulement après à l’étranger. Nous, nous avons commencé par l’export, mais depuis un an et demi, nous avons décidé de nous refocaliser sur l’Europe.

Tom Corthals: De par mon boulot, j’avais de bonnes relations avec beaucoup d’architectes haut de gamme un peu partout dans le monde. A force de voyager, j’ai bien vu qu’il existait une demande à l’international, et que l’on pouvait tenter quelque chose.

Quelle est l’origine de la marque?

Tom: Wildspirit a été créé en 2005, notamment par l’entrepreneur Axel Enthoven, le designer Alain Berteau et les tapis Limited Edition, pour qui je travaillais. L’idée était de composer une collection multifonctionnelle, mais tout n’était pas encore très au point. Avec An, nous avons repris l’affaire en 2008, pile avant la crise, donc le timing a été rock’n’roll. On bossait bien, mais on a connu des problèmes de production, il a fallu adapter la stratégie, corriger le tir.

An: On a beaucoup appris. Maintenant, au lieu de déborder d’enthousiasme à chaque dessin qu’on nous montre, on est plus prudents, on se demande plutôt: « Qu’est-ce qui pourrait empêcher ce produit de marcher? » Un prototype en bois coûte cher, prend du temps à réaliser; du dessin à la mise sur le marché, il faut deux ans pour faire une chaise.

Rack, par Cas Moor et Lieven Musschoot.
Rack, par Cas Moor et Lieven Musschoot.© SDP

Comment avez-vous réussi à grandir autant en dix ans?

An: En tant que petite société, on devait essayer de se démarquer vis-à-vis des autres, avant tout par notre souci de qualité, par la précision de nos finitions. On doit notre succès à un service irréprochable et à la sélection drastique de nos partenaires. On se sent plus « luxe » que « design ».

Tom: Le travail des matériaux, le bois et le cuir, est l’une de nos forces. Les coussins sont réalisés par d’anciens artisans des ateliers Delvaux. Le filé, le rebord noir, c’est typiquement un savoir-faire artisanal, utilisé en maroquinerie. Même dans les grands salons comme Cologne ou Milan, on peut constater qu’aucun autre fabricant n’utilise cette technique, tant elle requiert du temps. Le haut de gamme, pour nous, c’est ça : un ensemble de détails qui font la différence.

Vous avez choisi de miser sur le sur-mesure et la personnalisation.

Tom: Oui, alors qu’en 2008, notre offre standard se limitait à deux finitions bois et cinq teintes de cuir. Aujourd’hui, prenons l’exemple des chaises Play ou Ink: on peut choisir les coloris, les tissus, les cuirs, même les surpiqûres. C’est très apprécié par nos clients, et par beaucoup d’architectes d’intérieur; ils ont le loisir de modifier un élément qui amènera un twist, un rappel de couleur, le petit plus permettant à l’ensemble de se distinguer. Comme une sorte de version industrielle de la haute couture.

La Mosquito, imaginée par Michael Bihain, dans un bar à vins de Santiago (Chili).
La Mosquito, imaginée par Michael Bihain, dans un bar à vins de Santiago (Chili).© SDP

A ce point, vraiment?

Tom: C’est notre positionnement, le message qu’on essaye de faire passer sur le marché. Du sur-mesure, les grands éditeurs n’en font plus, ça nécessite beaucoup de travail, ça leur prend trop de temps et les surtaxes sont très élevées, alors ils préfèrent se contenter de proposer quelques variantes de leurs produits. Nous, par contre, on aime ça.

An: Les clients peuvent même venir avec leur propre cuir, nous examinerons les combinaisons possibles, le bois qui convient, et toutes les finitions déjà citées, bords, surpiqûres, etc. On personnalise au maximum, ça donne au produit final une touche encore davantage « luxe ». A chaque commande, notre atelier de garnissage doit « lire » le tissu, ce qui demande un temps de développement, suivant le degré de difficulté. On a déjà eu des exigences incroyables, notamment un projet résidentiel aux Etats-Unis, où il fallait un tissu custom et chaque chaise absolument identique, jusqu’au moindre détail du motif floral: au lieu d’une moyenne de huit mètres par assise, cela nous en a pris le double! Mais si le client le réclame, on le fait.

