Christian Louboutin: Un soulier nommé désir

Ses semelles rouges hypnotisent. Font naître l’envie. Et participent à la construction du mythe Louboutin. En moins de vingt ans, le chausseur parisien a imposé sa marque de fabrique dans le monde des talons aiguilles. Rencontre.

Ses semelles rouges hypnotisent. Font naître l’envie. Et participent à la construction du mythe Louboutin. En moins de vingt ans, le chausseur parisien a imposé sa marque de fabrique dans le monde des talons aiguilles. Rencontre.

Par Catherine Pleeck


Quand il parle de son accessoire fétiche, Christian Louboutin ne dit pas chaussure, escarpin, sandale ou ballerine. Il dit soulier, tout simplement. « C’est le terme juste », estime-t-il, en croisant les pieds, chaussés de bottes en galuchat achetées il y une vingtaine d’années à Dallas – les seules qui résistent à ses déplacements en Vespa. « Quand il s’agit de quelque chose de féminin et délicat, reprend-il, cela s’appelle un soulier, selon moi. Mon éducation me dicte cette nuance. »


Délicats, les souliers de Christian Louboutin le sont, sans aucun doute. Mais ils sont surtout devenus mythiques. Reconnaissables entre mille, grâce à leur semelle rouge, lancée par hasard. Le créateur cherchait à alléger la masse noire de la semelle. Ses yeux se portent sur une assistante, occupée à se faire les ongles. Le voilà qui attrape son vernis, en enduit le dos de son modèle. Un révélateur, pour celui qui, à 12 ans, ne rêvait que d’une chose : dessiner des chaussures. Une obsession née lors de la visite du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie. Son regard s’arrête alors sur le dessin d’un escarpin barré de rouge. Une nouveauté pour lui, dans cette France des années 70 inondée de talons plats. L’image ne le quittera plus.
Il la retrouve quelques années plus tard, lorsqu’il s’initie à la vie nocturne parisienne. Les décors de son adolescence auront pour noms la célèbre boîte de nuit Le Palace ou la scène des Folies Bergère. « J’ai été éduqué visuellement par les danseuses, confie-t-il. Quand on regarde une fille descendre l’escalier d’un music-hall, on ne voit qu’une jambe interminable, qui va de la hanche au décolleté du soulier. C’est pour cela que je l’aime profond, parce qu’il allonge la silhouette. »


Le Parisien, qui a grandi dans le quartier populaire du XIIe arrondissement, fera ses armes chez Charles Jourdan, à l’époque fournisseur de la maison Christian Dior. Il enchaîne ensuite les passages dans quelques maisons prestigieuses, comme Maud Frison, Chanel et Yves Saint Laurent – « j’étais du genre exalté et excité, cela agaçait mes collègues » -, avant de faire une pause, à la fin des années 80, dans le domaine du paysagisme. « J’ai toujours adoré les jardins. Plus que la nature, j’aime la main de l’homme, l’empreinte qu’elle y laisse. Le paysagisme demande du temps et de la patience. C’est davantage un métier de contemplation que d’action. Je me laisse la possibilité d’y revenir, un jour. »


En attendant et depuis 1992 – date à laquelle il fonde sa maison avec deux amis associés -, le succès a toujours été au rendez-vous. Les stars se pressent au portillon : Nicole Kidman, Madonna, Caroline de Monaco, Sofia Coppola… Dans son atelier, ouvert il y a quelques années seulement, pendent ainsi plusieurs formes en bois, répliques exactes des pieds de Dita Von Teese, Mika, Janet Jackson ou Arielle Dombasle, fan de la première heure du chausseur. Par ailleurs, dix ouvertures de boutique sont prévues en 2010, signe que la crise a épargné Christian Louboutin.


On dit que vos escarpins sont dotés de pouvoirs magiques…
Ils ont en tout cas la capacité de modifier l’allure, de déplacer le centre de gravité. Quand un escarpin est vraiment haut, il fait basculer le corps vers l’avant, fait ressortir la poitrine et fait remonter les fesses. Le corps féminin se redessine, tout en courbes. En ce sens, c’est aussi un objet de séduction. Ce n’est pas juste une question de hauteur. La cambrure importe fortement, c’est elle qui peut allonger visuellement une jambe. Jusqu’à 11 centimètres, c’est une histoire de désir. Plus haut, cela touche à l’équilibre.


