Le cuir végan est-il vraiment meilleur pour la planète?
Dans la quête d’une mode respectueuse des animaux, on voit émerger de plus en plus d’alternatives véganes au cuir. Mais sont-elles vraiment plus écologiques ?
C’est doux, c’est souple et ça ressemble à du cuir, mais ça ne vient ni d’une vache, ni d’un veau, ni d’une chèvre. Dans le domaine des matériaux, le cuir végan est sans aucun doute le nouveau venu qui fait le plus parler de lui dans le monde de la mode. Et les marques jouent des coudes pour lancer des sacs ou des chaussures dans cette matière. Dans tous les segments, chacun prend le train en marche, de H&M à Hermès. Même Brussels Airlines a présenté un nouvel uniforme avec des chaussures suivant ce mouvement.
Cet essor massif du cuir végan montre que le stade expérimental est dépassé. Et que cela concerne bien plus que les fervents défenseurs de la cause animale. La tendance est désormais largement suivie par un groupe croissant de consommateurs qui essaient de faire des achats (plus) raisonnés. Mais cette option végane est-elle véritablement plus durable ? Ou le cuir sans matière animale se résume-t-il à du plastique ? Est-ce davantage du greenwashing qu’autre chose ?
La bonne question à se poser
« Comme pour tout dans les questions de durabilité, rien n’est ou tout noir ou tout blanc, avance Jasmien Wynants, spécialiste en mode durable. Ça dépend beaucoup de ce qu’on trouve soi-même important. Celui qui mange végan et veut avant tout éviter la souffrance des animaux choisira des chaussures pour lesquelles aucun animal n’a été tué. Mais pour ceux qui veulent surtout faire un choix écologique, d’autres paramètres entrent en ligne de compte, comme les émissions de CO2 ou la possibilité que des microplastiques se retrouvent dans l’environnement. Et aussi la durée de vie du produit. Le cuir animal classique tient par exemple très longtemps et vieillit bien. Mais le cuir végan présente des émissions de CO2 plus basses. Chaque matériau a ses avantages et ses inconvénients qu’il faut mettre dans la balance. »
Cela peut se faire avec ce qu’on appelle une « analyse du cycle de vie », où tous les éléments sont évalués de manière scientifique. Mais en tant que consommateur, c’est pratiquement impossible. Celui qui veut faire des achats durables doit surtout acheter autrement et de manière plus consciente. « A chaque achat, posez-vous la question : ai-je vraiment besoin de ça ? », résume l’experte.
Plastiques + épluchures = cuir végan?
L’appellation « cuir végan » laisse penser qu’il s’agit d’un produit totalement végétal, mais ce n’est pas le cas. Ou en tout cas pas encore. Aujourd’hui, tous les cuirs végans du marché contiennent en réalité encore du plastique, la plupart du temps du polyuréthane, couramment appelé PU. Mais dans des proportions variables. Parfois il se compose entièrement de plastique, comme le skaï ou le similicuir. Mais le plus souvent la base est végétale, faite de pelures de pommes, de feuilles de cactus ou d’ananas qui sont réduites en poudre et utilisées comme excipient. Pour obtenir une matière vraiment solide, il faut la mélanger à du plastique. A cela s’ajoute bien souvent encore un enrobage plastique qui protège des griffes. Car dans ce cas, contrairement au cuir classique, celles-ci sont définitives. Pour Jasmien Wynants, le composant plastique n’est pas négatif en soi : « Ce n’est pas juste de cataloguer le cuir végan comme mauvais uniquement parce qu’il contient encore du plastique. Le produit n’est sans doute pas encore parfait, mais ça vaut la peine de continuer à le développer. Les innovations sont rapides. »
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Parmi les variantes, on retrouve en Belgique le MycaNova, un cuir végan fabriqué à partir de mycélium, un réseau de filaments produits par les champignons. « Pour l’instant, nous avons encore besoin de PU pour renforcer la matière afin d’atteindre le niveau de qualité attendu. Sinon un sac à main s’userait trop vite. Mais nous avons réussi depuis le lancement, il y a trois ans, à faire passer le pourcentage de mycélium dans la couche d’enrobage de 10 à 45 %. Sans perte de qualité. L’objectif est un matériau totalement dépourvu de PU. Nous savons que beaucoup de gens attendent cela », explique la general manager de MycaNova Sylvia Gilis. MycaNova est une branche du fabricant d’acide citrique limbourgeois Citribel. Dans leur processus de production, ils utilisent du mycélium : ce champignon transforme la mélasse de sucre en acide citrique, mais ensuite ce n’est plus qu’un déchet. Il était utilisé avant comme aliment pour les animaux, mais à présent le mycélium est séché et réduit en poudre. Et ensuite transformé en cuir en Italie.
