Christian Lacroix, couturier: « Je ne me fais pas d’illusions sur la manière dont on se souviendra de moi »

Christian Lacroix © SCAD Lacoste
Kathleen Wuyard

Le créateur s’expose au SCAD Lacoste, dans le Lubéron. Ses tenues pour la Comédie-Française sont à l’honneur dans une expo qui en filigrane dresse le portrait de celui qui travaillé chez Hermès et Jean Patou, entre autres, avant d’imaginer ses premiers costumes de théâtre en 1984. Même après avoir fondé sa maison de couture en 1987 et l’avoir quittée en 2009, il a continué à officier pour des institutions telles que l’Opéra Garnier, le Metropolitan Opera et La Monnaie, à Bruxelles.

Rêve d’enfant

La mode et la couture n’ont jamais été mon idéal de vie. Mon rêve d’enfant était de réaliser des costumes et des décors de théâtre, et ma rupture en 2009 avec la maison qui porte toujours mon nom m’a permis de m’y consacrer pleinement. A l’origine, le SCAD aurait aimé exposer ma haute couture, ce qui était impossible, puisque je n’ai plus accès aux archives Christian Lacroix. Donc j’ai proposé une exposition de mes costumes de théâtre, correspondant tout autant que la mode à l’enseignement de Savannah et Atlanta.

Oublier la réalité

L’art est ma façon de m’évader, de vivre, de me nourrir. J’aime toutes les formes de spectacle. Enfant, il me semblait que la vraie vie ne commençait que lorsque j’étais au théâtre avec un rideau rouge qui s’ouvrait aux trois coups. Ou lorsque la salle d’un cinéma devenait sombre et qu’apparaissaient les défauts de la pellicule avant le générique. Entre chaque dimanche, j’avais l’impression d’être dans un couloir souterrain rempli d’ennui, et je dessinais et redessinais ce que j’avais vu, ou les illustrations des livres qui me permettaient d’attendre un autre spectacle, une autre occasion de me transporter ailleurs… Même si ma vie d’enfant unique dans une famille adorable, pleine de personnalité et une ville superbe comme Arles était privilégiée. Il me fallait quelque chose qui me fasse oublier la réalité banale, quelque chose de plus grand que la vie, avec des couleurs, des costumes, des lumières, des voix, des décors et de la musique.

« Il s’agit de donner du plaisir, rendre le quotidien un peu plus étonnant, léger, surprenant« 

Ecouter ses tripes

Il faut croire en son étoile. Si je pouvais m’entretenir avec l’ado que j’étais, j’espère qu’il serait heureux et reconnaissant de voir ses rêves les plus fous réalisés. Je lui conseillerais par contre de ne pas trop être indolent en route, d’avoir davantage confiance en lui, d’écouter ses tripes avant tout et, quitte à passer pour un vieillard, de ne pas perdre de temps car il passe vite, il faut essayer de tout prendre à bras-le-corps avec à la fois ambition et adresse.

Donner du plaisir

La valeur personnelle compte bien plus que l’argent. C’est un conseil que m’a donné mon père. Je l’applique toujours aujourd’hui, comme celui de mon proviseur de lycée, Mr. Condéry, qui nous enjoignait à ne pas nous acharner sur une seule matière mais bien à passer de l’une à l’autre avec légèreté. C’est ce que je fais au quotidien: costumier, couturier, designer, tout ça est la même chose pour moi. Il s’agit de donner du plaisir, rendre le quotidien un peu plus étonnant, léger, surprenant.

Echapper aux diktats

La mode, quand elle est innovante et personnelle, est aussi défensive qu’offensive. Elle est une façon de s’affirmer d’un côté, et d’échapper aux diktats de la norme de l’autre. Il me semble que désormais, l’habit fait le moine, que les gens ne s’embarrassent plus forcément de faux-semblants, ou alors de manière si transparente qu’on peut facilement percer à jour leurs prétentions. Je n’ai pour ma part jamais su si «mode» signifiait «être habillé comme les autres» ou «être habillé de manière personnelle».

Le pire des dangers

Les réseaux sociaux sont un piège. C’est fou comme ce qui aurait pu être génial se révèle être le pire des dangers pour la culture et la civilisation. Les influenceurs sont pour moi une plaie aussi grave que les complotistes, qui contribuent à décérébrer les générations à la Big Brother et 1984. Aujourd’hui, la créativité se trouve dans l’associatif, l’alternatif, l’indépendance. Les grands groupes et leur combat de Titans ont tué la mode, qui se résume désormais à des sacs et des sneakers.

Examiner les détails

Lors d’une exposition, il faut accepter l’immobilité. Cela vaut pour la mode comme pour le théâtre: on doit s’accommoder du manque de mouvement, de respiration, de gestuelle. Mais tout l’intérêt de telles expositions est justement de pouvoir examiner de près les détails de ces costumes statiques, toujours trop loin sur scène pour qu’on puisse en détailler broderies, matières et motifs.

La poésie de mes créations

La mémoire est de plus en plus courte et sélective. Je ne me fais pas d’illusions sur la manière dont on se souviendra de moi. Je pourrais craindre que l’on continue à me coller dans le dos l’étiquette du couturier torero fou de couleur et de baroque… Mais j’ai l’impression de voir déjà ce que l’on dira à travers les commentaires sur Instagram, et ils me font plaisir, parce qu’ils évoquent plutôt l’émotion, le raffinement, l’indépendance et la poésie de mes créations.

Expo au Savannah College of Art and Design, à Lacoste, Jusqu’au 1er novembre. scadfash.org

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