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La conservatrice Kim Verkens a travaillé un mois entier sur la robe. © Jeroen Broeckx

L’incroyable histoire d’une robe Dior oubliée qui s’offre une nouvelle vie (et s’expose au MoMu)

Nathalie Le Blanc Journaliste

Le Musée de la Mode, à Anvers, a retrouvé dans ses archives une robe dessinée par Christian Dior en 1948. Ce chef-d’œuvre aujourd’hui restauré après des mois de travail est exposé jusqu’en septembre. Reportage en coulisses.

Quand le Musée d’art de La Haye a sollicité l’emprunt d’une de ses robes, dessinée par Christian Dior en 1948, le MoMu a répondu par la positive, et ce malgré le travail qui l’attendait… « Cette pièce nous a été offerte il y a seize ans par une Anversoise, une cliente de la maison Dior depuis sa création en 1947 jusqu’aux années 60, explique Bas Verwaetermeulen, chercheur et régisseur pour le musée de la mode. En 2007, nous étions déjà conscients de la valeur de ce modèle, mais nous ne détenions que très peu d’informations à son sujet. »

Pourtant, la robe a passé des années à prendre la poussière dans les archives de l’institution au point que lorsque la conservatrice Kim Verkens l’a exhumé de sa boîte, l’état était jugé « passable ». « Lorsqu’une demande de prêt nous parvient, nous vérifions toujours l’état de la pièce avant de nous engager, détaille l’experte. Parfois, l’objet est si endommagé qu’il n’est plus possible de l’exposer. Cette robe est tombée dans l’oubli, car à son arrivée, elle ne s’intégrait ni aux expos temporaires, ni à la collection permanente.»

Une collection phare de Dior

Les photos prises à l’époque témoignent déjà d’une légère décoloration. « Seize ans plus tard, lorsque la boîte a été rouverte pour la première fois, le rose avait cédé sa place à des tons jaune et brun, note Kim Verkens. La robe a été traitée en adéquation avec les normes en vigueur en 2007, mais son écrin était trop étroit et le papier de soie qui la protégeait a jauni, ce qui a accéléré sa dégradation. C’est à la fois exceptionnel de remettre la main sur un tel habit, mais aussi malheureux de le retrouver si abîmé. Honnêtement, son état était plus médiocre que passable.»

Une photo d’archives de la collection présentant la robe, prise en 1948. © Getty Images

La robe étant ancienne, des recherches plus approfondies à son sujet se sont avérées nécessaires. Avec la collaboration de Getty Images, Bas Verwaetermeulen et son équipe ont pu retrouver la photo d’un vêtement présenté lors d’un défilé Dior en 1948 et qui ressemblait fortement à celui-là. Ils ont ensuite consulté les archives Dior. Deux jours plus tard, ils disposaient d’un croquis du modèle, du nom de la création – Flamant Rose – et de toutes les infos disponibles sur le sujet.

Un inspiration « lingerie »

Ainsi, la collection Dior de 1948, intitulée Envol, fut saluée, entre autres, par les critiques du New York Times et qualifiée de « bombe ». Les robes de soirée « lingerie » présentées ont marqué l’histoire de la mode. Mais à l’époque, les nombreuses chevilles nues dépassant de certaines jupes « courtes » suscitèrent néanmoins un certain émoi.

La robe de soirée du MoMu, issue donc de la troisième collection Dior, se démarque par son corset ajusté à fines lanières, son nœud à la taille et son immense jupe en neuf épaisseurs. Pour cette pièce unique, pas moins de 48 mètres d’organdi – une mousseline de coton légère –, teintés de différentes nuances de rose, ont été assemblés. Cette création est une trouvaille majeure, car elle illustre le style New Look des débuts de la maison.

La robe baptisée Flamant Rose a retrouvé tout son panache © Jeroen Broeckx

Des recherches historiques

« C’est le genre de chose qui fait le bonheur des historiens de la mode, s’amuse le chercheur. Si l’on considère l’étendue de notre collection – pas moins de 40 000 pièces – cette découverte est vraiment spectaculaire. Les archives Dior, elles-mêmes, ignoraient que cette création existait toujours. Leur liste recense l’ensemble des modèles fabriqués, mais en général, ils ne savent pas ce que les pièces sont devenues. D’ailleurs, ils n’avaient jamais vu cette pièce, jusqu’à ce que j’aille leur rendre visite avec des photos pour leur expliquer notre projet. »

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Kim Verkens se souvient du moment où elle a ouvert la boîte :  «Je n’en ai pas cru mes yeux, raconte-t-elle. Je me suis demandé comment cette robe volumineuse avait pu rentrer dans un si petit étui. Avant son arrivée au musée, elle avait non seulement été décolorée, mais aussi salie. Il faut dire qu’en 2007, le vêtement avait déjà 50 ans. Le bas de la jupe avait manifestement traîné par terre, il y avait des taches de sueur à la taille et un gros trou dans le dos. Sans doute son ancienne propriétaire y avait-elle enfoncé son talon. Vu son état, nous avons dû la démonter complètement. »

