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La ballerine, on aime ou on déteste? Disons qu'on hésite - Getty Images

La ballerine, on aime ou on déteste? Nos journalistes ne savent pas sur quel pied danser

Amélie Micoud Journaliste
Nicolas Balmet Journaliste
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Elle est de nouveau aux pieds de toutes les fashionistas ce printemps: la ballerine. Ce soulier plat sorti du vestiaire de la danseuse pour fouler les trottoirs de la ville divise autant qu’il fédère les femmes de tous les styles et tous les âges. Alors, la ballerine en 2024, stop ou encore?

Disons que tout dépend à qui on demande. C’est que la ballerine clive, c’est le moins qu’on puisse dire, et entre ses inconditionnelles, pour qui l’association slim + chausson reste le summum du cool façon Kate Moss, et ses détracteurs, aussi horrifiés par ses attributs esthétiques qu’hygiéniques, elle ne laisse personne indifférent.

À commencer par nos journalistes, dont les avis divergent sur le sujet. Alors, la ballerine, stop ou encore?

Oui mais non: « J’ai toujours l’image d’une chaussure un peu flinguée qui finit par pendouiller à un pied moite »

Amélie Micoud, journaliste: « Pour qui me connaît bien, que je ne supporte pas les ballerines à mes pieds aurait plutôt de quoi surprendre: je pratique la danse classique depuis plusieurs années. Et, dans un monde idéal, je serais vêtue d’un cache-coeur tout doux, d’un tutu comme Carrie Bradshaw dans le générique de Sex and the City, et j’arborerais un chignon gracieux. J’évoluerais ainsi, telle une sylphide de la ville faisant fi des crottes de chien, des pavés et des regards dubitatifs sur mon look de ballerine éthérée.

Pourtant, dans la vraie vie, je n’aime les ballerines que ce pour quoi elles sont faites: ne pas glisser sur le parquet lors des déboulés, pirouettes et pas de bourrés.

Il y a quelques semaines, je tombe sur le post Instagram d’une influenceuse française connue. Nous étions encore en hiver et oh! Surprise, je la vois dégainer pour sa tenue du jour pré-printanière une paire de ballerines. Ah non! Ils ne vont pas nous la ressortir, celle-là! Je lis quelques commentaires encensant la tenue et les chaussures. Et je ne sais pas ce qui m’a pris (on ne m’y reprendra plus), mais j’ai commenté en disant (gentiment) que les ballerines, pour moi, ça n’était pas possible. Je me suis pris une volée de bois vert (j’adore les expressions en plus du ballet): les ballerines c’est très joli, Audrey Hepburn blablabla, si ça ne vous plait pas, désabonnez-vous…

Alors comme j’ai été rabrouée sur Instagram, j’en profite ici. Je n’aime pas les ballerines. Bon allez, on va dire (parce que j’ai peur de me faire agresser par des ballerinophiles) que je ne suis pas fan. Je trouve que ça ne « termine » pas de manière avantageuse la ligne de la jambe, donc la silhouette. Ça baille souvent en marchant et ça fait puer des pieds puisque, la majeure partie du temps, on les porte pieds nus quand il fait chaud. C’est très plat, trop plat. Et la semelle est souvent trop fine, on sent le moindre gravier sur le trottoir.

Et pourtant, ça n’est pas pas faute d’avoir essayé! Car le soulier pourrait avoir bien des avantages, quand on ne sait pas trop quoi enfiler aux beaux jours pour ne pas se retrouver au boulot en sandales ou en sneakers. Il y a un côté facile à porter qu’en bonne mère de famille débordée vivant dans une ville avec des pavés je pourrais apprécier. Mais rien à faire, je n’y arrive pas.

Alors oui, on va me dire qu’il y a des modèles canon, etc., etc. Mais qu’on se comprenne bien, pour moi, dans cet article, on parle de la ballerine façon Repetto, en version cheap la plupart du temps, qui est portée par les gens normaux comme vous et moi et non par des modeuses super lookées une paire de Chanel aux pieds.

