Criminologue de formation, Charlotte Rasquin (29 ans) ne cesse de repousser les limites. En boxe thaïe comme dans Koh-Lanta (dont elle fut finaliste l’an dernier), cette battante-née fait preuve d’une détermination rare. C’est en plein désert, sur un ring ou au contact des jeunes en difficulté qu’elle incarne avec le plus de force cette exigence intérieure.
Ne plus tricher
La confiance véritable naît dans la solitude. Koh-Lanta ne m’a pas tant appris quelque chose de neuf que permis de faire l’expérience d’une solitude radicale. Quand on est coupé de tout, des proches, des repères, du bruit du monde, on ne peut plus tricher. On ne peut plus attendre que quelqu’un vous soutienne. Même inconsciemment, dans la vie quotidienne, on s’appuie sur les autres. On croit être autonome, mais on est nourri en permanence: un message, une story, une voix. Là-bas, j’ai compris que je devais remplir mon «pot de confiance» seule. Et que c’était possible. Ce que je croyais acquis s’est révélé être un leurre. Depuis, ce réservoir que je remplis par moi-même m’accompagne dans toutes les autres situations de vie.
Merci d’exister
L’adversaire n’est pas un ennemi, mais un miroir. La boxe thaïe est un paradoxe. Visuellement, c’est violent. Mais intérieurement, c’est noble. Mon adversaire, je la remercie d’exister. Avant un combat, je pense à elle tous les jours. Je l’imagine, je l’intègre dans ma routine mentale, je vis avec elle. C’est une forme d’intimité étrange. Sur le ring, on ne s’affronte pas pour se détruire mais pour se révéler mutuellement. Grâce à ce sport, j’ai appris à canaliser mon agressivité, à accueillir mes émotions, à leur offrir un espace.
Atomium/Tour Eiffel
On ne se résume pas à ce qu’on a traversé mais à ce qu’on en fait. Je ne hiérarchise pas les épreuves. Il y a eu la mort de mon père. Il y a eu cette petite Charlotte sur scène, espérant voir ses parents dans le public, et qui, à l’entracte, réalise qu’ils ne sont pas venus. Ces scènes me fondent, sans me définir. A côté de ces manques, il y a les conquêtes. Partir seule au bout du monde dès 18 ans. Un trajet de l’Atomium à la tour Eiffel sans jamais avoir fait de vélo de route. Un ultra-trail. Un marathon dans le désert. Les poteaux de Koh-Lanta. Ce sont ces défis qui me construisent et me font avancer, plus encore que les blessures.
«J’ai cessé de vouloir résoudre mes contradictions: elles me rendent vivante.»
Etre là
S’éloigner parfois, c’est se rapprocher autrement. Mon mode de vie implique des absences. J’ai manqué des mariages, des anniversaires, des repas de famille. Souvent, j’étais à l’étranger, en entraînement ou simplement ailleurs. Et parfois, quand je reçois un message du type «on se voit quand?», une boule se forme dans mon ventre. Je jongle avec le temps en apprenant à ne pas courir après lui. J’accepte ce qu’il m’offre pour utiliser cette matière au mieux. Mais j’ai compris que privilégier mes élans, mes folies, c’est aussi me donner les moyens d’être pleinement là quand cela compte. Si un proche traverse quelque chose de grave, je suis disponible. Pas pressée. Entière. Et je n’aurais jamais su offrir cette qualité de présence si je ne m’étais pas d’abord sauvée moi-même.
Choisir d’agir
Réussir sa vie, c’est se sentir aligné avec ses certitudes intérieures. Je refuse de gaspiller mes journées: le temps est trop précieux pour être dilapidé dans des situations qui ne font pas sens. Dès qu’une insatisfaction persiste plus de trois jours, je choisis d’agir. Car je ne veux pas vivre dans la plainte ni nourrir une frustration silencieuse. Ce refus de l’inertie s’appuie sur une certitude: on apprend autant dans l’échec que dans la réussite. Chaque expérience, même douloureuse, m’enseigne quelque chose sur moi-même. Ce qui compte, c’est de ne pas laisser la peur de l’échec nous empêcher d’essayer. Pour ma part, je ne me lance jamais dans un projet sans la conviction qu’il n’existe qu’une seule issue possible: réussir.
Pacifier mon histoire
Réparer l’autre, c’est parfois recoudre en soi ce qui reste à vif. Travailler comme médiatrice jeunesse m’a permis de pacifier mon histoire. Les récits que j’écoute font parfois écho à mes propres souvenirs. Cette vulnérabilité me guide. Quand je dis à un jeune «je te comprends», ce n’est pas une posture. Même s’il ne sait rien de mon passé, quelque chose se joue dans le lien. Pendant longtemps, mon vécu a été un outil de travail. Aujourd’hui, j’ai suffisamment de recul pour qu’il ne le soit plus. Mais il reste une boussole, toujours là.
Planter une graine
Une rencontre peut tout changer. Certaines personnes croisent notre vie quelques minutes et laissent une empreinte à jamais. Elles plantent une graine dans notre esprit, parfois sans le savoir. Une phrase, un geste, un regard. On se construit aussi de ça: de micro-détonations qui, un jour, ouvrent un territoire entier.
Je suis un courant d’air
Etre multiple ne veut pas dire se perdre. Je suis faite de contrastes. Sérieuse au travail, déchaînée sur une piste de danse. Structurée dans ma médiation, brute dans mon sport. Tantôt apte à cadrer et soutenante, tantôt rêveuse et sauvage. Je peux servir des clients la nuit et grimper une montagne le matin. J’ai cessé de vouloir résoudre ces contradictions. Elles me rendent vivante. Je suis un courant d’air, une énergie mouvante. Et j’aimerais qu’on garde de moi cette image: celle d’une femme portée par la vie, dans toute sa démesure.