Chanel, un siècle de créations

Le patrimoine est une fabrique d’identité très puissante pour les grandes maisons. C’est pourquoi elles y accordent, plus que jamais, de l’importance. Exemple avec la maison Chanel, par Hélène Fulgence, directrice du Patrimoine à la rue Cambon.

Comment s’est constituée la mémoire au sein de la maison?

Gabrielle Chanel, comme tous les créateurs qui sont tournés vers l’avenir, n’avait pas de goût pour la conservation, elle ne gardait pas ses oeuvres. Deux mois après sa disparition en 1971, Marie-Louise de Clermont Tonnerre est arrivée chez Chanel, à la direction de la communication. Elle avait été sensibilisée par une conservatrice du Musée de la mode à la nécessité de préserver le patrimoine. Elle a donc commencé à acquérir les pièces de l’époque de Gabrielle Chanel, une démarche qui n’a jamais cessé puisque, aujourd’hui, c’est encore ma mission et celle de mes collaborateurs. Et puis il y a une deuxième époque, avec l’arrivée de monsieur Lagerfeld. En janvier 1983, dès sa première collection haute couture, elle a eu l’intuition de réserver les pièces phares de chaque défilé, et cela aussi n’a jamais cessé. Nous avons environ 6.000 looks depuis 1916 – la pièce numéro un étant une marinière en jersey de soie ivoire très belle, créée à Deauville dans la première boutique de Gabrielle Chanel. A ces deux collections s’est ajoutée une entité patrimoine Parfums Beauté: à l’époque, on a commencé à conserver tous les packs qui sortaient en maquillage et en parfum. Enfin, il y a également une collection d’oeuvres réalisées par des artistes proches de Gabrielle Chanel dont on a d’abord trouvé les traces dans l’appartement de la rue Cambon et que nous continuons depuis à retrouver en maisons de vente. Et plus récemment, nous avons adopté une nouvelle stratégie patrimoniale car au cours des trente dernières années, la maison a inspiré beaucoup d’artistes, nous avons donc commencé à constituer une collection de ces créations référencées.

Des soldats américains devant le 31 rue Cambon pour acheter le parfum Chanel n°5, en 1945.
Des soldats américains devant le 31 rue Cambon pour acheter le parfum Chanel n°5, en 1945.© PHOTO SERGE LIDO
Gabrielle Chanel dans sa suite du Ritz, à Paris, en 1937.
Gabrielle Chanel dans sa suite du Ritz, à Paris, en 1937.© MINISTÈRE DE LA CULTURE MÉDIATHÈQUE DU PATRIMOINE, DIST. RMN-GRAND PALAIS /FRANÇOIS KOLLAR
En 1939, un portrait de Gabrielle Chanel agenouillée devant un mannequin portant une longue robe de la griffe.
En 1939, un portrait de Gabrielle Chanel agenouillée devant un mannequin portant une longue robe de la griffe.© HOYNINGEN-HUENE RJHORST

Ces archives sont-elles une source d’inspiration concrète?

Mademoiselle Chanel vue par Doisneau en 1954.
Mademoiselle Chanel vue par Doisneau en 1954.© R. DOISNEAU / RAPHO

Les équipes peuvent venir visiter le patrimoine et y revenir tant qu’elles le veulent, il ne se passe pas une semaine sans qu’il n’y ait des rendez-vous avec les collaborateurs de la maison. Ils peuvent travailler sur ces archives et embrasser un siècle de création, en y trouvant les paradoxes propres au style Chanel, ce contraste de baroque et de minimalisme, d’opulence et de fraîcheur très inspirant. Et c’est unique chez Chanel, cette capacité à faire dialoguer nos trois collections, mode, parfum beauté maquillage, horlogerie et joaillerie. Nous organisons d’ailleurs à Pantin des expositions temporaires afin de montrer les ponts qui peuvent exister entre par exemple le vêtement, un bijou et le packaging d’un flacon de parfum, c’est extrêmement riche.

Je pense que le besoin de mémoire est inhérent aux activités de création

C’est passionnant pour le public comme pour les collaborateurs de la maison de savoir que Gabrielle Chanel s’est approprié le vestiaire masculin, le pantalon à pont ou la marinière à un moment où les femmes portaient encore des corsets. C’est important également de faire appel aux racines et à la profondeur historique dans un monde qui va vite, avec un ancrage dans une tradition esthétique surtout comme quand chez Chanel elle est ouverte, créative, innovante. Et n’oublions pas les ateliers : plusieurs générations de mains se sont transmises à travers les coupes et le style. La transmission est peut-être aussi l’une des définitions du luxe, chez Chanel, nous travaillons sur une profondeur historique. On ne crée jamais ex nihilo, toute activité de création fait travailler la mémoire.

Vers 1935, encore un portrait de Gabrielle Chanel.
Vers 1935, encore un portrait de Gabrielle Chanel.© ALL RIGHTS RESERVED
Gabrielle Chanel, en 1939.
Gabrielle Chanel, en 1939.© PHOTO HOYNINGEN-HUENE
A Biarritz, en 1928, Mademoiselle Chanel vêtue d'un ensemble en jersey.
A Biarritz, en 1928, Mademoiselle Chanel vêtue d’un ensemble en jersey.© TOPFOTO / ROGER-VIOLLET

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