Dans les coulisses du Master Accessoires, à La Cambre

Accessoires © Ségolène Melin

A La Cambre, on se forme à la peinture, l’architecture, la typographie, la mode… Et désormais à la création d’accessoires. De nouveaux étudiants ont fait leur rentrée il y a quelques jours, les premiers diplômés sont sortis en juin dernier de l’école bruxelloise. Immersion.

Une collection de bijoux jouant sur l'ergonomie, la dualité et la géométrie. Elle est signée Ségolène Melin, Master 2:
Une collection de bijoux jouant sur l’ergonomie, la dualité et la géométrie. Elle est signée Ségolène Melin, Master 2: « Pour ce projet de fin d’études, ma motivation a été de trouver et montrer ma vraie identité. »© Ségolène Melin

Il y a dans l’air chaud de ce matin de juin quelque chose qui tremble, qui ressemble, entre autres, au stress, période d’examens oblige. Les passants un peu regardants auront remarqué le petit attroupement nerveux devant le 427 de l’avenue Louise, à Bruxelles, un rez-de-chaussée vitré d’un bâtiment de treize étages qui accueille les étudiants de L’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre. Ils sont huit, Master 1 et 2 confondus, à présenter aujourd’hui leurs travaux devant un jury interne et externe, composé de la directrice de l’école, de professeurs venus d’autres options, Design, Stylisme, Textile Design, et de pros qui apportent un regard différent – galeriste, curatrice, designers, directrice de musée. Si la tension est palpable, c’est qu’ils s’apprêtent à exposer leur cheminement, l’aboutissement d’une année intense passée à se définir, se chercher, se trouver espère-t-on, tenter de répondre aux consignes ou les contourner, parfois. C’est la première cuvée d’un Master Accessoires qui a connu ses prémices il y a six ans déjà, sous la forme d’un  » cours artistique de soutien à l’option  » – dites CASO – qui avait posé les bases pédagogiques de cette formation dorénavant effective. En deux années scolaires, stages compris, les aspirants se confrontent à l’objet  » porté et non porté  » – la précision est de taille et signée Didier Vervaeren, responsable de l’option.  » L’accessoire n’est pas seulement lié au prêt-à-porter ni même à l’univers de la mode stricto sensu. Si sa vocation finale est d’être utilisé, il peut et doit également être considéré intrinsèquement comme un objet – à fabriquer, à regarder, à acheter, à collectionner, à exposer… Il est art autant que produit de consommation.  »

 » Nous attendons de nos étudiants qu’ils sortent du cadre. « © Laurence Soetens

Cela étant posé, on comprend l’impératif qui sous-tend ce qui s’étale là sous les yeux et qui veut que  » tous les déplacements d’idées enrichissent cette réflexion : carrelage qui devient collier, livre qui devient chapeau …  » Pas moyen, en effet, de rater le résultat des expérimentations des Master 1 exposées dès l’entrée en une installation commune et efficace, exercice numéro 1 : Couvre-chef,  » découverte des techniques du moulage du feutre de laine, création de forme, façonnage à main levée « . Leurs coiffes déclinent leurs inspirations en bibi, casquette et autre bombe. On dirait des sculptures. C’est chez Elvis Pompilio qu’ils se sont confrontés à la matière et aux volumes. En voisin, le célèbre chapelier les a accueillis durant six après-midis fructueux.  » Ils ont été courageux, commente-t-il. Ils ont bossé sur de la laine, c’est beaucoup plus dur que le poil de lièvre, mais cela aurait été trop facile sinon.  » Ça fait rire les étudiants, qui confirment :  » C’était physique  » et  » on a eu mal aux bras « . Sarah, qui a visiblement fait preuve d’un foisonnement créatif, s’enthousiasme :  » J’ai adoré travailler les chapeaux. Je ne m’attendais pas, en entrant dans ce master, à apprendre autant de techniques et de possibilités, je venais pour faire du bijou, l’année fut super riche.  » Et lui, bienveillant, qui précise :  » Ils ont fait tout dans les règles de l’art. A commencer par mettre au point la forme en bois. Contrairement à certains modistes qui se contentent de l’acheter, de mouler le feutre dessus, d’y mettre trois cerises et puis déclarent qu’ils le sont…  »

