Waarom een eigen label starten steeds moeilijker wordt
Pourquoi c’est si compliqué de lancer sa propre marque
Comment s’y prendre une fois son diplôme de créateur de mode en poche ? Partir à Paris ou Milan et travailler pour une grande maison de mode ? Ou, à l’instar des Six d’Anvers, lancer sa propre marque ? La période actuelle n’est pas vraiment propice au grand plongeon…
Les inconditionnels de la Semaine de la mode parisienne ont souvent l’impression que les jeunes designers actuels ont le vent en poupe. Ainsi, au cours de cet automne-hiver, les collections de créateurs émergents comme Marie Adam-Leenaerdt, Duran Lantink, Florentina Leitner, Zomer ou Reverie by Caroline Hu sont souvent apparues plus impressionnantes ou innovantes que celles de nombreux labels de luxe, qui ont davantage joué la carte de la prudence et ont même donné l’impression d’être blasés. De plus, l’establishment accorde plus de soutien qu’auparavant aux griffes récentes, avec des récompenses comme le LVMH Prize ou des initiatives telles que Sphère, grâce à laquelle la Fédération de la Haute Couture et de la Mode met, à chaque saison, plusieurs « emerging designers » sous les projecteurs.
Mais alors que la mise en lumière est là, force est de constater qu’il n’a jamais été aussi difficile de percer. « Si on peut sortir du lot, on a une chance. Mais il faut savoir que la période actuelle n’est pas du tout propice au lancement d’une marque », explique Sophie Pay de Flanders DC, un organisme flamand qui soutient le secteur de la mode et du design.
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Se lancer ou collaborer
Ces dix dernières années, les étudiants en mode se voyaient davantage travailler pour une maison établie, comme directeurs artistiques, ou un échelon plus bas, comme employés dans un studio professionnel, qu’à la tête de leur propre entreprise. Traditionnellement, en Belgique, il y avait une différence entre La Cambre et l’Académie de la Mode d’Anvers. Si les étudiants de l’école bruxelloise étaient généralement employés dans de grandes maisons, ceux de l’institution anversoise avaient tendance à démarrer leur propre carrière.
« Selon moi, c’est principalement dû à la culture spécifique de La Cambre, affirme Tony Delcampe, directeur du département mode. Chez nous, les stages revêtent une grande importance. Cela a toujours été le cas depuis la fondation de l’atelier, en 1986. Lors de leurs cinq années de formation, les étudiants doivent réaliser quatre stages, ce qui n’est pas du tout le cas à Anvers. Cela explique peut-être le fait que nos diplômés s’intègrent plus facilement dans une maison établie. »
Et d’ajouter : « Les étudiants qui développent leur propre activité sont des exceptions chez nous. En fait, nous ne les poussons pas dans cette direction. Bien entendu, nous sommes fiers lorsque l’un d’eux sort du lot, comme Marine Serre, ou plus récemment, Marie Adam-Leenaerdt. Nous savions qu’elles emprunteraient cette voie. Elles en avaient l’ambition dès le départ. Mais tous les étudiants n’ont pas ce profil. La plupart d’entre eux se voient directeurs artistiques d’une griffe connue. »
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Sophie Pay, qui a notamment créé le programme de mentorat pour débutants chez Flanders DC est toutefois mitigée en ce qui concerne les créateurs qui veulent se lancer en nom propre. « J’ai tendance à m’exclamer : « Ne faites surtout pas ça » », avoue-t-elle. Selon cet observatrice de premier plan, le secteur est saturé… « Si on a une vraie nouveauté à proposer, elle a une chance de fonctionner, mais il faut se distinguer des autres, dans les créations, le business model et la fixation du prix, estime-t-elle. Dans le segment moyen, on voit beaucoup de marques locales qui marchent bien, mais qui éprouvent plus de difficultés lorsqu’elles veulent vendre au-delà de nos frontières. Les Belges aiment leurs marques. Si on a un bon produit à proposer, c’est vendeur. Mais à l’étranger, on se confronte à des concurrents du monde entier. Dans ce cas, la belgitude ne suffit plus. Le branding devient crucial. L’identité en ligne, le showroom, l’histoire derrière le produit,… C’est avec ça qu’on va vendre un rêve aux gens. »
Rêves et désillusions
Sophie Pay, qui travaille depuis dix ans chez Flanders DC, organise chaque année un atelier avec des étudiants de master de l’Académie. Elle les sonde régulièrement sur leur scénario idéal et constate une certaine évolution : « Il y a dix ans, ils rêvaient tous de devenir directeur artistique chez Dior ou Balenciaga, et ce, le plus tôt possible. Leur but était de jouer un rôle dans l’histoire de LVMH ou de Kering. Et c’était logique, parce que ces groupes déterminaient largement le paysage de la mode. Beaucoup d’étudiants ont fait leur stage là-bas après leur formation ou y ont été embauchés, et nombre d’entre eux en sont revenus désenchantés. »
Aujourd’hui, l’experte sent quand même que plus de jeunes veulent sortir de ce système et prétendent qu’ils ne cherchent pas à gagner beaucoup d’argent tout de suite. Ils préfèrent commencer leur propre petit projet et tenter leur chance de faire quelque chose d’authentique et de personnel plutôt que de devenir un numéro dans une grande entreprise. « C’est très beau, mais évidemment ce n’est pas chose facile », confie-t-elle.