Un futur sans plastique
Le fait qu’il y ait du plastique dans le cuir végan a l’air plus négatif que ce qu’il n’est vraiment. Car il y a plastique et plastique. On pense aux matières issues du recyclage, mais aussi aux bioplastiques, qui ne sont pas fabriqués à partir de pétrole, mais de plantes. On peut comparer ça au biodiesel produit avec de l’huile végétale ou de la graisse de friture usagée. Comme le précise Sylvia Gilis : « Pour rendre les choses encore plus compliquées, le PU bio-based contient souvent aussi une partie de PU classique tiré de combustible fossile. Mais c’est une étape intermédiaire. Nous évoluons vers une solution sans plastique et cela avance très rapidement. »
Selon elle, toujours, le cuir végan est une piste intéressante car les émissions de CO2 sont sensiblement moins élevées que pour le cuir animal. « On produit aujourd’hui d’énormes quantités de cuir synthétique. Pour chaque pourcent de poudre de mycélium que nous pouvons utiliser, on diminue d’autant l’empreinte et nous arrivons aujourd’hui à un chiffre entre 20 et 30 %. Ça semble peu mais pour de si grands volumes, cela fait finalement une belle différence. »
Avantages et inconvénients
MycaNova compte parmi ses clients la créatrice de sacs anversoise Lies Mertens. L’année dernière, elle a lancé deux de ses modèles en version mycélium. Elle n’en était pas à son premier essai végan : en 2022, elle avait déjà créé un sac dans un autre matériau produit par l’entreprise italienne Vegea à partir des déchets de la production de vin. « J’étais enthousiasmée par le cuir végan, mais je voulais un partenaire local, et qui soit transparent. Beaucoup de producteurs d’alternatives sont souvent très vagues sur la composition exacte. Pas MycaNova. Et c’est agréable de pouvoir visiter l’usine et de voir de ses propres yeux comment tout ça est produit, expliquait l’an dernier Lies Mertens au Vif Weekend lors du lancement. Le cuir artificiel et le cuir animal ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Les peaux sont des produits naturels et donc aucune ne ressemble à une autre, ce qui fait que l’assemblage s’apparente à un puzzle et qu’on a plus de déchets. Le MycaNova est produit en rouleau, ce qui permet une découpe plus efficace. Et c’est aussi plus résistant aux rayures. »
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La marque de sacs KAAI a elle aussi embarqué dans le train végan. Elle a lancé il y a quelques semaines son sac best-seller (le Pyramid) en cuir végan, fabriqué à 33 % en feuilles de cactus avec 67 % de PU biodégradable. « C’est une demande de nos clients. Surtout des Etats-Unis, qui sont notre plus grand marché pour la vente en ligne. En plus des Américains, nous avions aussi souvent des clients allemands qui nous demandaient via le chat du Webshop si nous avions aussi des versions véganes. Donc nous nous sommes mis au boulot », raconte Ine Verhaert, qui a fondé la marque en 2017 avec Helga Meersmans. Les recherches pour obtenir le bon matériau ont cependant été longues : « Souvent ça ressemblait trop à du plastique, ou c’était trop raide. Et nous voulions sortir un sac végan seulement s’il pouvait dégager le même sentiment de luxe que nos sacs classiques. Et avoir la même durabilité. Pour conserver notre réputation. »
Les pionniers et leur suite
