Le design canadien sort du bois

Design © Karen Roze /sdp

Longtemps restés dans l’ombre, les concepteurs d’objets et mobilier issus de ce grand pays percent enfin sur le marché européen et séduisent les éditeurs de tous horizons, scandinaves en tête.

C’était l’une des révélations du dernier Salon du meuble de Milan, en avril dernier. Mais aussi de Stockholm, deux mois plus tôt. Avec leur mobilier et leurs luminaires aux lignes novatrices, les Canadiens ont suscité l’intérêt du grand public… et des marques, surtout scandinaves. Celles-ci suivent désormais ce qui se passe dans  » l’autre Nord  » et ouvrent leur catalogue à ces objets pensés outre-Atlantique. Et ce, sous l’influence des médias notamment. Ainsi, dans son édition d’avril, le magazine britannique Wallpaper consacrait une double page à cette nouvelle génération venue du Pays à la feuille d’érable, pionnière d’un savoir-faire dont les contours restent à définir. La plate-forme d’information en ligne américaine Sight Unseen relayait, elle aussi, les meilleures inventions de cette nation en mouvement.  » C’est après la Seconde Guerre mondiale que s’est opérée la prise de conscience d’un design contemporain national, pointe Nina Boccia, directrice de la programmation de Design Exchange, l’organisme qui héberge, depuis 1994, le musée dédié au secteur, à Toronto. L’apparition de nouveaux matériaux – comme le contreplaqué moulé, le plastique et l’aluminium – et les possibilités techniques innovantes ont généré de nouvelles voies à explorer pour les concepteurs.  »

Lentement, mais sûrement, le Canada s’éveille donc à la discipline, et prend conscience de l’utilité de celle-ci pour améliorer le quotidien. Montréal se prépare d’ailleurs à accueillir un sommet mondial sur le sujet, cet automne, et célèbre les 50 ans de l’Exposition universelle de 1967 qui a fait naître un engouement pour ces recherches en mobilier dans la métropole québécoise. L’an dernier, la construction du pavillon Pierre Lassonde au Musée national des beaux-arts du Québec, par l’antenne new-yorkaise du bureau OMA de Rem Koolhaas, a également permis l’ouverture d’une section consacrée à ce métier.

Le design canadien sort du bois

Latitude et migration

Mais c’est surtout dans la ville d’affaires voisine de Toronto que les choses prennent forme. Depuis six ans, elle accueille le Design Offsite Festival, en satellite de l’In-terieur Design Show.  » Au début, nous étions juste un groupe de créateurs et de curateurs montant des expositions dans la ville, relate Michael Madjus, directeur marketing de l’organisation. Nous avons joint nos forces pour former une communauté et avoir plus d’impact. Nous savions que les objets pensés sur notre territoire étaient de qualité mais qu’ils avaient besoin d’une plate-forme pour davantage de visibilité, tant locale qu’internationale.  » L’édition 2017 de l’événement a attiré plus de 130 000 visiteurs fin janvier.

A Toronto également, la galerie Mjölk sert, elle, de carrefour entre les acteurs locaux et des designers scandinaves avec lesquels elle initie de petites collections produites par des artisans canadiens.  » Géographiquement, nous partageons avec la Suède, la Norvège ou la Finlande une même latitude, note Michael Madjus. Cela influence la façon dont nous vivons et les choses qui nous accompagnent, et contribue parfois à créer une esthétique commune.  » Mais il y a aussi une explication historique derrière cette incontestable source d’inspiration.  » Au cours des années 20, nous avons connu une arrivée d’immigrants venus du nord de l’Europe, relate Nina Boccia. Ceux-ci sont venus avec leur savoir-faire traditionnel, ainsi que leur goût pour la beauté discrète des objets du quotidien.  » Il serait néanmoins trop tentant de limiter la création canadienne à une pâle réinterprétation de celle de leurs cousins scandinaves, une infinité d’influences et d’impressions traversant cette société multiethnique.

www.dx.org

sommetmondialdesign.com

todesignoffsite.com

Lambert et fils
Lambert et fils © Arseni Khamzin

Lambert et fils Le fait main montréalais

Parmi les créations de Lambert & Fils, la série Laurent, exposée à Milan, et qui décline en diverses versions de petits globes opalins.
Parmi les créations de Lambert & Fils, la série Laurent, exposée à Milan, et qui décline en diverses versions de petits globes opalins.© Arseni Khamzin

