Ces trois initiatives transforment les déchets en produits design originaux

Roxane Lahidji © KAREL DUERINCKX

Ces pionniers transforment sel, terre ou denim usé en design hautement désirable. La belle idée.

Du sel au marbre

En 2017, Roxane Lahidji (29 ans) a imaginé un procédé pour fabriquer du marbre de sel qui offre l’apparence de la pierre naturelle. Pour ce faire, le sel est réduit en poudre et mélangé avec des pigments avant d’être coffré et mis à sécher pendant plusieurs jours, à l’intérieur puis à l’extérieur du moule. Elle a déjà utilisé ce matériau innovant pour créer des tables d’appoint et tables basses, des appliques et des installations sculpturales.

« Les possibilités sont infinies, raconte la jeune créatrice française. On peut même fabriquer des carrelages ou du verre à base de sel ; je collabore d’ailleurs actuellement avec un mixologiste pour développer des verres à saké. » Diplômée des académies de Strasbourg et d’Eindhoven, elle enchaîne les récompenses et les demandes depuis la fin de ses études ; dans son atelier de Zaventem, elle travaille aujourd’hui aussi bien pour des clients privés que pour des architectes et des galeries, comme Atelier Ecru (Gand), Philia (New York, Genève et Singapour) ou Gosserez (Paris).

Dans le cadre de sa formation à Eindhoven, Roxane Lahidji a eu l’occasion de réaliser un projet en collaboration avec Jan Boelen à la Fondation Luma, à Arles. « Inspirée par la Camargue toute proche, j’ai commencé à réfléchir à un matériau coffrable et bon marché à base de sel. En définitive, j’en ai fait le thème de mon travail de fin de master à Eindhoven. » Le fait que son marbre de sel offre l’apparence de la précieuse pierre naturelle rejoint tout à fait l’histoire du condiment. Aujourd’hui très accessible dans tous les sens du terme, le sel était autrefois un luxe – au point, même, d’être utilisé comme mode de rémunération dans la Rome antique (d’où le mot « salaire »). « Cette tension entre deux extrêmes se retrouve aussi dans mon oeuvre. L’aspect écologique n’est pas moins important que la ressemblance avec le marbre: le sel est un produit naturel dont nous possédons des réserves à peu près inépuisables et qui se recycle en outre très bien. En même temps, le réchauffement climatique accélère la salinisation des mers et des océans, ce qui a déjà provoqué l’effondrement d’économies et d’écosystèmes entiers. En excès, le sel est donc aussi un produit dangereux. »

Roxane Lahidji a clairement le vent en poupe. Elle emploie déjà plusieurs collaborateurs dans son atelier pour pouvoir répondre à la demande et a même été contactée par plusieurs grandes entreprises intéressées par son marbre de sel, dont Bolia, Ikea et Inditex. « Pour l’instant, je n’ai pas encore la possibilité de le produire à une échelle industrielle, mais ce serait formidable si je pouvais trouver des investisseurs pour soutenir ce projet. Nous n’en sommes pas encore là, mais l’intérêt est bien réel. »

roxanelahidji.com

Dennis et Anton Teeuw.
Dennis et Anton Teeuw.© KAREL DUERINCKX

Du denim à la planche

Face au constat que les vêtements mis au rebut sont encore plus souvent brûlés que recyclés, les jumeaux néerlandais Anton et Dennis Teeuw ont eu l’idée de récupérer des restes de denim et d’autres textiles pour en faire des meubles. Avec leur label Planq, ils veulent démontrer que durabilité et design ne sont pas incompatibles.

D’après les chiffres du Parlement européen, l’Européen moyen se débarrasse chaque année d’environ onze kilos de déchets textiles, dont 87% aboutissent dans les incinérateurs ou les décharges. « C’est délirant de voir la masse de déchets que génère l’industrie textile, commente Anton Teeuw, qui a commencé à s’intéresser à la durabilité au cours de ses études d’ingénieur à Amsterdam. Ce qui me dérange dans beaucoup de solutions durables, c’est qu’il s’agit souvent de projets pas très transcendants avec un côté écolo hippie. J’ai donc commencé à réfléchir à un matériau qui puisse être utilisé dans la construction et la fabrication de meubles, mais qui ait aussi un vrai look design. »