KAAI propose aujourd’hui son sac Pyramid végan en deux couleurs, noir et cognac. « Nous avons fait réaliser les couleurs et l’impression spécialement pour nous. Un sacré investissement, mais on ne voit vraiment pas la différence avec nos créations en cuir classiques », souligne avec fierté Ine Verhaert. Est ici utilisé le cuir de cactus du fabricant italien Desserto, qui compte aussi Givenchy dans sa clientèle. « Le cactus est écologique parce que c’est une plante qui a de faibles besoins en eau, poursuit Ine Verhaert. Et on peut couper les feuilles plus anciennes et les utiliser pendant que la plante continue de pousser. » La version végane est toutefois aussi chère que le sac en cuir (745 euros). Est-ce par principe ? « Non, le prix coûtant est vraiment identique. Les coûts de fabrication sont les mêmes. Et le cuir de cactus est un peu plus compliqué à travailler. Surtout parce que le sac est conçu dans le même atelier en Italie que nos autres sacs. Pour le personnel qui travaille le cuir, ça a été un vrai défi pour, par exemple, arriver à obtenir un beau pli. »
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La grande défricheuse du cuir végan, c’est Stella McCartney. Quand elle a lancé sa propre marque en 2001, la styliste a fait le choix radical de ne pas utiliser de matières animales. Pas de fourrure, pas de plumes, pas de soie et pas de cuir. A l’époque, c’était un parti pris retentissant, mais aussi un énorme défi, parce qu’il n’y avait que très peu d’alternatives. « Un des plus grands compliments que je peux recevoir, c’est quand quelqu’un achète un sac Falabella, une paire de chaussures ou une robe sans se douter du tout que ce n’est pas du vrai cuir. Pour moi c’est à ce moment-là que ça devient sexy. Parce qu’alors, on fait un produit formidable, on ne se contente pas de proposer une alternative », déclarait Stella McCartney il y a quelques années dans Vogue.
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Un petit tour sur le Webshop de son label permet de savoir quels matériaux sont utilisés. On y retrouve plusieurs chaussures en Vegea, le cuir réalisé à partir de sous-produits viticoles. Mais aussi plusieurs mentions de « Alter Mat », une matière faite de polyester et de polyuréthane. Le polyester se compose souvent en partie de polyester recyclé. Chez nous, Mats Rombaut a été un des premiers à l’utiliser. Lorsqu’il a lancé en 2013 la marque à son nom et ses sneakers aux allures futuristes, on avait encore peu entendu parler de cuir végan en Belgique. En 2021, l’homme a lancé une deuxième ligne, Viron, elle aussi végane, mais plus sage au niveau du design. Il rencontre du succès principalement à l’étranger. En Belgique, ses deux labels sont uniquement en vente chez Stijl à Bruxelles.
L’œuf ou la poule
En préparant cet article, nous avons rencontré plusieurs personnes qui avaient des doutes face au cuir végan, mais aucune d’elles n’a voulu s’exprimer officiellement. Certains avançaient l’argument que les vaches ne sont pas abattues pour leur peau, mais pour leur viande. Le cuir est donc un sous-produit de l’industrie de la viande. Tant que nous mangerons de la viande, nous aurons donc aussi des peaux à disposition. Et on peut dire que ce serait alors scandaleux de les jeter. Jasmien Wynants a une remarque par rapport à ce raisonnement : « C’est comme la question de l’œuf et de la poule. Tout le monde sait que l’élevage émet beaucoup de gaz à effet de serre. Que les animaux soient utilisés pour la viande ou pour le cuir, ça n’a peut-être pas tant d’importance. »
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Restent les chiffres pour s’y retrouver. Selon l’Index Higg, l’impact sur l’environnement du cuir synthétique est quatre fois moindre que l’impact du cuir de vache. Mais le tableau n’est pas complet, puisque l’index tient seulement compte de la production, et pas de la finalisation du produit, de sa durée de vie ou des possibilités de recyclage. Le plastique s’abîme plus vite et produit des microplastiques quand il se retrouve en décharge. En d’autres termes : le cuir végan est une étape dans la bonne direction vers une mode plus durable. Mais la route se poursuit…
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