Commerce 4.0: les nouvelles manières de faire du shopping

© GUDRUN MAKELBERGE
Catherine Pleeck

Envie d’acheter une doudoune en la testant dans une boutique-frigo ? En visionnant les étapes de sa fabrication via un casque de réalité virtuelle ? En regardant une pub personnalisée sur votre smartphone ? Ou en passant commande en ligne, uniquement par la voix ? Avec le développement des technologies, les marques ont à leur disposition un large panel d’outils pour vous faire sortir votre portefeuille (digital). Etat des lieux et prospectives.

Définitivement terminée, l’époque où le vendeur attendait derrière son comptoir que le chaland vienne à lui. A l’heure où des nouveautés digitales apparaissent chaque minute, le commerce se retrouve plus que jamais bouleversé. Avec Internet, le consommateur connecté ne connaît plus de frontières et la concurrence se fait mondiale. Mais, à l’inverse, le monde virtuel devient aussi un immense terrain de jeu, riche de promesses pour ceux qui savent se montrer agiles.  » Ce secteur est fondé sur le renouvellement permanent, considère Patrice Duchemin, sociologue de la consommation pour L’Observatoire Cetelem et auteur du livre Le pouvoir des imaginaires, 1001 initiatives pour révolutionner la consommation, récemment paru chez Arkhê Editions. Quand, à la fin du xixe siècle, les grands magasins sont apparus, c’était déjà une nouvelle manière de vendre. C’est un truisme que de dire que le négoce se réinvente, cela a toujours été comme cela. Celui qui ne le fait pas est voué à mourir.  » Et l’expert de pointer tous ceux qui se plaignent de l’e-commerce, dont ils seraient les victimes.  » On ne peut plus vendre comme avant. Aujourd’hui, il existe un désir générationnel de bouleverser les règles. Mais pas question, pour autant, de faire table rase du passé et de limiter sa présence au virtuel. Il faut utiliser le magasin différemment.  »

Lancées par quelques individus et non plus forcément par l’entreprise, ces idées étonnantes viennent totalement modifier la relation au commerce.

Head of media chez Ogilvy & Social.Lab, agence de pub spécialisée dans les médias sociaux, Christophe Chantraine est du même avis :  » Les boutiques physiques ne vont pas disparaître. Mais elles ne peuvent définitivement plus se contenter de vivre de manière  » offline « . Qu’elles le veuillent ou non, elles sont digitales, leurs clients vont parler d’elles sur les réseaux sociaux.  » Autre élément important : de plus en plus d’expériences sur la Toile vont modifier l’expérience d’achat en magasin (lire par ailleurs).  » Les consommateurs passent facilement de  » l’online  » à  » l’offline « , et vice-versa, explique le spécialiste. Ils peuvent très bien se renseigner en ligne sur les caractéristiques d’un produit, puis se rendre chez un revendeur pour le tester, toucher la matière et essayer la bonne taille, avant de l’acheter… Mais l’inverse est vrai aussi.  »

Des initiatives inattendues

C’est en observant, depuis plus de dix ans, les micro-faits de la vie quotidienne, que Patrice Duchemin décèle ces nouvelles façons de consommer, de celles qui n’étaient au départ que de petits riens, mais ont fini par devenir des lames de fond. Il suffit de penser aux pop up stores, aux supermarchés coopératifs ou à l’économie circulaire pour s’en convaincre.  » Ces marques, enseignes, individus ou communautés ont osé sortir de leurs territoires, de leurs conventions, des codes de leur marché, pour tenter quelque chose d’inédit, de surprenant et, ainsi, rencontrer de nouveaux publics qui ne les attendaient pas « , constate-t-il. Depuis l’époque où les écoles de commerce enseignaient qu’il faut établir une stratégie, déterminer une cible précise et faire une promesse, le marketing a bien changé.  » Les cartes ont été totalement rebattues. Aujourd’hui, il faut cibler plein de gens différents, avec de multiples discours, qui correspondent aux attentes de chacun. Et puis surtout, exister par de petites initiatives inattendues.  »

Pas question de limiter sa présence au virtuel. Il faut utiliser le magasin différemment.

Aux grosses décisions prises aux Etats-Unis et appliquées unilatéralement aux quatre coins du monde, on préfère désormais l’innovation et l’inventivité personnelles.  » Lancées par quelques individus et non plus forcément par l’entreprise, ces idées étonnantes viennent totalement modifier la relation au commerce « , poursuit l’expert. Il peut ainsi s’agir d’un label comme Woolrich, qui permet aux visiteurs de son concept store milanais d’évaluer la qualité de ses doudounes directement dans une chambre froide, installée en plein coeur de l’espace de vente. De Chanel qui, à la fin 2017, a lancé son Coco Club, un espace réservé aux rencontres entre businesswomans à New York. De la marque pour enfant Kiabi, qui teste actuellement sa solution Click & Change, permettant de fluidifier le parcours d’achat : ses cabines sont équipées d’un écran grâce auquel chacun peut demander une autre taille ou un autre coloris. De H&M qui a ouvert, en avril dernier, le concept Take Care à Hambourg, mixant vente de produits d’entretien, ateliers et conseils, pour inciter les consommateurs à prolonger la vie de leurs articles de mode. Ou encore de la griffe pour hommes Bonobos, qui a inauguré à New York une boutique plus proche d’un showroom que d’un flagship : via le site Web du label, le client est invité à réserver une séance d’essayage de 30 ou 60 minutes, en précisant ses exigences et contraintes. Le jour J, les articles sont préparés en cabine et un vendeur est disponible pour le conseiller, tout au long de la séance.