C’est ainsi qu’avec son frère Dennis, il a mis au point une planche réalisée à partir de déchets agricoles (roseau, maïs…). Initialement mises en application dans un projet de logements au Kenya, ces connaissances ont débouché en 2015 sur la création de leur label commun, Planq. « Plutôt que de récupérer des fibres végétales résiduelles, nous avons eu l’idée d’utiliser de vieux vêtements pour contribuer à résoudre le problème des déchets de l’industrie textile. Le denim est ici un choix particulièrement parlant, puisque tout le monde a bien un jeans dans sa garde-robe… mais nous travaillons aussi avec des uniformes militaires, des costumes, des sacs en jute et toutes sortes d’autres vêtements. Nous les transformons en planches qui seront ensuite combinées avec du bois durable certifié. Dans le passé, nous utilisions souvent des restes de bois, mais cela posait des problèmes pour la production à grande échelle. Notre approche actuelle nous permet de combiner la durabilité des planches en denim avec une structure en bois massif pour parvenir à un design intemporel d’inspiration scandinave. »

Nous voulons mettre en avant les facettes positives du durable. Montrer ce qui est possible, et sans transiger sur l’esthétique. » Dennis et Anton Teeuw

Leur initiative a valu aux frères Teeuw une place parmi les  » Duurzame Jonge 100″, une liste de projets durables, innovants et inspirants, aux Pays-Bas. Le fait que Planq affiche sans complexes ses matières premières se veut moins une accusation qu’une forme de conscientisation, souligne Anton Teeuw. « Alors qu’on ne cesse de nous rebattre les oreilles avec des mauvaises nouvelles, nous voulons vraiment mettre en avant les facettes positives du durable – montrer ce qui est possible, et sans transiger sur l’esthétique. »

planqproducts.com

Bregt Hoppenbrouwers, spécialiste du torchis chez BC Materials.
Bregt Hoppenbrouwers, spécialiste du torchis chez BC Materials.© KAREL DUERINCKX

De la terre à la brique

Plutôt que d’évacuer la terre utilisable excavée sur les chantiers pour la déverser ailleurs, BC a eu l’idée d’en faire des matériaux de construction circulaires – un concept pionnier à l’échelon européen, qui a même débouché l’été dernier sur une collaboration avec Hermès.

« Sur les chantiers de constructions, on est souvent forcé d’excaver de grandes quantités de terre qui seront évacuées vers une décharge… alors qu’il ne s’agit absolument pas d’un déchet mais d’une matière première », explique Anton Maertens, de BC materials, une entreprise bruxelloise qui récupère cette terre de déblai (non polluée) pour en faire des matériaux de construction circulaires. Elle produit ainsi notamment de l’enduit d’argile et du pisé, mais aussi des briques de terre comprimée.

« Nous testons actuellement une composition et un mode de production inédits. Une nouvelle machine devrait nous permettre de réduire de 35 à 50% le coût de fabrication de nos « brickettes » et de concurrencer ainsi les briques conventionnelles, beaucoup plus polluantes. »

BC materials est un vrai pionnier à l’échelon européen, puisqu’il s’agit du tout premier producteur de matériaux de construction à base de terres d’excavation locales. « De plus en plus de particuliers, d’architectes et de promoteurs immobiliers s’adressent à nous parce que nos produits sont neutres en CO2, circulaires, intéressants d’un point de vue acoustique, sains et esthétiques, poursuit Anton Maertens. BC materials est aujourd’hui en pleine expansion: notre production et nos ventes ont triplé pour atteindre près de 400 tonnes cette année. Nous sommes en concurrence avec des secteurs comme l’industrie du béton et du ciment, qui sont subsidiés alors qu’ils produisent des émissions colossales… mais les mentalités sont en train d’évoluer. »

La construction demeure une activité humaine parmi les plus polluantes, puisqu’elle génère environ 40% des émissions de CO2 et de la pollution. « Le ‘Green Deal’ de la Commission européenne va toutefois complètement changer la donne. Le secteur des matériaux de construction est un mastodonte qui ne change de cap que très lentement, mais le virage vers l’écologie et le circulaire est bel et bien amorcé. On le voit aussi dans nos campagnes de crowdfunding: en février, nous avons réussi à récolter 320 000 euros. »

A en juger par ses réalisations, BC materials ne séduit plus uniquement un public de visionnaires voire de doux rêveurs. Cet été, l’entreprise a même eu l’occasion de réaliser pour Hermès un projet en pisé dans la boutique du Faubourg Saint-Honoré, à Paris. « A Bruxelles, sept nouvelles stations de métro seront construites dans le cadre de l’expansion de la ligne 3. Ce chantier engendrera une énorme quantité de terre d’excavation, que nous avons l’intention de transformer en pierres. Nous avons déjà signé une déclaration d’intention en ce sens avec le maître d’oeuvre Beliris. Les études sont encore en cours, mais nous aimerions que nos produits puissent aussi être utilisés pour la construction des stations. »

bcmaterials.org

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