Secrets d’éclat de bijoutiers, entre confessions romantiques et anecdotes qui font froid dans le dos
Si le silence est d’or, les murs des bijouteries belges ont bien des yeux et des oreilles. De la joaillerie de prestige à la boutique familiale, ces vendeurs de bonheur sont témoins d’histoires allant du romantique à l’insolite. Leurs anecdotes racontent le lien intime qui se noue entre les personnes et leurs bijoux.
Sous couvert d’anonymat, ou de manière tout à fait assumée, des bijoutiers venus des quatre coins du royaume nous ont partagé leurs secrets. Entre témoignages qui rendent foi en l’amour et confessions qui donnent envie de renier Cupidon, anecdotes pour le moins insolites et histoires paranormales, il s’en passe dans les bijouteries belges.
Complices malgré eux
«Quand on travaille dans l’univers des bijoux, on est toujours un peu complice malgré nous, parce que chaque pièce véhicule un message de la personne qui l’offre à celle qui la reçoit. Je n’ai pas toujours tous les détails, je fais juste office de messager entre eux, mais je me souviens d’une commande particulièrement romantique. Mon client avait demandé de joindre un message au bijou, «mon amour pour toi s’étend hors de la dimension du temps, où les soucis n’ont pas leur place». Je ne sais pas quelle était l’histoire derrière ces mots, mais j’avais trouvé la symbolique très belle. Un bijou n’est jamais juste un bijou, c’est un symbole: un Américain qui habitait en Californie m’a ainsi passé commande d’une bague de fiançailles, parce que sa compagne était née à Anvers, et il savait que ce serait important pour elle de porter un bijou réalisé dans sa ville d’origine.»
Joaillière anonyme, à Anvers.
«Une cliente m’a confié la transformation d’un bijou d’une grande valeur sentimentale. Il fallait le faire graver, mais mon graveur avait pris du retard et il m’a rendu la pièce terminée alors que j’avais déjà fermé boutique. Je l’ai donc mis dans mon sac… Sauf qu’on me l’a volé le soir même! J’ai décidé de ne rien dire à la cliente, parce que je savais qu’elle aurait le cœur brisé, et pour compenser l’aspect sentimental, j’ai dit une série d’intentions en fondant l’or qui allait servir à fabriquer le bijou de remplacement.»
Bijoutier anonyme, en Wallonie.
«Il arrive régulièrement qu’on reçoive des demandes de personnalisation, et que des clients nous amènent leur propre or afin de réduire le coût de confection de leur bijou. Sauf qu’un jour, quelqu’un nous a amené non pas un bijou existant mais bien des dents en or qu’il souhaitait faire fondre. Il a d’abord fallu séparer l’or du reste des matériaux, puis le faire fondre à une chaleur intense, avec des réactions chimiques inhabituelles et des odeurs «uniques». Techniquement, c’était très exigeant, mais le résultat final est un exemple parfait de la manière dont, en bijouterie, même l’histoire la plus improbable peut mener à quelque chose de très beau.»
Gille Peeters, joaillière à Anvers.
«La commande qui nous a le plus marquées? Un couple âgé qui est venu nous trouver après la pandémie de Covid, en nous disant qu’ils avaient eu très peur de mourir et que cela leur avait fait prendre conscience de la nécessité de penser à leur succession. Plusieurs mois durant, ils nous ont amené les bijoux et autres pierres disparates qu’ils retrouvaient chez eux, et ils nous ont demandé de les transformer en bagues, colliers et autres boucles d’oreilles. Une fois la mission réalisée, ils ont réparti ce trésor dans une série d’écrins gravés du nom de chacun de leurs enfants et petits-enfants, qu’ils ont ensuite stockés à la banque. Ainsi, le jour où ils plieront leur parapluie, chaque membre de la famille héritera d’un joyau neuf pensé spécialement pour lui ou elle.»
Mère & Fille, joaillières dans le Brabant flamand.
Des rencontres et des exigences parfois (très) insolites
«Quelqu’un nous a déjà demandé de réaliser un bijou à base des dents de lait de son époux et de ses enfants, serties sur un pendentif en forme de crucifix. Techniquement, c’était réalisable, donc on l’a fait, mais manipuler toutes ces dents n’a pas vraiment été une partie de plaisir…»
Joaillier anonyme, à Bruxelles.