La robe a dû être entièrement démontée pour être restaurée

Préserver l’authenticité

Ce qui n’est pas toujours le cas en restauration. « Nous mettons toujours un point d’honneur à préserver l’authenticité de l’original. Pour ce faire, j’ai sollicité les conseils de mes collègues du Met à New York, car ils sont très expérimentés dans la restauration de tels tissus », poursuit-elle. Le fait qu’il s’agisse d’un modèle emblématique, issu d’une collection importante, n’a toutefois pas eu d’influence sur la démarche de restauration.

‘Les archives Dior, elles-mêmes, ignoraient que cette création existait toujours.’

« A mes débuts, il m’arrivait encore d’être impressionnée par le nom d’un créateur, avoue Kim Verkens. Je me surprenais à penser : « Aïe, je suis sur le point de couper dans du Chanel. » La pression était si intense que je repoussais parfois le premier coup de ciseaux. (rires) Mais aujourd’hui, j’y suis habituée, je désassemble du Dior sans le moindre scrupule. »

Croquis de la robe Flamant Rose, Haute Couture Printemps-Ete 1948 © Christian Dior.

Neuf jupons superposés

Lors de cette étape, la spécialiste a recueilli de nombreuses informations sur son ancienne propriétaire. «La haute couture est réalisée sur mesure, directement sur le corps de la cliente, ce qui justifie la présence de toutes ces irrégularités. Cette dame était très mince, avec une véritable taille de guêpe. Ces pièces étaient aussi réalisées à la main, ce qui explique les finitions parfois imparfaites, surtout sur les vieux modèles.»

Souvent, l’extérieur est sublime, alors que l’intérieur, lui, l’est un peu moins. «Par exemple, les bords des neuf jupons étaient simplement repliés sur eux-mêmes et cousus, et l’ourlet n’était pas tout à fait régulier., pointe-t-elle. Aujourd’hui, c’est différent, notamment parce que l’usage des machines est plus fréquent, mais il y a septante ans, il fallait parfois faire vite, même à la main. »

Kim Verkens immerge l’un des jupons dans l’eau et le lave avec un solvant de sa composition

Le grand bain

Le lavage en machine ne convient pas à ce type de vêtements, c’est donc un nettoyage minutieux qui s’impose. « Toutes les pièces qui passent notre porte, sont d’abord nettoyées à sec à l’aide d’un aspirateur de musée qui nous permet d’éliminer les fines poussières et la saleté. Cette création Dior n’a pas dérogé à la règle. Ensuite, la pièce est soumise à un nettoyage humide.»

L’efficacité du savon est toujours testée afin de déterminer s’il existe un risque de décoloration des tissus. «Pour ce faire, nous immergeons une fibre dans de l’eau bouillante, puis nous la séchons sur du papier buvard. Par chance, nous n’avons constaté aucun risque de décoloration dans ce cas précis. »

Tout est dans le détail

Un mois de travail

Kim Verkens confectionne elle-même les produits utilisés, ce qui lui permet de les adapter parfaitement à chaque type de matériau. En ajustant le pH, elle est en mesure d’éliminer plus efficacement les taches. Le type de souillure a également son importance, c’est pourquoi la restauratrice essaye toujours d’estimer leur origine : rouille, sueur, sang, encre, nourriture…

Pour laver le corset, l’équipe s’est contentée de retirer les baleines et les boutons en plomb que l’eau risquait d’altérer. Pour la jupe, ses neuf épaisseurs, cousues à la main il y a 76 ans, s’étaient presque toutes détachées. Chaque jupon a donc été plongé tour à tour dans un grand bain.

Une couleur proche de l’originale

« C’était de loin le moment le plus effrayant de tout ce processus, car il est difficile de prévoir l’effet que l’eau aura sur le tissu, avoue Kim Verkens. Nous ne pouvions qu’attendre et manipuler les tissus de temps à autre. Naturellement, la robe ne peut pas retrouver tout son éclat d’antan, mais la couleur que nous avons obtenue se rapproche étroitement de la teinte d’origine. »

« Sur les dessins de Dior, la couleur paraît plus vibrante, mais il faut garder à l’esprit qu’ils ont été réalisés au crayon, nuance Bas Verwaetermeulen. C’est impressionnant de constater qu’aujourd’hui encore, on peut clairement distinguer toutes les nuances de cette jupe. Un jeu de couleurs qui lui a valu son nom : Flamant Rose. »