Samuel Lambert tourne le dos à une carrière dans les arts visuels pour s’essayer au design en 2010, inspiré par ses jeunes années passées aux côtés d’un père potier. Ce collectionneur de coques de chaises Eames se met à restaurer celles-ci, et à accrocher dans la vitrine de sa boutique-atelier de Montréal quelques luminaires vintage dénichés sur la côte est et remontés par ses soins.  » Je conservais chaque vis, chaque boulon patiné, car je savais que cela n’avait pas de prix « , se souvient-il. Il profite de l’engouement des Etats-Unis pour les lampes industrielles pour former une équipe, et concevoir une collection articulée avec des pièces métalliques d’usine. Pendant l’été 2015, il investit une ancienne manufacture d’un quartier populaire de Montréal pour fabriquer des pièces de quincaillerie sur mesure. Ces modèles séduisent très vite l’Europe. Pour sa rénovation, l’hôtel Bachaumont, à Paris, opte pour plusieurs modèles Cliff à l’élégance fifties, et le magazine Kinfolk choisit la suspension en laiton minimaliste Dot Line pour sa galerie Ouur, à Copenhague. Aujourd’hui, quarante-quatre personnes oeuvrent pour cette marque qui accorde une attention presque obsessionnelle à la pureté de la forme. Ainsi de la collection Laurent, exposée à Milan, et qui jongle avec un globe opalin soufflé et des feuilles de métal pour structurer l’espace. En marge d’une présence au salon Euroluce, Lambert et fils a été invité par l’agence italienne Studiopepe à habiller son appartement The Visit, une reconnaissance du rôle d’éclaireur joué par ce label.

Parmi les créations de Lambert & Fils, la série Laurent, exposée à Milan, et qui décline en diverses versions de petits globes opalins.
Parmi les créations de Lambert & Fils, la série Laurent, exposée à Milan, et qui décline en diverses versions de petits globes opalins.© Arseni Khamzin

www.lambertetfils.com Pour la liste des revendeurs belges : info@jevancraen.be

MSDS Artisanat high-tech

MSDS
MSDS © Inhouse fotografi / Charlie Schuck /sdp

Jessica Nakanishi et Jonathan Sabine du studio MSDS, créé en 2010 à Toronto, portent les espoirs de la nouvelle génération de designers canadiens. Elle a des origines japonaises, lui, britanniques, norvégiennes et antillaises. Ensemble, avec leur bagage multiculturel et leur sensibilité respective, ils dessinent des meubles, lampes et accessoires aux lignes minimalistes avec, souvent, un défi technologique qui détermine le produit. Le jeune éditeur danois Woud a été le premier Scandinave à croire à ce duo d’outre-Atlantique. On retrouve, notamment, au catalogue, la suspension Annular, rappelant le cône Billard d’Arne Jacobsen, à cette différence que la source lumineuse provient ici non pas d’une ampoule, mais de la circonférence de l’objet grâce au LED.  » Nous gravitons autour du détail et essayons de forcer les limites des matériaux « , pointe Jessica, qui confie apprécier le travail des Bouroullec, de Patricia Urquiola ou encore de Stefan Diez. Bruunmunch a également mis en production le meuble hybride HalfCab, mi-buffet mi-étagère, grâce à des portes d’aluminium coulissant sur une structure en bois de façon à dévoiler une partie de son contenu. Enfin, Muuto a présenté à Milan la table basse Halves en Corian, faisant de MSDS les premiers Nord-Américains à rejoindre l’équipage de ce label bâti, il y a onze ans, sous la bannière du nouveau design nordique. La table de salon allie fonctionnalité et esthétique, avec une approche très contemporaine dans le choix et la découpe asymétrique du matériau qui permet différents positionnements.  » En tant que Canadiens, nous n’avons pas derrière nous une longue histoire dans ce domaine, précise Jonathan. Mais nous travaillons dans des conditions uniques, car nous essayons de composer avec nos diverses influences.  » Un apport bénéfique à la production scandinave parfois un peu trop  » attendue « .