«L’habit ne fait pas le moine, et c’est particulièrement vrai dans notre métier. Un jour, une femme qui ne payait vraiment pas de mine est venue en boutique. Ses vêtements étaient élimés, elle n’était pas coquette pour un sou… Et pourtant, il s’avère qu’elle a passé commande d’un grand nombre de très beaux bijoux, sertis de perles ou de pierres rares et assez onéreuses. Des pièces d’exception prévues pour être portées la nuit uniquement, car elle se parait de ses plus beaux bijoux pour aller dormir.»
Bijoutière anonyme, à Liège.
«Un jour, j’ai reçu un mail très sérieux de la part d’un monsieur qui avait une demande un peu spéciale: il voulait que je lui crée un Prince Albert sur mesure. J’ai dû relire son mail deux fois pour m’assurer que j’avais bien compris ce qu’il voulait, et même si j’ai apprécié sa démarche, j’ai dû poliment lui répondre que sa commande sortait du cadre de mes services.»
Anne Wauters, orfèvre à Berlare.
«Quand on crée des bijoux, on reçoit parfois des commandes un peu improbables. On m’a ainsi déjà confié la réalisation d’un pendentif renfermant les cendres d’un chien dans un morceau du bois du cerf qui l’avait tué. J’ai déjà aussi réalisé une version en or d’un collier style «collier de chien» avec une longue chaîne descendant dans le dos, sur la base d’un modèle repéré par le client dans un magazine SM. Le plus adorable? Un monsieur dont l’épouse est fan de U2, qui l’a emmenée en Californie pour voir le Joshua tree qui a donné son nom à leur album, et qui a prélevé un morceau d’écorce, qu’il m’a ensuite demandé de transformer en pendentif.»
Christine Alexandre, bijoutière à Liège.
Trucs en toc
«Certaines histoires vous marquent à vie. Je n’oublierai jamais cette cliente venue suite au décès de son mari. Il gagnait très bien sa vie et avait toujours pris soin d’elle, en s’assurant qu’elle ne doive pas travailler et en la couvrant de «belles pièces». Malheureusement, à la lecture du testament, il s’était avéré qu’il n’avait presque rien mis de côté, et elle voulait donc se séparer de ses parures à regret pour assurer sa fin de vie. Problème, les colliers de perles et autres bagues et broches serties de rubis et d’émeraudes étaient tous en toc. Elle avait amené des décennies de cadeaux scintillants en boutique, et mis ensemble, son « trésor » ne valait pas plus que quelques centaines d’euros. Son visage au moment où j’ai dû lui annoncer la terrible nouvelle est gravé en moi à jamais.»
Anonyme, spécialiste des bijoux anciens.
«Un monsieur très sympathique est venu acheter une bague de fiançailles chez nous. Malheureusement, la personne à qui il la destinait a refusé sa demande, mais cela n’a visiblement pas entamé sa foi en l’amour. Au cours des années suivantes, il est venu à plusieurs reprises acheter d’autres bagues de fiançailles, toujours sans succès. Jusqu’au jour où il a débarqué en boutique avec sa fiancée en s’exclamant, tout content, «il y en a enfin une qui a dit oui»! On était tous mortifiés, parce que la pauvre femme qui avait accepté de l’épouser ne savait probablement pas qu’il y en avait eu une quinzaine avant elle.»
Joaillier anonyme, en région liégeoise.
Pour un infidèle
«Souvent, ces messieurs achètent deux cadeaux pour la Saint-Valentin, et ils optent deux fois pour le même bijou: c’est plus simple pour eux, comme ça, ils n’ont aucun risque de se tromper. Ils comptent sur notre silence, et en ce qui me concerne, j’ai appris à mes dépens à ne jamais faire la moindre allusion. Il m’est en effet déjà arrivé de demander à une cliente fidèle si elle avait aimé la bague que son mari était venu acheter. A son silence perplexe, j’ai compris que ce n’était pas à elle qu’il l’avait offerte… C’était horrible, et je n’ai plus jamais fait cette erreur depuis! Une autre cliente avait vu dans les relevés de compte de son mari qu’il avait acheté un bijou chez nous, et elle a fait des pieds et des mains pour qu’on lui dise de quoi il s’agissait, parce qu’il ne lui était pas destiné, mais on a toujours refusé. Notre métier consiste à garder beaucoup de secrets, tant et si bien qu’après des décennies à l’exercer, j’ai tendance à garder le silence aussi dans ma vie privée. On me reproche parfois de ne pas parler beaucoup en société, mais c’est une déformation professionnelle.»
Propriétaire anonyme d’une bijouterie transmise depuis plusieurs générations.
