Marion Ruggieri
Marion Ruggieri signe avec Pas ce soir, je dîne avec mon père un premier roman jubilatoire sur les dégâts du jeunisme et la confusion des âges. A défaut de tuer le père, Ruggieri lui colle une tendre claque.
Qui serait votre père favori ? Gérard Depardieu dans Mon père ce héros, Lino Ventura dans La Gifle ou Clint Eastwood dans Million dollar baby ?
Difficile de faire un choix. Non, je garde le mien. Je ne le troquerai jamais pour un autre père. Même pas pour Clint Eastwood. Parce qu’en ce moment, mon père doit être en train d’écumer les librairies de Neuilly pour voir si mon livre est bien mis en place, pour voir s’il part bien. Même quand il n’est pas là, il se fait lire les critiques par téléphone. Aussi parce que j’adore son soutien inconditionnel. Et son humour inconditionnel, compte tenu de la situation.
Jusqu’à quel point le père du roman ressemble au vôtre ?
C’est ça la perversité, c’est qu’il y a plein de choses inspirées de lui et qu’il y a plein de choses fausses. Donc, il est parfois un petit peu surpris. Quand ses potes qui arrivent au resto et lui lâchent : « alors tu dors avec un crucifix au-dessus de ton lit ? », il est un peu déboussolé. Mais comme il a beaucoup beaucoup d’humour, c’est assez sympathique. Il ne se laisse pas atteindre. C’est un paquebot.
Et vous, vous seriez plutôt Marie Gillain, Isabelle Adjani ou Hillary Swank ?
Adjani ! Pour le physique (rires). Je n’aurais pas la force d’Hillary Swank et l’insouciance de Marie Gillain. Donc, Isabelle Adjani, oui. Si je me souviens bien, dans la Gifle, elle un rôle de jeune fille responsable avec un père immature.
Que vous apporte l’écriture ?
Je n’ai pas envie de lâcher un lieu commun mais c’était une nécessité d’écrire ce livre. Je me suis dit si je ne l’écris pas là après il sera trop tard, je n’aurais plus envie, je serai dans autre chose et je vais m’en mordre les doigts. Donc ce livre, ça m’évite les regrets. Et puis ça m’apporte quelque chose d’inédit : partager quelque chose de très personnel avec des gens que je ne connais.
Et au niveau de l’écriture même ? Est-ce que ça a été une partie de plaisir ou est-ce que ça a été laborieux ?
Ca n’a pas été laborieux dans le sens où j’ai écrit ce livre en un mois, l’été dernier. Je l’ai vraiment jeté sur le papier. Je l’avais depuis longtemps en tête. Je l’avais sur le bout de la langue même. Mais par contre je trouve que c’est un exercice très solitaire presque hystérique. Parce qu’on est tout le temps avec soi et on se réveille la nuit en se disant « mais voilà comment je dois croquer cette situation », « voilà comment je dois décrire ceci, cela ». Je ne sais pas si j’aime vraiment cet état. Je suis contente que le livre soit là.
Vous êtes dorénavant des deux côtés de la barrière, étant à la fois écrivain et responsable des pages culture à Elle. Est-ce que votre rapport à la critique a changé ?
Justement, j’ai fait ce roman pour ne pas rester qu’un d’un seul côté de la barrière. Je ne voulais pas rester dans le clan de ceux qui distribuent les points. Je voulais être dans le clan de ceux qui font. Quitte à faire de mon mieux, quitte à m’exposer ce qui n’est pas quelque chose de très agréable : on se sent fragilisé, on se sent à la merci. Surtout quand on a l’habitude d’être de l’autre côté et de se cacher. Je participe à une émission critique sur Paris Première. Le titre de l’émission s’appelle : « Ca balance pas mal à Paris », mais j’ai toujours eu beaucoup de mal à balancer. J’ai toujours fait très attention à ce que je disais. Parce que je ne peux m’empêcher de penser à ce que représente le travail, l’investissement personnel. Cela dit, je ne fais pas une critique des critiques, là. Parce que je trouve qu’il existe des critiques extraordinaires qui donnent envie. Parvenir à donner envie, c’est quelque chose. C’est plus difficile de dire du bien que de dire du mal. Et dire du mal bien, c’est encore plus difficile. Dans les deux cas, j’admire les gens qui parviennent à susciter de l’émotion.
