Botter, le duo mode qui sauve les coraux

Le duo Botter, Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh © IORGIS MATYASSY

Le duo mode Botter, formé par Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, crée une pouponnière à coraux au large de Curaçao.

Pour les deux fondateurs de la marque Botter, Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, c’est une année riche en bouleversements: la naissance de leur fille Scully, la fin de leur collaboration avec la maison française Nina Ricci – dont ils assuraient la direction artistique depuis trois ans –, leur déménagement de Paris à Amsterdam et, au mois de juillet, une nouvelle consécration avec le Grand Prix de l’Andam, la seule «grande» distinction du secteur qui manquait encore à leur palmarès.

Une récompense de 300 000 euros et d’une année de mentorat assuré par Bruno Pavlovsky, président des activités de mode de Chanel. «C’est un concours auquel nous rêvions de participer depuis longtemps, mais nous avons attendu de nous sentir prêts, explique Lisi. Il nous semblait important d’arriver à un point où notre souci de l’environnement se traduirait par des actions concrètes en faveur de la nature plutôt que par des discours. Le processus a été long et nous voulions attendre qu’il ait complètement abouti, car c’était notre dernier concours.»

« Nous voulons aller au-delà de la création de vêtements: nous sommes convaincus que cela doit se doubler d’une vision d’avenir. »

Lisi Herrebrugh

En 2018, le duo Botter avait déjà décroché le Grand Prix du Festival d’Hyères pour Fish or Fight, la collection de fin d’études de Rushemy. Des nominations pour le prix LVMH et le prix Woolmark ont suivi dans la foulée. D’ici quelques semaines, après le défilé du 26 septembre 2022, lors de la Fashion Week de Paris, le couple revient s’installer à Anvers.

« Notre label a vu le jour à Anvers. Pour moi, c’est comme rentrer chez moi. Je trouve dans cette ville un calme qui me manque à Paris. J’ai toujours beaucoup apprécié la fréquence des collaborations entre personnes issues de secteurs différents. » Leur retour sur les bords de l’Escaut est toutefois aussi motivé par un autre projet… «mais il est encore trop tôt pour en dire davantage», soufflent-ils.

© SDP

Ils ont grandi aux Pays-Bas – lui à Vinkeveen, dans la banlieue d’Amsterdam, elle dans le village voisin de Mijdrecht –, ils sont aussi tout deux des insulaires dans l’âme: Rushemy est né à Curaçao, Lisi a ses racines maternelles en République dominicaine. Comme leurs villages néerlandais, leurs îles se font face de part et d’autre de la mer des Caraïbes, séparées par quelques centaines de miles marins.

«Nous sommes d’accord sur de nombreux sujets, observe Rushemy en riant. Les insulaires sont un peu une espèce à part.» L’océan joue d’ailleurs un rôle important dans l’univers du tandem… Un dauphin (en plastique) était déjà présent au défilé de fin d’étude de Rushemy.

Le défilé de Botter à Hyères 2018
En couronnant Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, le jury mode adoube un duo emballant qui pense des vêtements Homme placés sous le signe de l’héritage, de la joie, de l’imagination, de l’engagement green. © Catwalk Pictures

Full colors

Les couleurs du duo – dont son Botter Blue fétiche – semblent parfois sorties d’un aquarium tropical et sa dernière campagne met en scène le premier plongeur olympique jamaïcain, Yona Knight-Wisdom. Les modèles du couple s’inspirent, eux, de combinaisons de surf, gilets de sauvetage et autres lunettes de plongée et un matériau à base d’algues est entre autres utilisé. Le lien entre le style de Botter et les origines lointaines de Lisi et Rushemy est donc évident…

Vous décrivez votre mode comme une forme d’arte povera ou de couture caribéenne, une interprétation personnelle de la manière dont les hommes des Caraïbes vivent et s’habillent…

Lisi Herrebrugh: Vous savez, quand on n’a pas grand-chose mais qu’on veut soigner son apparence, on apprend à être créatif, à jouer avec les vêtements qu’on a ou à les utiliser d’une manière inattendue. Il y a des années, nous avons croisé un jour un jeune garçon qui utilisait un pantalon pour protéger ses bras du soleil… et au fond, pourquoi un vêtement qui a deux trous ne pourrait-il pas faire office de pull? Parfois, il faut oser lâcher ses références familières.