Julie Kegels fait partie de ces étudiants. Elle a travaillé pour Meryll Rogge et pendant un an pour Pieter Mulier chez Maison Alaïa. La semaine prochaine, elle lancera sa propre marque à Paris, lors de la Fashion Week. Ce sera une présentation, pas un grand défilé. Dans un premier temps, il lui semblait important de pouvoir « définir un esprit ». Pour elle, ce lancement est des plus exaltants : « J’en ai toujours rêvé. Je suis sortie diplômée de l’Académie d’Anvers en 2021, et l’année dernière, j’ai senti que j’étais prête. Le temps a filé, et la collection est prête. Féminine, assez limitée et complète à la fois, avec des accessoires, des chaussures et une grande variété de vêtements. Mais je crée aussi de manière à proposer un tout. Nous allons également vendre à Paris. Je suis créative, mais j’aime aussi le business de la mode. Maintenant que mon rêve se réalise, c’est magnifique. »
Bien sûr, ce n’est pas si simple et elle a eu quelques surprises ces derniers temps, mais cela fait partie du processus d’apprentissage, dit-elle : « Je suis une bosseuse. Si quelque chose ne se passe pas comme prévu, je cherche une solution, et j’en tire les leçons pour la prochaine collection. »
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Prends l’argent
Le contexte actuel n’est toutefois pas favorable à beaucoup de ces étudiants qui entendent suivre une même trajectoire. « Si les Six se lançaient aujourd’hui, peut-être que seul l’un d’eux réussirait, assène Sophie Pay. Ils étaient au bon endroit au bon moment. Bien sûr, le talent est important, mais le timing aussi. » Tony Delcampe confirme : « Aujourd’hui, tout est encore plus difficile. Il faut se battre, avoir les moyens pour communiquer, être visible. Si on n’est pas financièrement stable, c’est presque impossible. »
Le spécialiste en relations presse David Siwicki a appris son métier chez Balenciaga à New York et a ensuite déménagé à Paris, où il a notamment travaillé chez Vetements. Depuis 2019, il dirige son propre bureau de communication. Il représente surtout de jeunes labels et créateurs, dont la marque belge Meryll Rogge, Isa Boulder de Bali, et Commission de New York. « Je m’intéresse aux jeunes créatifs qui ont une perspective unique, des créateurs qui ne se contentent pas de revisiter les tendances, explique-t-il. J’en vois un peu trop qui n’ont rien à raconter, qui font des vêtements pour faire des vêtements. Aujourd’hui, ce n’est pas ça qui compte ; il faut innover et avoir une stratégie pour les cinq prochaines années. C’est important. Ils doivent avoir un objectif défini et prendre le temps de développer leurs collections. Ils doivent avoir le sens des affaires pour pouvoir avancer. Il faut savoir investir dans des échantillons, dans un défilé. Il faut savoir produire et vendre des vêtements. Bien sûr, cela demande un capital. »
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Sophie Pay complète : « Quoi qu’il en soit, il faut avoir de l’argent et réfléchir à ce qu’on va en faire. Si on dispose de 1 million, ce sera suffisant pour une collection complète. Avec un budget de 100 000 euros, il faut analyser ce qui est possible. » Et de conseiller, si on dispose de ses propres moyens, d’aller voir des banques et des investisseurs avant de commencer à dépenser. Après, il sera beaucoup plus difficile de convaincre des bailleurs de fonds potentiels.