Décloisonner les regards

Dans les coulisses du Master Accessoires, à La Cambre
© Ségolène Melin

Mettre les mains dans le cambouis, pour une école d’arts appliqués, cela tombe évidemment sous le sens. Et le faire, épaulé par des professionnels, sur leurs lieux de travail respectifs, a le mérite d’apprendre aux étudiants à explorer l’inconnu, expérimenter et ne pas négliger non plus l’importance de la technique, du savoir-faire, de la minutie. Les huit exercices, courts ou longs, tels les projets bijouterie dans l’atelier de Marie-France Vankueken ou maroquinerie, aux Arts et Métiers, sont là pour familiariser les futurs créateurs avec la réalité. Et les plonger dans une période  » d’incubation et d’immersion  » pour  » décloisonner les regards « , leur permettre de  » sortir du vocabulaire de leurs pratiques antérieures en étant plus transversal dans l’expérimentation « . Car ces jeunes ont des parcours hétéroclites. Un baccalauréat sculpture, photo, design, design textile, architecture ou architecture d’intérieur en poche, ils découvrent d’autres  » champs des possibles « . Et leur indéniable jubilation vous explose au visage. Marie, Master 1, prend la parole, avec une joie non dissimulée, voici son exercice numéro 7,  » Printed « ,  » réalisation d’objets avec imprimante 3D sur le thème du cabinet de curiosités « .  » Je me suis focalisée sur la flûte, a priori, tout le monde en a joué un jour, avec des souvenirs plus ou moins bons. A travers les techniques numériques, j’ai créé des prothèses de cet instrument pour ouvrir les scénarios de son utilisation – la flûte pour les nuls, avec un accord prédéfini, sol, mi, la, si, ré, la flûte accordéon sans trou quand on ne sait pas trop utiliser ses doigts et la double flûte pour experts.  » Elle qui vient de la photographie avoue qu’elle s’est  » décomplexée par rapport à l’usage de ses mains « . Tant et si bien que cette liberté nouvelle lui a donné des ailes.

Un projet OVNI, un cabinet de curiosités réalisé à la colle chaude par Marie Rime, Master 1 :
Un projet OVNI, un cabinet de curiosités réalisé à la colle chaude par Marie Rime, Master 1 :  » Je n’ai pas envie de me mettre dans une case, je passe d’un champ à un autre. « © Laurence Soetens

Son exercice numéro 2,  » OVNI « ,  » création d’objets à partir d’un matériau pauvre détourné de ses usages courants « , expose sans détour et avec humour sa  » petite histoire personnelle « , incarnée en clichés suisses assumés, fabriqués dans cette matière caméléon qu’est la colle chaude – un canif, une tablette de chocolat, l’insigne de la fanfare de Fribourg, la ceinture vache de son père. Et quand elle conclut :  » Je peux juste me réjouir pour la suite « , on comprend qu’elle n’a encore  » pas envie  » de se mettre dans une case et que  » tous les champs des possibles  » sont effectivement grands ouverts devant elle. En Master 2, comme les autres, il lui faudra faire des choix,  » identifier son ambition  » et se lancer dans un projet personnel où mettre en avant les acquis de la première année, après un stage de six semaines minimum. Période cruciale où il arrive que l’étudiant, ainsi confronté à la vie active, soudain trouve sa voie, et cela ne tient pas du miracle.

 » On touche à des choses concrètes, mais avec le dosage de folie nécessaire pour que l’accident crée la surprise. Le sac de Sarah Levy, avec l’idée de cannage, en est un exemple parfait ; les lignes d’un projet de Master 2 sont là « , précise Didier Vervaeren.© Sarah Levy

Prenez Ségolène, qui rassemble dans  » Brut « , sa collection de bijoux,  » cette volonté de réunir l’ancien moi (architecture d’intérieur) et le nouveau (accessoires) « . Un défi pour elle, concrétisé dans l’atelier d’Espèces, aux côtés de Marie Artamonoff,  » un coup de coeur personnel et professionnel « . Avec cohérence, avec élégance, elle mêle béton, sphère et or, sa carte de visite. Son objectif :  » Montrer cela à des marques et rentrer dans le studio de création d’une maison.  » Elle aura pour elle, entre autres, d’avoir été formée à La Cambre, l’une des premières écoles à instaurer un tel master plutôt rare dans le paysage européen.  » La base de l’ENSAV, c’est le design au sens large, rappelle Caroline Mierop, qui ce jour-là en est encore la directrice – elle prendra sa retraite après les bulletins. Nous désirons évidemment développer nos points forts. Or, l’accessoire – sur lequel il n’y a pas vraiment de définition – est émergent, et il vaut toujours mieux être ceux qui fabriquent la définition que ceux qui la suivent. C’est un lieu où l’on peut être en dehors du champ du design industriel avec ses logiques de production et à côté du champ de la mode terriblement ciblé sur le vêtement. On peut y développer un design non déterminé par la notion de l’utilité mais par des concepts plus sociétaux, artistiques tout en gardant quand même cette idée que cela passe par le faire, lequel est dans l’ADN de l’école.  » Et dans cet espace de grande liberté somme toute, l’éclosion de jeunes qui embrassent la création fait véritablement trembler l’air chaud.

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