Rushemy Botter: Exactement, et je pense que ce n’est possible que quand on n’est pas privilégié. Prenez l’exemple du parapluie: alors qu’ici, il ne sert qu’à nous protéger des gouttes, les insulaires n’hésitent pas à l’utiliser à d’autres fins. Le manque de ressources force à être inventif et à réfléchir autrement, presque comme un enfant. Pour moi, c’est une belle approche créative (NDLR: cet émerveillement enfantin a donné naissance à des blousons réalisés dans le Nylon recyclé des parapluies Piganiol, à des casquettes hérissées d’attache-étiquettes, à des polos surdimensionnés en rebuts textile ou encore à des perles en plastique repêché dans les océans).

« Le manque de ressources force à être inventif et à réfléchir autrement, presque comme un enfant. »

Rushemy Botter

Parlez-nous de votre projet de pouponnière de coraux, lancé il y a deux ans, au large des côtes de Curaçao…

R.B.: En un mot, en collaboration avec un spécialiste local, nous y retapons de jeunes coraux. Des fragments encore sains sont prélevés sur des coraux malades et fixés, sous l’eau, à une structure en forme d’arbre jusqu’au moment où ils sont rétablis et reprennent leur croissance. Dès qu’ils sont suffisamment grands, ils sont replacés dans leur environnement d’origine.

L.H.: Le corail est hyper important pour l’île et pour ses habitants en tant que barrière contre les tempêtes et tsunamis, mais aussi parce qu’il contribue à préserver la biodiversité. Si le corail dépérit, les poissons aussi. C’est leur chez-eux.

En octobre, vous vous envolerez pour Curaçao pour faire le point et rencontrer le ministre compétent…

R.B.: Le gouvernement envisage de soutenir le projet et de nous apporter une aide. Nous allons donc travailler en collaboration avec l’île. C’est un beau pas en avant… Et le projet ne s’arrête pas à la pouponnière, nous allons faire beaucoup de belles choses.

Quel est le lien entre le corail et la mode?

R.B.: La mode est un reflet de notre époque. Qui veut conserver sa pertinence ne peut plus se limiter à confectionner des vêtements: quand on voit ce qui se passe dans le monde, on ne peut pas juste mettre en avant ce qu’on produit. Nous devons essayer de changer le monde en mieux. Cela peut sembler très idéologique, mais c’est notre conviction. Quand on sort un produit, il faut le faire en partenariat avec la nature.

L.H.: Nous avons toujours voulu rendre quelque chose au monde. Pour nous, Botter est une sorte de journal intime où déverser toutes nos idées, tous nos soucis. Nous devons avoir l’occasion de nous exprimer. Notre label a toujours été une sorte de caisse de résonance pour nos pensées, qui a peu à peu pris forme au fil des années. Dès le début, nous avons utilisé des deadstocks et fait du surcyclage, mais avec l’envie d’aller beaucoup plus loin.

Vous avez plus d’impact désormais?

R.B.: Nous sommes devenus plus adultes, plus nuancés, mais nous avons aussi plus d’impact. Aujourd’hui, nous pouvons faire la différence, nous faisons moins de bruit et agissons davantage. Nous avons trouvé le bon équilibre. L’expérience de la pouponnière de corail nous a fait prendre conscience que nous ne voulons plus de collaborations comme on en voit passer en permanence dans le monde de la mode: sortir un nouveau produit en y collant deux logos, ça ne nous intéresse pas. Nous sommes en quête de fond, de contenu. Nous préférons de loin collaborer avec des ingénieurs, avec des biochercheurs, avec l’université de technologie de Delft – avec des gens issus d’autres secteurs que la mode.

© SDP

L.H.: Nous aimerions développer de nouveaux matériaux. En 2013, j’ai commencé à faire des expériences avec une matière autocroissante à base de moisissures. Il n’était pas encore possible de l’utiliser dans des collections à l’époque, mais nous avons beaucoup avancé depuis. Il existe aujourd’hui des tissus à base d’algues, de champignons, de moisissures – des matières qui ont bien moins d’impact sur le sol que du coton, par exemple. C’est dans cette direction que nous voudrions évoluer avec Botter.

R.B.: Nous voulons aussi nous éloigner de l’idée que les nouveaux matériaux «doivent» ressembler au cuir. Pourquoi ne pas créer un produit qui puisse remplacer le cuir sans forcément en émuler l’apparence, une matière qui ne cherche pas à faire référence à autre chose?

Vous avez récemment collaboré avec le Global Cleanup Network et Parley for the Oceans, une organisation qui cherche des solutions pour les déchets plastiques provenant de nos océans.