Quel est votre mot préféré ?
Concupiscence.
Quel est votre journal du matin ?
Le Parisien. Je commence par la fin, c’est-à-dire l’horoscope, qui est extraordinaire dans le Parisien, il faut le savoir. C’est trois lignes, mais c’est toujours vrai. Ensuite, je jette un oeil à la météo. Ensuite, je le retourne dans le bon sens, je le lis au café en bas de chez moi de préférence. J’adore. Ils sont en phase avec l’air du temps. Ils sentent le truc. C’est à la fois populaire et politique. Ca a presque remplacé Libé, pour moi.
Que représente la mode ?
Ce qui est à la mode n’est par définition plus à la mode.
Quelle amoureuse êtes-vous ?
Chiante. Comment dire autrement ? Plutôt latine de part mes origines. J’ai été élevée dans une famille à cran où on claquait les portes, où on cassait la vaisselle. A la fois, j’aspire à une grande stabilité et en même temps, je monte vite en puissance.
Vous ennuyez-vous rapidement ?
J’adore l’ennui, moi. Je trouve qu’il n’y a rien de tel que l’ennui. Il faut s’ennuyer. C’est quand on s’ennuie que les idées viennent. Et j’adore la répétition, le quotidien, ne rien faire.
Est-ce qu’un couple peut se nourrir d’ennui ?
Complètement.
Votre définition de la virilité ?
Je ne sais pas… C’est d’assurer ? Ca n’a rien à voir avec la masculinité ou la féminité, c’est bien autre chose. On peut être féminin et viril. C’est les avoir les épaules. Sur lesquelles on se repose et dans lesquelles on s’endort.
Qui l’incarne ?
Vous voulez dire à part mon père ? (rires)
Votre plus grand moment de solitude ?
J’en vis toute la journée. Généralement, c’est quand je me sens humiliée. J’ai une échelle de Richter de l’humiliation qui va de 1 à 9 et toute la journée j’oscille parmi ces degrés. En même temps, ça me fait rire aussi, ces petits moments d’humiliation qui émaillent la journée. Puis quand on sort un livre, alors là, on est remis à sa place !
Votre dernier fou rire ?
J’en ai tout le temps. J’ai des fous rires intérieurs. Parfois je trouve que j’offre un spectacle assez risible de moi-même.
Vous êtes quelqu’un de réflexif ? Vous vous voyez évoluer ?
Oui, parfois je marche devant moi. Ca fait très narcissique, mais ce n’est pas ça. J’ai souvent conscience des situations, je me regarde. Ca peut me faire rire, l’absurdité de certaines scènes où j’évolue.
Votre juron favori ?
Pendant longtemps ça a été « putain ». Et là c’est « ça me fait chier la bite ». En fait, à l’origine c’est une expression de Céline que j’aime énormément. Voilà. Et puis, c’est imagé, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Puis, c’est délicat dans la bouche d’une jeune femme. J’ai un petit côté Italie du Sud quand même. Quand je conduis, j’aime bien de faire des doigts, de klaxonner…
Vous en rêvez sans avoir jamais osé vous lancer…
J’ai rêvé d’écrire un livre. J’ai attendu 33 ans. Là, je ne sais pas. Peut-être faire des enfants.
L’essentiel c’est…
D’avancer. Action. Ne pas s’engourdir. J’ai tendance à être un peu un gros chat qui s’endort sur la machine à laver, donc j’ai besoin de me pousser.
Propos recueillis par Baudouin Galler
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