J’imagine que la facture doit atteindre certains montants…

Tom: Bien sûr, même si ça reste une question de clientèle. C’est la raison pour laquelle nous avons quitté Maison & Objet pour IMM à Cologne. Quand on vend des chaises de 500 à 1.000 euros, on n’a rien à faire dans un hall où les autres exposants en vendent à 50 euros – on perd son temps et son budget. Chez nous, tout est fabriqué en Europe, et aucun matériau n’est importé. Nos produits sont mis en couleur ici, à quelques centaines de mètres, dans une entreprise où les gens sont payés correctement, et ils utilisent des peintures non toxiques, qui viennent d’une société de Roulers. Alors, oui, on pourrait faire faire le job en Asie pour 3 euros, quand ici, on en paye 35. Mais le travail est bien fait, on connaît nos fournisseurs, ça compte au niveau de l’éthique et ça fait moins de transport, de containers… De plus, un bel objet fabriqué localement sera bien plus durable, mieux vaut investir dans de la qualité plutôt que de payer plusieurs fois pour des articles jetables.

La chaise Ink, fruit d'une nouvelle collab' entre le chef Sergio Herman et Wildspirit.
La chaise Ink, fruit d’une nouvelle collab’ entre le chef Sergio Herman et Wildspirit.© SDP

C’est la raison pour laquelle vous privilégiez le bois?

An: Nous sommes tous les deux amoureux du bois et dès qu’on a repris Wildspirit, on a arrêté le mobilier laqué, pour montrer la structure des essences, ne pas les cacher, surtout au vu de la qualité utilisée. On aime le mobilier qui peut évoluer, se patiner; on imagine toujours le look de nos modèles dans dix ou vingt ans. On produit pour nos clients d’aujourd’hui, mais aussi pour les prochaines générations. Des gens viennent nous trouver en disant qu’ils utilisent encore nos chaises après des années, c’est l’un des compliments que l’on entend le plus souvent.

Tom: Le bois, c’est vraiment notre core-business, on ne va jamais sortir de collections tout en Inox – le métal, c’est trop froid. Quand je vois les grandes boîtes aujourd’hui, tout ce qu’elles cherchent à faire, c’est baisser le coût de production. Alors elles ne travaillent plus qu’avec des pieds en métal: ça coûte beaucoup moins cher que le bois massif, donc ça fait beaucoup d’argent quand les volumes sont grands. Mais du beau bois sera toujours joli, même avec une petite griffe. Il n’y a qu’à voir le succès du mobilier vintage.

La collab’ avec Sergio Herman

Sergio Herman
Sergio Herman© SDP

Le célèbre chef néerlandais multi-étoilé Sergio Herman (Oud Sluis, The Jane… et depuis le 1er mars dernier un troisième Frites Atelier, proposant, en plein centre de Bruxelles, une version « de luxe » d’un de nos emblèmes nationaux) accueillait déjà les clients de ses prestigieux établissements sur des assises Wildspirit. Lors de la dernière Biennale Interieur, à Courtrai, la collaboration entre cet esthète réputé pour son sens du détail et la marque a été poussée encore plus loin, avec la création de la chaise Ink. « Certains croient qu’il a juste collé son nom sur notre meuble, or il était impliqué à chaque étape de sa conception. Il est vraiment très minutieux, maniaque dans le bon sens du terme: il a arrondi certains angles, fait redessiner des parties pour 3 millimètres! Lors de la présentation du prototype, il l’a examiné en silence pendant 20 minutes avant de dire « J’aime bien ». Pour nous, ça a été un grand soulagement. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content