(Pas) pour l’éternité


Dans cette pièce, la lumière du soleil est obstruée par d’épais rideaux, et la température 
régulée grâce à un système 
climatique durable. Dans le domaine de la conservation et de la restauration, rien n’est laissé au hasard. « Les étoffes sont difficiles à conserver, justifie Kim Verkens. Nous ne disposons pratiquement plus d’aucun vêtement historique noir, car le colorant nécessaire à l’obtention de cette teinte a corrodé les tissus. Au XIXe siècle, les gens ont commencé à faire de nombreuses expériences avec des métaux comme le plomb et le mercure, qui, à long terme, détruisent les fibres. Et vendue au poids, la soie était souvent lestée de sels métalliques, nocifs pour la matière. »

La restauratrice ouvre avec précaution une élégante ombrelle. « Sur cette pièce, de larges pans de tissu ont disparu après avoir été teints à l’arsenic. Les tissus synthétiques modernes connaissent le même sort. Certains traitements corrodent le tissu. Le plastique devient collant. Le cuir végétalien est une bonne initiative, mais beaucoup d’interrogations entourent encore la manière dont il se conservera. Nous commettons les mêmes erreurs que par le 
passé. La soie lestée se conserve cent ans, les pièces actuelles, elles, ne tiendront sûrement pas plus de cinquante ans. Certains plastiques commencent déjà à se désagréger après cinq ans. Nous fabriquons aujourd’hui des tissus très bon marché, mais dont la durée de vie est 
limitée. Cette société du jetable complique la tâche des conservateurs et des restaurateurs. »

La haute couture au sèche-linge ? N’y songez même pas. Pourtant, une pièce comme celle-ci doit être séchée le plus rapidement possible. Par chance, la finesse des tissus a grandement facilité le processus : il a suffi de poser les diverses étoffes sur une table couverte d’un papier buvard. Pouvait ensuite commencer l’assemblage.

Une grand quantité de tissu

« Lorsque nous avons démonté la robe, nous avons tout marqué de points de bâti, explique Kim Verkens. Les longues pièces de tissu des jupons étaient plissées à certains endroits et plates à d’autres. Entre les plis, les attaches et les lignes de couture, c’est un grand puzzle que nous devions recomposer. »

Une fois les boutons et le nœud en place, notre conservatrice a pu commencer à travailler sur la jupe. « Le modèle en lui-même n’est pas complexe, mais il est composé d’une grande quantité de tissus, poursuit-elle. Tout a été replacé avec une simplicité surprenante, à même le buste de couture. L’installation n’était pas des plus confortables, mais il est impossible d’assembler une création de cette envergure à plat sur une table. »

‘Il est difficile de prévoir l’effet que l’eau aura sur le tissu.’

L’avantage du buste : il permet d’observer en continu la manière dont la robe tombe, comment le textile bouge et vit. Cinq jours de travail ont été nécessaires au réassemblage. La déchirure dans le dos a été intelligemment dissimulée en cousant un morceau de tissu à l’arrière. Finalement, le lifting a duré un mois entier.

Il ne reste plus qu’à tout remettre en place…

Les accessoires assortis

« Une bonne dose de patience est nécessaire pour accomplir ce type de travail, mais il n’en demeure pas moins fascinant, se réjouit Kim Verkens. Je suis amenée à restaurer une grande variété d’articles : des robes du XVIIIe siècle, de la haute couture Dior, un manteau de Dries Van Noten, une paire de bas de Bernhard Willhelm… Parfois, il me suffit de combler un petit trou avec un fil de soie très fin, d’autres fois, je dois recréer un panneau manquant. »

La restauratrice travaille toujours seule car la solitude lui procure une certaine tranquillité d’esprit. Mais elle regrette parfois de ne pouvoir dès lors partager ses moments de stress et de joie avec d’autres.

Exposée jusqu’en septembre

Au MoMu aujourd’hui, rares sont les visiteurs qui ne s’arrêtent pas à hauteur de ce « Flamant Rose » pour le photographier. « Nous avons demandé à la maison Dior elle-même de nous décrire la manière dont elle envisageait son exposition, explique Bas Verwaetermeulen. Notre souhait est de rester aussi fidèles que possible à la vision que le créateur avait en 1948.»

Grâce aux archives, nos experts découvrent quels bijoux et chapeaux accessoirisaient la silhouette lors du défilé. «Nous avons eu la chance de trouver en ligne une paire de chaussures Dior en soie noire des années 50 pour compléter la tenue, ajoute le régisseur. Sur le podium, le mannequin portait également un collier. Par chance, ma mère en possédait un similaire qu’elle ne mettait plus…»

L’objet restera désormais exposé sur ce buste car l’organdi se froisse très facilement. Si la pièce devait être remballée, elle risquerait de perdre ses belles formes. C’est pourquoi tout prêt s’effectuera sur buste. Elle voyagera vers le Musée d’Art de La Haye, en septembre, dans une caisse spécialement conçue à cet effet. D’ici là, elle reste visible au MoMu.

Plus d’infos : momu.be


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