Jouer avec les nouvelles technologies

Commerce 4.0: les nouvelles manières de faire du shopping
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Les frontières entre digital et commerce physique s’estompent toujours plus. Amazon ouvre ainsi des librairies où aucun prix n’est affiché : les achats se font via la prise en photo d’un code ou de la couverture d’un livre sur son smartphone. Dans la nouvelle boutique Zara de Londres, les clients qui ont effectué un achat en ligne et souhaitent venir le récupérer sur place peuvent désormais se rendre dans un espace dédié à l’e-commerce. En scannant un QR code ou en renseignant un code PIN, ils activent un bras robotisé, qui leur délivre leur colis en quelques secondes seulement. A Paris, la marque de lingerie Undiz permet de sélectionner un produit sur une borne connectée et de le réceptionner quelques instants plus tard. Ce dernier transite dans une capsule, du stock à la boutique, en passant par des tubes traversant l’espace de vente. Et sur le mur, sont accrochés des écrans, permettant à la marque du groupe Etam de mettre en valeur ses fans. A Bruxelles, la griffe de lunettes Polette a inauguré, au début de l’été, un de ses Connected Showrooms : on peut y essayer les accessoires, mais ne rien acheter. A la place, on scanne un QR code sur l’article choisi, qui est commandé en ligne et livré à domicile. Quant à Ikea, une application permet de visualiser, en réalité augmentée, ce que donnerait chez soi un nouveau canapé, directement en prenant une photo de son salon.

Les exemples de ce type ne cessent de se multiplier. Il faut dire que les alliances entre la sphère fashion et le monde digital fonctionnent particulièrement bien.  » Ce n’est pas surprenant que ces deux univers aient eu envie de se rapprocher, écrit Patrice Duchemin dans son ouvrage. D’un côté, on trouve des marques de mode désireuses de conquérir de nouvelles cibles, plus jeunes et ultraconnectées ; de l’autre, des marques technologiques devenues, au fil du temps, des signes de  » lifestyle  » qui ne rêvent plus que de devenir des signes de mode.  » Mais comme le stipule une étude récente publiée par la National Retail Federation américaine et l’IBM Institute for Business Value, pas question d’avoir de la technologie pour la technologie :  » Plutôt que d’acheter des fonctionnalités sophistiquées et des gadgets, la génération Z préfère la technologie qui lui donne du pouvoir et ajoute de la valeur au produit. « 

Autant d’initiatives, souvent localisées certes, mais qui jouissent d’une belle visibilité, grâce au pouvoir des réseaux sociaux.  » Cela fonctionne car on a affaire à une population beaucoup plus jeune, qui ne veut pas consommer comme ses parents, analyse le Français. C’est donc aussi une grosse opération de séduction à destination de la jeunesse et de tous ceux épris de modernité.  » Enfin, cela tient également à un nouveau mode de pensée, proche de l’esprit start-up et de son  » test & learn  » : avant de risquer des dépenses démesurées, on essaye un produit ou un service à petite échelle, histoire de vérifier qu’il répond bien à la demande.

Des projets qui permettent par ailleurs de repenser le rôle futur de la consommation. Dans les années 50 et 60, elle incarnait l’idée de progrès et de confort. Les années 70 ont été synonymes de liberté et d’affranchissement, tandis que les décennies suivantes ont mis en avant des envies de loisirs et de voyages, de se connecter davantage les uns aux autres.  » Celle-ci est aujourd’hui dotée d’un rôle neuf : participer au changement de paradigme mondial par les nouvelles habitudes qu’elle suggère, en aidant à agir pour les autres et pour le futur « , considère le sociologue. Et Patrice Duchemin d’estimer qu’avec les moyens à disposition que sont l’intelligence artificielle et les casques de réalité virtuelle, les marques doivent désormais proposer des expériences plus intimes et personnelles, pour permettre à leurs clients de se découvrir des potentiels inconnus. Agir comme moteurs de l’empowerment, en somme, pour rendre le monde meilleur. Hier considéré comme celui qui dépense et consomme, le client devient alors penseur et acteur, capable de défendre une cause à travers ses achats. C’est la planète qui va être (enfin) ravie.

Ces casques intègrent le digital dans les boutiques, mais ils apportent surtout la boutique chez soi.

Tenter la réalité virtuelle

Pour l’instant objet fétiche des geeks amateurs de jeux vidéo, les casques virtuels représentent un des gros enjeux des années futures. Facebook a ainsi investi 2,5 milliards d’euros l’an dernier dans le spécialiste du genre, Oculus, espérant prendre le leadership dans ce domaine. Une technologie intéressante pour tout ce qui touche aux rencontres, privées comme virtuelles – avec un réel sentiment d’être ensemble -, mais également pour pouvoir visiter certains lieux ou assister à des événements, comme si on y était.