D’après une enquête menée par le magazine français Vogue, vous êtes la marque de chaussures préférée des Français. Flatté ?

Étant Français, cela fait toujours plaisir, même si nul n’est prophète en son pays. Je suis plus plébiscité en Amérique. Notamment parce que j’y suis davantage présent par le biais de boutiques multimarques de grande qualité – ce qui n’est pas le cas en France. Mais également parce qu’on y trouve plus de comédiennes et de médias, qui jouent un grand rôle dans l’exposition de la griffe.


Et ce n’est pas fini, puisque le deuxième opus de Sex & The City, qui sort prochainement au cinéma, vous préférerait à Jimmy Choo et Manolo Blahnik.

Je ne connais pas encore le résultat final, mais la production m’a demandé de rééditer certains modèles. J’avais déjà l’habitude de travailler avec Patricia Field, la styliste de la série. Et j’ai déjà réalisé beaucoup de souliers pour Sarah Jessica, à titre privé. Elle m’a même dit qu’elle s’était mariée en Louboutin. Ce genre d’exposition entraîne irrémédiablement des répercussions. Lorsqu’un de mes modèles est passé dans un des épisodes de Sex & The City, il ne se déroulait pas une journée sans qu’on nous ne le demande en boutique. Il a d’ailleurs fallu le reproduire en urgence.


Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Mis à part les attitudes observées au cinéma, dans la danse ou tout simplement au contact des femmes, les voyages sont pour moi particulièrement inspirants. Il faut toujours ouvrir l’oeil ; il existe des tas d’éléments sur lesquels s’arrêter. C’est comme Obélix, qui voit des sangliers rôtis partout. J’ai tendance à pratiquement tout transformer en sacs et souliers !


Vous êtes toujours en quête de nouveaux défis…

Il y a tant d’idées à exploiter. Dernièrement, je me suis rendu dans le nord du Mexique, afin d’étudier le travail particulièrement joli d’une ethnie, que j’aimerais adapter au soulier. Mais cet artisanat ne peut pas être utilisé tel quel, parce qu’il n’offre pas assez de souplesse. C’est un challenge, qui se révèle très compliqué. Je vais peut-être l’adapter à certains éléments. Cependant, ce que j’avais en tête n’est malheureusement pas réalisable. C’est un fait qu’il faut accepter, quand on collabore avec des artisans.


Pour qui auriez-vous aimé créer une paire de souliers ?

Pour ma mère, j’imagine. Elle est décédée avant que je ne lance ma griffe. Cela m’aurait fait plaisir qu’elle porte mes souliers. Sinon, j’aurais aimé créer pour Marlene et Marilyn. Parce que la première incarne l’allure et l’élégance suprême, tandis que la seconde symbolise la démarche. La sienne était inimitable. L’une, c’est la face ; l’autre, la fesse.


Concevez-vous un monde sans talons ?

Mes collections comprennent des ballerines et sandales plates, mais je favorise évidemment les talons. Avec une préférence pour le talon aiguille. Je ne peux même pas imaginer que j’aurais aimé dessiner des souliers, s’il n’y avait pas eu les talons. Mon dessin est très rond, tout en cambrures et en cercles. Il convient spécialement aux hauteurs. En outre, le bruit des talons se transforme en musique. Dans le film Vivement Dimanche de François Truffaut, on est subjugué par ceux de Fanny Ardant. Le flamenco n’existerait pas sans eux. Et rien que leur claquement sur le bitume est un son en soi. Le soulier devient animé et vivant, quand il y a un talon.


Parlez-nous d’une allure qui vous touche…

Elle doit associer, dans un juste équilibre, confiance en soi et goût du beau. Cela passe par la qualité bien sûr, mais il y a des gens qui continueraient à avoir de l’allure avec un sac à patate sur le dos ! L’allure n’est ni attachée à la mode, ni au vêtement. C’est comme l’âme, elle vient de l’intérieur. Elle est liée à l’assurance, qui permet de se sentir à l’aise dans ses mouvements. Le soulier n’est que l’accessoire qui accompagne l’allure, l’accentue.



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