«On compte plusieurs hommes politiques dans notre clientèle, parmi lesquels un ancien ministre assez controversé, et une figure de proue de la gauche. Chaque année, au moment de la Saint-Valentin, ils viennent tous les deux faire des emplettes similaires: un cadeau pour leur épouse, et un autre pour leur maîtresse. Je ne sais pas si ça rend l’histoire pire, ou bien si ça adoucit la trahison, mais au moins, ils dépensent des montants similaires pour chacune d’elles…»
Joaillier anonyme en périphérie de Bruxelles.
«Un client est venu une fois acheter un bijou pour sa femme et sa maîtresse. Seule différence? Celui destiné à sa maîtresse était en or, et celui pour sa femme, en argent. Le pire? Il leur offrait à chacune le même parfum, histoire d’être certain de ne jamais se faire pincer parce que ses vêtements sentaient le parfum d’une autre!»
Fanny Willem, bijoutière à Liège.
«Il ne faut pas croire: il n’y a pas que ces messieurs qui sont infidèles! On voit régulièrement des clientes qui viennent acheter une montre pour leur mari, et une autre pour leur amant. On en viendrait parfois à croire qu’il n’y a que les hommes qui vont voir ailleurs, mais nous sommes bien placés pour savoir que les femmes trompent aussi leurs conjoints. Quand elles viennent en boutique, on fait l’air de rien: qui sommes-nous pour les juger?»
Joaillier anonyme, à Knokke.
L’amour toujours
«Pour s’assurer que la bague avec laquelle ils feront leur demande plaira, certains clients redoublent d’ingéniosité. Un homme est ainsi d’abord venu seul en repérage en boutique, avant de revenir «par hasard» avec sa femme par la suite. Au préalable, il m’avait prévenue et demandé de faire comme si je ne l’avais jamais vu, mais d’orienter tout de même sa compagne vers certains modèles, pour s’assurer que celui qu’il avait choisi lui plaisait vraiment.»
Enora Antoine, bijoutière à Bruxelles.
«Un jour, un client est venu avec un véritable trésor pour demander la main de la femme de sa vie. Enfant, il avait en effet trouvé un collier en or orné d’un diamant d’un carat dans le sable, à la mer du Nord. En brave petit garçon, il avait signalé sa trouvaille à la police, et il a dû attendre plusieurs années avant qu’on lui confirme que personne n’était venu réclamer le bijou et que le trésor qu’il avait trouvé sur la plage lui revenait donc légalement. Il m’a amené le collier, et j’ai monté le diamant sur une bague avec laquelle il a fait sa demande. L’histoire a même un double happy end puisque sa compagne a dit oui!»
Fanny Willem.
«Un couple est venu chez nous chacun de son côté, ignorant totalement que leur moitié nous avait aussi rendu visite. Madame voulait acheter une montre pour demander son compagnon en mariage, et Monsieur voulait acheter une bague pour la même raison. Evidemment, ce n’était pas à nous d’éventer leur secret, mais le hasard a fait qu’ils se sont rendu compte qu’ils avaient eu la même idée. Cela ne les a pas empêchés de «jouer le jeu» et de faire chacun sa demande à l’autre avec le bijou qu’ils avaient prévu pour l’autre.»
Propriétaire anonyme de l’une des maisons de joaillerie les plus renommées du pays.
«En règle générale, les hommes qui viennent pour une demande en mariage sont très touchants. J’en ai déjà eu un qui m’a demandé de sertir un pin’s de la bière Orval, acheté lors d’un rendez-vous à l’abbaye. Un autre qui voulait transformer une pierre ramassée sur la plage en bague de fiançailles, ou encore un client qui travaille dans le bâtiment, et qui avait façonné la bague qu’il avait en tête avec du fil électrique. Malheureusement, tous ne sont pas aussi romantiques. Un jour, un monsieur qui commandait plusieurs bijoux m’a lâché «bon, alors celle-là, elle aime plutôt l’argent, tu me conseilles quoi?» J’étais vraiment mal à l’aise…»
Lara Malherbe, bijoutière à Liège.
«Incroyable mais vrai: tous les hommes qui m’ont commandé une bague de fiançailles l’ont cachée au même endroit, près de la roue de secours de leur voiture. Alors de grâce, Mesdames, au nom de l’amour: si jamais vous avez un jour un pneu crevé, appelez l’assistance routière et ne regardez pas dans le coffre vous-mêmes, on ne sait jamais!»
Lynn Geerinck, bijoutière à Gand.
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