Il y a quelques saisons, Tommy Hilfiger offrait à ses fans la possibilité de revoir son défilé en boutique, via ce procédé. Toujours là dès qu’il s’agit de nouvelles technologies, la griffe US mise dorénavant sur la 3D et les hologrammes pour présenter ses dernières collections à ses revendeurs. Du côté de Balmain, les visiteurs de la boutique parisienne peuvent actuellement être équipés d’un casque, leur permettant de se glisser dans la peau d’Olivier Rousteing, directeur artistique de la maison parisienne. L’occasion de découvrir en détail tout le processus créatif d’une collection.

 » Ces casques intègrent le digital dans les boutiques, mais ils apportent surtout la boutique chez soi, considèrent Christophe Chantraine et son collègue Mathieu De Moor, associate head of media, chez Ogilvy & Social.Lab. On va pouvoir visiter un magasin virtuellement, voir les produits de près… Cela touche à l’expérience, à une certaine gamification de l’acte d’achat. Mais si cette technologie prend à large échelle, les perspectives sont gigantesques. « 

Invoquer le pouvoir de la voix

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L’intelligence artificielle était déjà mise à contribution via les  » chatbots « , ces robots logiciels pouvant dialoguer et conseiller de façon automatique, mais naturelle, les utilisateurs de sites marchands. Elle est désormais de plus en plus utilisée oralement. Demander à un assistant intelligent de réserver deux places de cinéma, de consulter la météo à tel endroit ou de reporter un rendez-vous simplement par la voix, devient en effet une pratique courante. Selon le bureau d’études spécialisé en intelligence artificielle Tractica, les usagers de ce type d’appareils dépasseront la barre du milliard en 2018. Si Siri existe en français depuis quatre ans déjà, Google Assistant et son  » OK Google  » n’a déboulé sur le marché francophone que l’an dernier, tandis que les enceintes Alexa d’Amazon sont disponibles, depuis juin dernier, dans notre langue.  » On est dans l’efficacité et la facilité : plus besoin d’allumer un écran pour interagir, analysent les spécialistes en social media. L’objectif est de faire gagner du temps. Dans ce sens, acheter doit devenir un acte le plus simple possible, sans devoir passer par de multiples étapes. Aux Etats-Unis, la voix représente déjà un facteur de trafic important sur Internet.  » En 2020, la moitié des recherches seront faites par ce biais et 30 % d’entre elles n’impliqueront plus du tout d’écran.

Vendre sur les réseaux sociaux

Quand on sait qu’Instagram compte un milliard d’utilisateurs actifs par mois, que 60 % d’entre eux disent découvrir de nouveaux produits via ce média et que 70 % suivent des comptes de marques, on devine les enjeux que représentent les réseaux sociaux, en termes de commerce.  » Ces plates-formes ont énormément évolué pour intégrer au maximum l’expérience d’achat en leur sein, expliquent les deux experts d’Ogilvy & Social.Lab. Les nouveaux formats sont beaucoup plus pertinents, immersifs et interactifs. L’internaute peut désormais considérer un produit, se renseigner sur ses différentes options directement sur Facebook ou Instagram. Et ce ne sont que la commande effective et le paiement qui sont passés sur le site d’e-commerce de l’enseigne. Cela fluidifie et simplifie au maximum tout le processus.  »

Ces possibilités accrues de traquer les comportements des utilisateurs constituent aussi un gros avantage pour les griffes.  » Elles peuvent proposer des publicités personnalisées, en fonction de l’attitude du client, comme générer une publicité visible par celui qui n’aura pas été jusqu’au bout de sa commande « , relatent Christophe Chantraine et Mathieu De Moor. Et les deux Bruxellois de citer l’exemple de la griffe de denim Lee, qui a récemment testé avec succès une campagne via ces médias sociaux : cette dernière a généré 20,49 euros en moyenne de ventes, pour chaque euro investi dans ce type de marketing.

Aux Etats-Unis, la voix représente déjà un facteur de trafic important sur Internet.

Croire aux promesses de l’image

L’image aussi pourra, à terme, faciliter les achats. Google, en tout cas, fait de la reconnaissance visuelle l’un de ses principaux défis, ces prochaines années. Imaginez que vous pointez votre téléphone vers un restaurant ou un magasin de vêtements, l’intelligence artificielle est capable de reconnaître de quoi il s’agit et de vous livrer des informations intéressantes, telles que les avis des internautes, les produits les plus vendus… Sur la balle, La Redoute a déjà annoncé qu’elle travaille sur un moteur de recherche réagissant à la voix et à l’image, en collaboration avec Google et avec l’entreprise californienne ViSenze, à l’origine de l’application baptisée, à juste titre, par certains, de Shazam de la mode. Plus besoin d’écrire ou de parler, votre appareil répond immédiatement à vos besoins. On n’arrête décidément pas le progrès.

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