MSDS a notamment développé la suspension conique Annular.
MSDS a notamment développé la suspension conique Annular.© Inhouse fotografi / Charlie Schuck /sdp

msds-studio.ca

La chaise à pendre Shift. Une création originale de Philippe Malouin.
La chaise à pendre Shift. Une création originale de Philippe Malouin. © Karen Roze /sdp

Philippe Malouin L’architecture des choses

Philippe Malouin
Philippe Malouin © Karen Roze /sdp

Dès l’université, Philippe Malouin savait qu’il devrait quitter Montréal pour espérer faire carrière dans le design. Les maisons d’édition de taille pour produire le travail des jeunes créateurs sont rares au Canada, et les habitudes de consommation très éloignées de celles du Vieux Continent.  » Quand j’ai su qu’il était possible de faire un échange scolaire à l’étranger, j’ai sauté sur l’occasion, et je ne suis jamais revenu « , explique-t-il. A 26 ans, le designer décide donc de terminer ses études à la très cotée Design Academy d’Eindhoven. Il est sélectionné pour représenter l’école à Milan, puis débute chez Tom Dixon, et s’installe à Londres, où il ouvre son studio. Clin d’oeil du destin, sa chaise à suspendre, un travail d’étude édité par la marque canadienne Umbra dans sa ligne Shift et qui a contribué à le faire connaître, figure parmi la collection permanente du Musée national des beaux-arts du Québec. Depuis, Philippe enchaîne les contrats pour des marques du monde entier dont l’éditeur scandinave en ligne Hem, Established & Sons, Kvadrat et les luminaires made in Brooklyn Roll & Hill. On a pu le voir avec sa chaise Typecast pour Matter Made dans le clip de lancement de la campagne automne-hiver 16 de COS au cours d’un jeu de chaises musicales mettant en scène six jeunes designers. Philippe a également présenté, en Italie, le chandelier modulaire Arca pour la même maison, dans une installation qui a fait le tour des médias sociaux. Et il a lancé une gamme en marbre de Carrare, Place, pour Marsotto Edizioni. Une variation des tablettes et des accessoires permet de produire, selon le besoin du moment, des rangements ou des surfaces de travail. Dans cette dernière création comme dans d’autres, l’intérêt pour l’art et l’architecture est flagrant.

philippemalouin.com

À suivre aussi…

Ils se sont fait remarquer sur des salons, ont été happés par des grandes marques, ont vu leur travail récompensé par des prix… Voici cinq autres noms à garder à l’oeil.

LUKAS PEET. Ce jeune talent de Vancouver, élu Designer émergent par Maison & Objet Americas en 2015 et cofondateur d’ANDlight, sort de la Design Academy d’Eindhoven. Ses luminaires, dont la Slab Light (photo), une suspension LED habillée de feutrine ou de liège, ont été reprises par de grands magazines spécialisés.

www.lukaspeet.com, andlight.ca

ZOË MOWAT. Une jeunesse passée dans l’ombre d’une mère sculptrice amène Zoë Mowat à se tourner vers le design pour imaginer  » de beaux objets avec une fonction « . Cette designer de l’Alberta, établie à Montréal, aime combiner les couleurs, les matériaux et les formes pour parvenir à un équilibre subtil. La marque suédoise Bolia distribue sa table d’appoint et son miroir Ora (photo), avec des finitions marbre et laiton.

www.zoemowat.com

THOM FOUGERE. A 24 ans, il s’est vu confier la direction artistique d’EQ3, l’IKEA canadien. Ce designer de Winnipeg conçoit en parallèle une petite production où la recherche part de la matière, à l’image de sa collection de table de salon et de vases Tyndall en pierre (photo), qui se patinent avec le temps.

thomfougere.com

COOLICAN & COMPANY. Peter Coolican dessine et fabrique des petites séries de mobilier dans son atelier de Toronto. Ses chaises hautes Palmerston (photo) font fureur en ville. Il valorise une pratique et des réalisations durables, inspirées des Shakers, précurseurs du fonctionnalisme dans lequel l’apparence de l’objet dépend de son usage avant tout.

www.coolicanandcompany.com

TOM CHUNG. Ce Torontois a été épinglé par l’éditeur danois Menu, qui a sorti ce printemps les suspensions Cast (photo) conçues avec le designer Jordan Murphy. Le modèle LED, en fonte, qui s’installe seul ou combiné, rappelle le fil à plomb utilisé par les maçons et les charpentiers depuis l’Egypte ancienne pour obtenir une ligne verticale parfaite.

tomchung.net

Par Muriel Françoise

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