Mathieu Nguyen

(Ana)chronique: la cravate, arme de formatage massif

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Du rififi au bout du monde: le mois dernier, le député Rawiri Waititi s’est fait exclure du Parlement néo-zélandais pour avoir eu l’outrecuidance d’y réclamer la parole alors qu’il ne portait pas de cravate. Face à l’inflexibilité du président de l’hémicycle, le codirigeant du parti maori argua que ce « noeud coulant colonial » ne saurait être indispensable à l’exercice de sa fonction. Frappé d’un certain bon sens, son point de vue gagna les faveurs de l’opinion publique, et il fut donc décidé d’abolir ce dress code un poil rigide, à la grande satisfaction de M. Waititi, qui en profita pour remettre une couche sur l’importance des enjeux liés à l’identité culturelle, et arborer devant les caméras un seyant pendentif maori, le hei-tiki. Moins anodin qu’il n’y paraît, cet incident nous pousse à interroger les rapports entre l’homme occidental et la cravate – pour une fois que ce n’est pas une représentante de la gente féminine qui se fait ostraciser pour un bout de tissu, on a envie d’approfondir la question.

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Bien que l’on en trouve des traces remontant plusieurs siècles avant notre ère, chez les Romains ou les Chinois, il est communément admis que la cravate moderne nous vient d’Europe centrale, et plus précisément des Balkans. Embarqué sans grand enthousiasme dans la Guerre de Trente Ans, Louis XIII avait décidé de s’offrir les services des hussards croates, fiers cavaliers particulièrement redoutés sur les champs de bataille européens. Or, une vieille tradition voulait que ces guerriers partent au combat le cou ceint d’une sorte de foulard, noué par leur bien-aimée, en signe de fidélité mutuelle – une pratique qui ne manque d’ailleurs pas d’évoquer l’une des expressions parmi les plus malheureuses de la langue française, la fameuse « corde au cou » synonyme de mariage.

Quoi qu’il en soit, le tout-Paris s’enticha de ce nouvel attribut vestimentaire, conjointement popularisé par deux sphères friandes d’apparat: la cour et l’armée. Il faut dire, au-delà de l’amour des uns et des autres pour les breloques et cocardes diverses, que son port s’avérait aussi moins contraignant que celui de la collerette, preuve que l’on peut être sensible tant à la mode qu’à certains aspects pratiques. Quant à savoir d’où provient le terme lui-même, le lecteur attentif aura noté son évidente parophonie avec l’adjectif « croate », « hrvatski » en version originale. Et de cette racine « hrvat » à notre « cravate », il n’y avait qu’un pas, que l’on suppose franchi avec l’agilité coutumière de nos voisins français face aux langues étrangères. La suite, on ne la connaît que trop bien, cette mince bande d’étoffe a traversé les siècles pour s’imposer comme l’une des pièces maîtresses de tout vestiaire masculin qui se respecte, enquiquinant au passage des millions de braves types, sommés contre leur gré de se meubler le plastron.

Arme de formatage massif, cette coquetterie dénuée de la moindre fonction s’est en outre érigée comme l’un des plus ostensibles symboles de masculinité, devenant rien de moins que l’accessoire préféré de ces messieurs pour affirmer leur sérieux ou se reconnaître entre eux. On n’en voudra donc à personne d’esquisser un sourire à chaque fois qu’est rappelée l’origine de cet étendard de la virilité, à savoir une forme d’asservissement soft à sa régulière, une affectueuse marque de propriété.

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