Cette ballerine là, la « basique », je la vois s’affaisser après quelques portés seulement et déformée par le moindre défaut podal (oui, podal, du pied quoi). Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais quand je pense ballerine, j’ai toujours l’image d’une chaussure un peu flinguée qui finit par pendouiller au pied, retenue seulement par les orteils dès que sa porteuse est assise, pour laisser respirer ce pauvre peton moite étouffant dans ce chausson trop serré. Ou pas assez, on ne sait plus trop. En témoignent les exemplaires ci-dessous appartenant à cette chère Amy Winehouse.

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Alors, c’est un peu de la triche de parler de « ballerines » à propos de chaussures ultra-stylées qui, pour le coup, pourraient bien me faire craquer. Parce que je vois pas mal de petites malignes hashtaguer #ballerine à leurs chaussures à talons, bridées, aux bouts pointus ou upgradées par d’autres transformations qui font de la chaussure quelque chose de, non seulement acceptable, mais pour le coup tout à fait désirable. Là, oui, je pourrais craquer pour la « ballerine », si tant est que le soulier en question n’a plus de ballerine que le nom. Et si on me fait la remarque, je dirais qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Audrey Hepburn était quand même canon, faut bien le dire… »

Bof: « Je trouve que la ballerine manque de caractère »

Nicolas Balmet, journaliste: « Je pourrais commencer par faire ici une tirade sur l’importance d’être bien chaussé, et pour cause: mes proches comme mes collègues savent à quel point l’accord shoes/fringues est crucial à mes yeux (et à mes pieds, oui, vous avez raison d’être tatillon). Ils savent aussi que je possède une petite collection de sneakers chargés d’optimiser, voire de sublimer, ces accords. D’ailleurs, en ce qui concerne mes collègues, je suis à peu près certain que tout est parti de là. Ils se sont dits « Tiens, et si on demandait à ce bon vieux Nico de nous donner son avis sur la ballerine, après tout, le mec débarque tous les mois avec des nouvelles Nike à la rédac’. »

Heureusement, je prends toujours un malin plaisir à donner mon avis sur des choses qui ne me concernent pas vraiment, et ça, mes collègues le savent aussi. Bref! Voici mon avis éclairé et pertinent sur la ballerine: bof.

Voilà, c’est tout pour moi.

Merci de m’avoir lu.

A bientôt les loulous.

Non, je rigole. En fait, je trouve la ballerine assez intéressante par son côté décontracté, léger, presque fragile. Mais justement: pour moi, c’est aussi cet aspect-là qui m’embête un peu: je trouve que l’objet manque un peu de forme, d’appui et de robustesse. En un mot: de caractère. Ses contours sont assez quelconques, et le fait qu’elle n’ait pas de semelle digne de ce nom me fait dire qu’elle serait plutôt à ranger dans la catégorie des pantoufles estivales, plutôt que dans celle des classiques citadines.

Navré, mais j’avais prévenu: j’aime les baskets et leurs petites bulles d’air, leurs couleurs, leurs lacets, leurs logos et parfois même le mélange des matières qui leur donnent une vraie personnalité. La ballerine, à côté, c’est la simplicité (dés)incarnée, et je ne suis pas hyper-fan. Je ne la trouve pas du tout repoussante, mais disons qu’elle ne m’attire pas. C’est un peu comme le Grand Duché du Luxembourg: je n’ai rien contre, c’est très bien qu’il existe, mais il ne me fait ni chaud ni froid, et je préfère de loin l’Italie.

Et puis bon. Un peu de sérieux, quand même. D’après mes informations, mais arrêtez-moi si je me trompe, la ballerine a quand même été imaginée par des spécialistes afin d’être portée sur les parquets de danse. Alors, si on commence comme ça, vous imaginez bien que ça va devenir le grand n’importe quoi dans les rues, puisque ça voudrait dire que, demain, personne ne serait choqué de voir passer un gars avec des chaussures à crampons aux pieds, ou de croiser une dame avec des palmes à l’épicerie. Est-on prêt pour ce genre de dérive? Je ne crois pas. Et le premier qui me dit que les baskets ont elles-mêmes été conçues pour l’univers du sport, je ne lui parle plus (nananère).