L.H.: Nous avons déjà un peu changé de cap depuis. Nous continuons à utiliser des plastiques marins recyclés dans notre collection, mais nous voudrions plutôt mettre l’accent sur des matières qui puissent aussi être vraiment dégradées.

R.B.: Quand on se lance et qu’on tombe sur une organisation comme Parley, on se dit «super». Et puis on découvre qu’il existe une foule d’autres initiatives, qu’on peut soi-même développer des tissus, être encore plus durable.

« Pourquoi ne pas créer une matière qui ne cherche pas à faire référence à autre chose? »

Dans le grand bain

Depuis qu’ils ne travaillent plus pour Nina Ricci, les deux créateurs ont évidemment plus de temps pour la recherche et pour leur propre label. En 2019, le fait que ces deux jeunes diplômés se voient confier la direction créative de la maison française avait fait grand bruit ; au moment de leur premier défilé pour Nina Ricci, Botter n’avait même pas encore été lancé à Paris. En dépit de réactions extrêmement positives, il s’est rapidement avéré que le label n’était pas une priorité pour son propriétaire, le géant du parfum Puig, qui possède aussi dans son portefeuille des marques comme Dries Van Noten, Gaultier et Paco Rabanne. A l’heure de mettre sous presse, Lisi et Rushemy n’étaient toujours pas remplacés et la boutique-phare historique avait cédé la place à une enseigne Paco Rabanne.

Que retenez-vous de cette tranche de vie chez Nina Ricci?

L.H.: Pour nous, ces trois années ont été riches d’enseignements. A peine sortis de l’école, nous avons été propulsés dans l’industrie. Nous avons dû faire des choix – poursuivre ceci, abandonner cela. Je pense que cette expérience nous a permis d’atteindre plus rapidement notre but. Nous sommes reconnaissants qu’on nous ait offert cette opportunité.

R.B.: Nous avons été immédiatement jetés dans le grand bain. On termine ses études et on se dit qu’on va pouvoir exercer son métier, dessiner, créer… mais en réalité, cela ne représente que trois pour cent du boulot, il y a surtout beaucoup de management. C’est un aspect que nous avons dû apprendre et qui nous a aidés pour Botter.

Comment vous partagez-vous le travail?

L.H.: Cela se fait très spontanément.

R.B.: J’aime surtout raconter des histoires, créer des formes. L’aspect technique aussi m’intéresse, mais je pense que c’est plutôt ton point fort et ce qui t’intéresse le plus, Lisi. C’est aussi toi qui fais les dessins en 3D.

L.H.:Oh, mais toi aussi tu es très précis dans tes dessins.

botter à la mer
L’automne hiver 22 de Botter © imaxtree

Quels sont actuellement les plus grands défis à relever?

R.B.: Pour moi, l’aspect durable que nous nous efforçons de développer.

L.H.: Il y en a plusieurs. Bien plus qu’un label de mode, Botter est pour nous une véritable plate-forme. Nous voulons aller au-delà de la création de vêtements: nous sommes convaincus que cette activité doit se doubler d’une vision d’avenir.

R.B.: Cela reste difficile, mais quand on est libre, on peut faire de belles propositions, on peut surprendre. Cette liberté que nous avons ici, c’est le plus important.

Non à la guerre

Au cours de la Fashion Week, en mars dernier, Botter a été, trois jours à peine après l’invasion russe, le premier label à exprimer son soutien à l’Ukraine par des looks en jaune et bleu et une veste arborant discrètement la mention «no war» en perles. «Notre studio est un laboratoire, explique Rushemy. Avant un défilé, nous pouvons modifier jusqu’au dernier moment. La situation en Ukraine nous a beaucoup touchés et il était impensable pour nous de ne pas en parler… Mais même si nous n’avons pas peur des mots, nous nous sommes tout de même demandé si c’était prudent. On nous l’a déconseillé, mais nous avons choisi de prendre le risque pour rester fidèles à nous-mêmes.»

En Bref

Lisi Herrebrugh est née en 1990 et a obtenu son diplôme en 2014 à l’Amsterdam Institute of Fashion.

Rushemy Botter, lui, est né en 1986 et a décroché le sien en 2017 à la section mode de l’Académie d’Anvers.

Lancé en 2018, leur label, Botter, a décroché la même année le premier prix du festival d’Hyères.

Entre 2019 et 2022, ils ont assuré ensemble la direction créative de Nina Ricci à Paris.

En 2020, ils ont ouvert une pouponnière à coraux à Curaçao.

Cette année, ils ont reçu le Grand Prix de l’Andam. Ils s’apprêtent à redéménager à Anvers.

© SDP

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