Lancer sa marque, okay, mais comment en faire un succès?
Penser de manière stratégique implique aussi de bien réfléchir à ses investissements. Sophie Pay cite l’exemple de Bernadette, le label anversois de Charlotte et Bernadette de Geyter. « Charlotte a commencé exclusivement par des robes en soie, contrairement à Meryll Rogge, qui s’est lancée avec une collection complète, ce qui coûte non seulement des sommes astronomiques, mais aussi du temps et de l’énergie. De nombreux créateurs s’y perdent. » Comme Charlotte avait un ou deux fournisseurs de tissu et un seul fabricant, cela lui a permis de définir une identité claire. Elle a beaucoup de succès aux Etats-Unis et au Moyen-Orient, et son segment se distingue par une touche belge, assez edgy. Récemment, elle a ajouté le knitwear à sa collection, avec un seul fabricant.
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« Les débutants ont tendance à croire qu’ils doivent avoir le sens du business pour réussir, qu’ils ne peuvent pas être créatifs. Je pense qu’ils doivent justement être plus créatifs que jamais », évalue encore notre spécialiste du Flanders DC. Elle cite pour imager son propos le cas Martin Margiela – « hyper créatif, mais aussi commercial, l’un n’empêche pas l’autre ». Ce dernier dégageait une image forte pour faire la différence tout en proposant un savant mélange de pièces marquantes et d’autres mettables et payables, notamment les doublures qu’il intégrait dans chacune de ses collections.
Il suffisait de combiner ce genre de pièces – habituellement non dissociées du vêtement – avec un jeans et des Tabi, et on était habillée « en Martin Margiela ». « Sur le plan commercial, c’était une manière futée de rendre son langage visuel plus accessible, analyse Sophie Pay. Marine Serre fait quelque chose de similaire avec ses petits pulls, ses catsuits à l’imprimé quartier de lune. Ces pièces sont identifiables et commerciales. Sans laisser la créativité de côté. »
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Un fossé qui n’a de cesse de se creuser
S’il est toutefois une chose qui ne change pas, c’est l’immense fossé entre les jeunes créateurs, d’une part, et les moyens immenses dont disposent les groupes de luxe, d’autre part. « Les maisons parisiennes et milanaises peuvent injecter des fortunes dans leurs marques, déclare David Siwicki. Cela leur permet de croître beaucoup plus vite. J’ai l’impression que le fossé s’est agrandi ces dix dernières années. Il n’est pas évident de faire face à leur marketing, aux défilés Croisière et aux précollections. Sans parler des médias, où on voit souvent devenir virales des marques qui font beaucoup de bruit, mais qui n’ont pas beaucoup de teneur. Cela n’apporte rien au final. On le regarde trois secondes et on continue à scroller. »
De son côté, Tony Delcampe pointe aussi cette profusion d’avis et de buzz sur les réseaux, qui brouillent les pistes : « Aujourd’hui, tout le monde peut s’exprimer, se réjouit-il. Mais il n’existe plus de critiques de mode professionnels. Il est rare de lire un avis négatif sur un défilé dans les médias classiques. Les rapports de force ont changé. Ce sont désormais les influenceurs et les célébrités qui décident quels shows font référence. Mais comment atteindre ces gens-là ? Un jeune créateur ne peut évidemment pas se permettre un jet privé pour les dépêcher à son défilé et il ne dispose pas du budget pour leur offrir des outfits. »
Face à ce constat, Julie Kegels, elle, reste confiante : « Je garde la foi dans les vêtements. Une garde-robe est une collection de souvenirs. La mode est une affaire d’émotions. Les gens ne cesseront jamais de rêver. Il en va de même pour moi. » On la croit.
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