C’est le pied: « La ballerine n’est pas une simple soulier, c’est un état d’esprit »

Kathleen Wuyard, journaliste et coordinatrice web: « Si avec le temps, tout s’en va vraiment, c’est le plus souvent pour mieux revenir. Et si Kate Moss, elle, est évidemment éternelle, sa dégaine actuelle est un clin d’oeil à la fois nostalgique et furieusement moderne aux tendances d’hier, soudain à nouveau mode. Photographiée récemment avec un jeans skinny duquel émergeait une paire de ballerines, elle achève d’asseoir le retour de ce soulier ô combien controversé, mais aussi et surtout de l’allure indissociable de sa période Pete Doherty.

Nous sommes alors en l’an de grâce 2005, et le duo britannique se la joue Bonnie & Clyde du rock indé. Ils se déchirent, se rabibochent, vivent une vie dissolue dont médias et quidams se délectent, et gardent, même (ou surtout) malgré les excès une dégaine d’enfer. Chaque look est photographié, partagé, scruté et copié, à commencer par la fameuse alliance skinny-ballerines susmentionnée. Et tant pis si (très) peu de ses adeptes ont la même silhouette que la Brindille: ce n’est pas tant une tenue qu’un état d’esprit, c’est Camden, l’indie, le souffle de subversion qui balaie alors tous les domaines, de la musique à la mode. Qu’importe que le rendu soit flatteur, ce qui compte, c’est d’oser, et finalement, plus c’est gauche, plus c’est cool, car l’heure est au nihilisme sublimé.

Kate Moss et Pete Doherty à New York en septembre 2005 – Getty Images

Un air de je-m’en-foutisme des plus salutaires 20 ans plus tard, dans un contexte tendu au possible, tant sur le point de vue sociétal qu’économique – et ne nous lancez pas sur la géopolitique. Pour les Millenials, jeunes adultes au moment de la coolification de la ballerine, c’est une bouffée de nostalgie bienvenue, une sorte de retour en adulescence validé et même encouragé. Pour les Zoomers et autres Alphas, qui vont jusqu’à oser la sneakerine, l’imaginaire est présent mais distant, et plutôt qu’un hommage, il s’agit d’une nouvelle manière d’exprimer une créativité libérée du carcan du genre et de la taille.

De 7 à 77 ans, la ballerine court, et moi, j’accours. Ado à l’époque où Kate et Pete rejouaient la Belle et la Bête, j’ai gardé de cette époque une fascination grotesque pour une maigreur que je n’atteindrai jamais, mais aussi et surtout, pour l’élégance décomplexée de Miss Moss, mélange de pièces bien coupées et de cheveux sauvages, de labels de luxe assortis de ce qu’on n’appelait pas encore la fast fashion. Hier comme aujourd’hui, les ballerines faisaient partie des basiques essentiels de son vestiaire comme du mien, même si j’ai troqué les Repetto, sublimes mais fragiles, pour une alternative moins ruineuse et plus résistante. En crin imprimé léopard, parce qu’on n’a que le bien qu’on se fait, pas vrai?

La ballerine qui pendouille et fait les pieds à ma consoeur adorée? Pour moi, ce n’est pas tant le signe d’une dégaine en berne qu’une posture, oserais-je le dire, sexy: jambes croisées en terrasse, le jeans qui se relève pour dévoiler la cheville, la malléole qui s’affole, et puis au bout du pied, comme une caresse, la ballerine qui oscille. En robe, en short, en pantalon habillé ou, bien sûr, en jeans skinny, la ballerine habille et s’adapte, apportant à chaque tenue ce « je-ne-sais-quoi » essentiel à l’allure. Enfin, à condition de ne pas trop faire virevolter ses chaussures au bout des orteils, et de se déchausser dans une autre pièce, car il faut bien reconnaître que déambuler ainsi pieds nus dans une chaussure fermée peut présenter quelques risques olfactifs. Mais on n’arrête pas le progrès, nous assure-t-on, alors forcément, en 20 ans, quelqu’un a bien trouvé une parade à ce désagrément? « 

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